Agressé, le lac Tanganyika reconquit son littoral

Destruction des habitations, des infrastructures publiques, envahissement des plages, … la montée des eaux du lac Tanganyika crée la désolation. Affectés, les investisseurs, les riverains crient au secours. Reportage.

Safi Beach était un endroit très prisé, fréquenté. Le lieu était devenu célèbre. C’était un lieu à explorer et à exploiter pour les jeunes mariés pour immortaliser leur union, leur date de mariage. Des enfants y affluaient pour ses différents jeux d’enfants. Des concerts s’y passaient. Et l’entrée était payante. Au moins 500BIF pour chaque entrant. Des jeunes hommes y avaient trouvé du travail.

A midi, c’est là que la majorité du staff de l’Office Burundais des Recettes (OBR) ou ceux du port de Bujumbura prenaient le déjeuner, tout en contemplant le lac et en savourant ses vents doux. Des amoureux, des fiancés y passaient toute la journée, main dans la main, se racontant des belles histoires, se promettant monts et merveilles.

Aujourd’hui, l’endroit est méconnaissable. L’adjectif « Safi » pour dire propre ne colle plus. Cette plage est devenue sale, impropre.

Les destructions et les dégâts causés par la montée des eaux du lac Tanganyika sont déjà énormes. L’espace qui servait de terrain de jeux d’enfants s’est transformé aujourd’hui en dépotoirs de toutes sortes de déchets : bouteilles en plastiques, chaussures usées, restes d’habits, ou d’aliments, etc. C’est puant. Les balançoires et d’autres types de matériel installés pour égayer les enfants sont détruits.

Dans son aménagement, l’investisseur avait mis des moyens colossaux. Une création d’emploi. La mairie en profitait aussi en termes de recettes fiscales.

C’est avec des pneus usés remplis de sable qu’on essaie de créer des passerelles et de bloquer l’eau du lac. Mais, visiblement, c’est peine perdue. Même les ouvriers qui le font n’y croient pas : « Dieu seul sait. On essaie de se battre mais je suis sûr que tout sera effacé dans un laps de temps. Pas d’espoir que ces pneus et sable vont tenir », lâche un d’entre eux.

La plage est devenue comme une petite île. L’avenue de la Plage passant devant le restaurant Le Tanganyika et menant vers le port de Bujumbura ne passe plus. Elle est totalement inondée. On y voit de petits et moyens poissons ou Ndagala nager. Le bar-resto Panafrica nouvellement construit non loin du port de Bujumbura n’est plus accessible.

Des infrastructures publiques aussi affectées. A titre illustratif, le service d’immatriculation des véhicules de l’OBR ne fonctionne plus. Il est dans l’eau. Même si on avait écrit sur une pancarte pour signifier que l’accès est interdit au public, l’eau n’a pas respecté cette consigne : l’entrée de l’Unité frotte lacustre est également les pieds dans l’eau. Les sacs installés pour servir de passage ont cédé. Ils ne sont même plus visibles. Le port de Bujumbura n’est pas aussi épargné.

La plage de Safari Gate n’est pas non plus à l’abri. Les pertes, côté business et infrastructures sont estimées à 95% par rapport aux recettes habituelles. Ce qui influe négativement sur le fonctionnement de Safari Gate.

D’après des informations recueillies auprès de son service de comptabilité, actuellement, on essaie de payer le personnel. « Mais, ce ne sera pas pour longtemps si la montée se poursuit », glisse notre source. Non loin de là, au Cercle nautique de Bujumbura, un autre endroit qui était très fréquenté, la situation est identique. Tout est dans l’eau : le parking, les guérites, etc. Le lieu est actuellement inaccessible. Même les sacs remplis de sable ont été dépassés.

Une grande partie de Kinindo fortement affectée

Au sud de Bujumbura, la zone Kinindo, commune Muha, enregistre des pertes énormes. On y répertorie des maisons dans l’eau, des avenues obstruées, etc. La circulation y est paralysée. Il faut se munir des bottes pour pouvoir circuler même à l’intérieur des parcelles.

Terrorisés, certains habitants ont déjà vidé le lieu pour se caser ailleurs. Un coup dur : « C’est vraiment pitoyable. Voilà, j’ai dû quitter ma maison pour la deuxième fois suite à cette montée des eaux du lac. J’ai essayé de bloquer l’eau avec des sacs remplis de sable, et cela n’a pas pu tenir pour longtemps. Je suis parti mettre à l’abri ma famille », confie I.H, un déplacé environnemental.

