Jacques Pitteloud, ambassadeur de Suisse au Burundi : « Il faut s’en tenir à la parole donnée » Antoine Kaburahe (Iwacu le 22-07-2014).
De passage à Bujumbura, l’Ambassadeur de Suisse au Burundi, avec résidence à Nairobi, s’est entretenu avec le directeur des publications d’Iwacu. M. Pitteloud a évoqué les libertés politiques, les élections de 2015, la loi sur la presse, etc.
Ambassadeur Pitteloud : « Un pouvoir sûr de sa légitimité n’a pas besoin de réagir de manière excessive ».
Le verbe est posé. En vrai diplomate, M. Pitteloud pèse chaque mot. Il y a près d’une année, dans une rencontre exclusive avec Iwacu, il se disait « optimiste » sur l’évolution politique du Burundi. Garde-t-il le même avis ? Il FERME un moment les yeux. Une profonde inspiration.
Déclaration fracassante ? Non, il reste diplomate. Il faudra lire entre les lignes. « Aujourd’hui, la SITUATION est plus difficile qu’elle ne l’était il y a huit mois. Heureusement, il y a encore des forces qui veulent perpétuer l’esprit d’Arusha »
L’Ambassadeur de Suisse au Burundi croit en effet dans « l’idéal » d’Arusha : « Il s’agissait de créer une société inclusive qui laisse les forces politiques rivales s’exprimer, avoir le droit à l’expression politique sans être victime de harcèlement »
Et aujourd’hui ? Silence du diplomate. Un moment de réflexion. « Je constate que plusieurs leaders politiques de l’opposition ont fait l’objet de procédures judiciaires», dit-il SIMPLEMENT. Par ailleurs, M. Pitteloud regrette les dissensions qui minent plusieurs partis politiques, qui « pourraient être fomentées à l’extérieur. »
Interrogé sur le resserrement de l’espace d’activité dénoncé par la société civile, l’Ambassadeur de Suisse au Burundi trouve que « la société civile burundaise est sous pression. » Quid de nombreuses accusations du gouvernement envers la société civile ? Le diplomate ne conteste pas que le gouvernement puisse avoir raison dans certains cas mais, pour lui, « une société civile a droit à l’erreur et ses membres ne devraient pas prendre des peines maximales sous prétexte d’atteinte à la sécurité nationale. » La justice préoccupe énormément M. Pitteloud. Ainsi, il dit avoir beaucoup de peine pour les condamnations infligées par exemple aux jeunes du MSD (une vingtaine de membres ont été condamnés à la prison à vie et de nombreux autres à des peines de 5 à 10 ans. NDLR)
« Des peines pénales excessives ne contribuent pas à stabiliser la SITUATION ; au contraire, elles enveniment, empoisonnent le climat. Et si on décide d’appliquer les lois avec sévérité, il faut le faire pour tous », dit-il avec force. Et, doucement, comme une confidence, il lâche : « Un pouvoir sûr de sa légitimité n’a pas besoin de réagir de manière excessive.»
Faire preuve de « retenue » POUR LE cas Mbonimpa | « Le cas de Pierre-Claver me remplit de tristesse », commente l’Ambassadeur Pitteloud. Il reconnaît l’action de cet homme qui « travaille depuis plusieurs années à l’amélioration du sort des prisonniers. » Admiratif, il rappelle que dans son travail, M. Mbonimpa a fait preuve d’une grande neutralité et a relevé les progrès accomplis par le gouvernement. Au sujet de son incarcération, le diplomate reste prudent : « Il semble que, d’une manière ou d’une autre, M. Mbonimpa ait été victime d’une erreur.» L’Ambassadeur de Suisse indique que pour le cas de M. Mbonimpa, il faudrait « faire preuve de retenue, de clémence ». Il reste convaincu que M. Mbonimpa n’avait aucune « intention de nuire »
La violence n’est pas l’apanage du parti au pouvoir
Autre question qui revient : les risques des violences liées aux agissements des jeunes affiliés aux partis. Là, le parti au pouvoir et l’opposition en prennent pour leur grade. « La tentation d’utiliser la violence n’est pas l’apanage du parti au pouvoir, tous le partis sont concernés. » Si l’Ambassadeur Pitteloud reconnaît qu’il est légitime pour un parti politique d’avoir une organisation de jeunesse, les leaders doivent « imposer une DISCIPLINE à leur jeunesse. »
Pour 2015, le diplomate suisse estime que le code électoral et celui DE BONNE conduite ont été acceptés. Aujourd’hui, d’après-lui, il faut « s’en tenir à la parole donnée. » Ainsi, tous les partis doivent pouvoir tenir des réunions en dehors de Bujumbura et accéder aux zones rurales sans entraves.
L’économie toujours oubliée
Mais le plus grand enjeu du Burundi, selon M. Pitteloud, c’est l’économie ; malheureusement c’est le parent pauvre des débats. « Depuis Arusha, toute l’attention est restée fixée sur les différents processus politiques qui ont occulté l’essentiel : l’économie, les questions de développement, la démographie… » Et « son rêve » serait que la campagne de 2015 tourne autour « des PROGRAMMES économiques des partis politiques. »
« Les médias, ne donnez PAS des prétextes aux forces restrictives ! »
Concernant la presse, la position de la Suisse ne bouge pas. La Suisse, et même la communauté internationale, ont jugé « liberticide la loi sur la presse ». Mais le Burundi est un Etat souverain. Le diplomate conseille tout de même que « cette loi sur la presse soit APPLIQUÉE avec la plus grande retenue. »
M. Pitteloud est convaincu que le gouvernement devrait garantir la liberté d’expression qui constitue « une soupape ». Mais la loi est là. Il conseille aux médias d’être irréprochables: « Soyez pro, battez-vous pour garder votre espace, ne donnez pas aux forces restrictives des prétextes pour vous museler. » insiste-t-il. Malgré les critiques, l’Ambassadeur de Suisse au Burundi juge que le pays JOUIT quand même d’une liberté d’expression incomparable dans la sous-région. « C’est un trésor, préservez-le » conclut-il.