Sous anonymat, il révèle que pour construire sa maison, il a dépensé plus de 150 millions de BIF : « C’est un crédit que je n’ai même pas encore terminé à rembourser. Et ce qui me fait tellement peur, c’est que si l’eau ne recule pas, ma maison risque d’être tellement abîmée et inhabitable. »

Ceux qui sont encore là vivent la peur au ventre. Ils mènent un combat permanent avec l’eau : « C’est à l’aide de ces sacs en plastique remplis de sable qu’on essaie de nous protéger. Car, nous n’avons pas où aller. Nous n’avons pas non plus d’argent pour louer d’autres maisons », lâche un père de famille, rencontré dans ce quartier, déboussolé. Un travail qui leur coûte cher. En effet, explique-t-il, pour avoir du sable, il faut payer le véhicule, la main d’œuvre pour le remplissage, etc.

En attendant la fin du calvaire ou le recul du lac, il a déjà trouvé refuge pour ses enfants. « Ils sont chez leurs tentes. Et les parents, on a opté de rester ici en attendant que l’eau puisse reculer. »

Une situation qui inquiète l’administration. Patience Itangishaka, Chef de la zone urbaine de Kinindo indique que globalement, sa circonscription est sérieusement touchée. Malheureusement, déplore-t-il, c’est avec des moyens rudimentaires que les gens essaient de se protéger. Il fait allusion à des sacs remplis de sables, de motopompes, etc.

Or, M.Itangishaka trouve que la situation est d’autant plus complexe. « Car, à côté de cette montée des eaux du lac, il y a aussi de l’eau souterraine qui jaillit à l’intérieur des maisons, des parcelles. C’est vraiment très difficile. » D’après Oscar Bizimana, Chef du quartier Kibenga dit rural indique qu’une trentaine de ménages sont déjà partis ailleurs.

L’intervention de l’Etat est très sollicitée

« Nous demandons aux hautes autorités du pays de soutenir ces populations dans leur combat contre ces eaux du lac Tanganyika. Ces habitants utilisent beaucoup de moyens financiers et matériels », plaide Patience Itangishaka, Chef de zone Kinindo.

Un appel relayé aussi par Oscar Bizimana. Il précise que les travaux de protection sont très couteux. Il donne l’exemple d’un petit sac vide qui coûte aujourd’hui 400BIF tandis qu’une benne sable est à 60 mille BIF. Pour lui, ces populations sinistrées ont tellement besoin d’un coup de main des autorités pour bloquer l’avancée du lac Tanganyika.

D’après lui, les gens sont vraiment dans une situation inconfortable : « Actuellement, une maison de trois chambres n’est pas à moins de 700 mille BIF de location. Encore que le propriétaire exige au moins trois mois d’avance. Beaucoup de familles ne peuvent pas avoir cet argent. Ils n’ont d’autres choix que de rester de cette eau. » Il demande même aux autres bienfaiteurs de venir en aide à ces populations en détresse.

Chez les investisseurs, c’est le même appel. Notre source chez Safari Gate demande d’ailleurs à l’Etat de supprimer par exemple certaines taxes plus spécifiquement en ce qui est de l’hôtellerie et restauration. « Les pertes déjà enregistrées sont énormes. Les propriétaires ne peuvent pas lutter individuellement contre la montée des eaux du lac. C’est très couteux. » Elle appelle d’ailleurs à la protection de la ville de Bujumbura de façon générale.

En vue de protéger l’avenue de la Plage, l’Agence routière du Burundi (ARB) a déjà initié quelques travaux non loin de la Plage Safi Beach.


Sauver d’abord les vies humaines

Aux yeux des experts environnementaux, il y a des actions urgentes qui devaient être faites. Et la vie des habitants des zones déjà inondées est une priorité. Ils trouvent que ces évènements devenus répétitifs devaient nous servir de leçon pour le futur.

« Il existe des solutions que l’on pourrait tenter. Dans un premier temps, il faut sauver les vies humaines. Délocaliser les habitants qui se sont installés dans des zones à très hauts risques d’inondations », suggère Jean Marie Sabushimike, géographe et expert en gestion des catastrophes.

Jean Marie Sabushimike : « Le facteur déclenchant de ce cortège de malheur n’est autre que le changement climatique. »

D’après lui, c’est scandaleux de constater que les gens continuent à construire dans l’eau : « On a détruit la zone tampon, un écosystème naturel qui servait à réguler les inondations. Aujourd’hui, les gens détruisent l’écosystème naturel, ils dégagent la boue, ils importent le sable pour repousser l’eau, etc. »

D’après ce professeur d’Universités, il faut arrêter toutes ces constructions qui violent la loi.

Après cela, il souligne qu’il faut initier des actions de protection par des digues des infrastructures publiques. Et ce, en suivant des normes internationales, avec des études encore plus approfondies qui réuniraient plusieurs experts, qui se compléteraient les uns comme les autres. « Evidement pour le long terme, il faut considérer l’intégration des inondations dans les plans politiques, les programmes et les politiques de développement multisectoriel. »

Avec cela, il trouve qu’on pourrait dans ce cas envisager le développement durable de la ville de Bujumbura. « Parce que ce sera encore une fois, aménager Bujumbura sous le contrôle d’un schéma directeur d’aménagement du territoire et de l’urbanisme qui n’existe pas aujourd’hui. »

Revenant sur les causes de cette montée, Jean Marie Sabushimike indique qu’elle est liée aux fortes pluies qui s’abattent sur la sous-région. Ce qui ne concerne pas alors le Burundi seulement.

D’après ce géographe, le facteur déclenchant de ce cortège de malheur n’est autre que le changement climatique. Et malheureusement pour le Burundi, déplore-t-il, il n’y a pas d’actions climatiques (actions d’adaptations aux impacts négatifs du changement climatique) tout le long du littoral du lac. « Or, plus l’action climatique tarde à venir sur terrain, plus le coût de l’inaction climatique sera extrêmement grave », prévient-il.

Pour lui, Bujumbura et ses campagnes avoisinantes devraient avoir un plan de gestion globale des inondations qui sont bien connues que l’on pourrait cartographier de manière précise. « Cette fois-ci une cartographie opérationnelle et qui permettrait l’intervention de plusieurs experts qui viendrait de l’OBPE, de l’IGEEBU, et surtout des chercheurs dont l’Université du Burundi. »

Pour ce professeur, si on ne prend pas au sérieux la question du changement climatique, il sera très difficile d’atteindre la vision 2040-2060. « Ces inondations paralysent beaucoup de secteur de la vie économique, ce sont des perturbations plus graves des secteurs productifs, l’Etat perd des taxes, des impôts, etc. Normalement, ce développement durable devait se baser sur des politiques, programmes de développement durable. Or, le changement climatique, qu’on le veuille ou pas, c’est un défi à relever. »

Anticiper dans le temps

« Au niveau gouvernement, il devrait exploiter les données existantes, rassembler même d’autres informations afin de pouvoir anticiper dans le temps », conseille Tharcisse Ndayizeye, environnementaliste. Ce qui permettra, selon lui, à l’Etat de prévoir et prendre des dispositions appropriées.

Tharcisse Ndayizeye : « C’est le gouvernement qui doit empêcher les gens à construire dans des zones à hauts risques »

Il signale que l’Etat peut empêcher les gens de construire les zones inondables ou exiger que les infrastructures qui doivent être érigées là-bas soient des infrastructures adaptées à la montée des eaux. « Actuellement, il n’y a aucun ouvrage qui est adapté aux inondations », tranche-t-il.

Pour construire, il rappelle qu’il faut d’abord mesurer les risques d’inondations, d’éboulements, de ravinement, etc.
En ce qui est des moyens financiers pour ériger des infrastructures adaptées, M.Ndayizeye évoque le principe pollueur- payeur. « Au niveau international, ce principe devait être appliqué. Il faut que ces gens qui contribuent, à cause de leurs industries, à l’augmentation des gaz à effet de serre supportent ces conséquences et nous donnent des appuis pour nous adapter aux conditions catastrophiques dans lesquelles nous nous trouvons », propose-t-il en substance.

De par sa fonction régalienne, il souligne que c’est le gouvernement qui doit empêcher les gens à construire dans des zones à hauts risques.

M.Ndayizeye trouve d’ailleurs que la zone tampon de 150 mètres pour le lac ne suffit plus : « La loi est un outil juridique qui est dynamique, évolutif, changeant. Elle doit être adaptée au contexte du moment. Ceux qui ont proposé cette distance n’ont pas consulté les experts pour anticiper dans le temps. Pourquoi les 150 mètres ? Sur quelle base de calcul ? Il faut alors réviser cette loi pour proposer une distance qui prend compte des réalités nationales, mondiales et géographiques. »

Par   Rénovat Ndabashinze (Iwacu)