L’Afrique entre de plain-pied dans le financement par impact investing, un schéma original dans une logique de développement durable.

Depuis quelques années, l’impact investing bouscule le monde du financement d’entreprise. Après la publication d’un rapport cadre pour l’industrie par JP Morgan en novembre 2010, il a été défini de manière officielle comme une nouvelle classe d’actifs. Sa valeur : de 50 milliards de dollars, avec une perspective de 1 000 milliards de dollars dans les dix années à venir. Près de 60 % des fonds investis proviennent des États-Unis et du Canada. Un est injecté en Afrique subsaharienne et en Amérique latine. Le taux moyen de retour financier tourne autour de 10 %, d’après les chiffres du cabinet en intelligence économique Knowdys.
L’impact investing est plus présent en Afrique anglophone

L’impact investing, en direction de l’Afrique, connaît une croissance exponentielle. Avantage à l’Afrique anglophone ou le Kenya, le Ghana et surtout l’Afrique du Sud. Dans ces trois pays, l’évaluation à court terme de l’impact investing dans l’éducation, la santé ou les commodities notamment présentent des résultats financiers et sociaux positifs dans les deux tiers des projets, depuis 2007. Pour équilibrer toutes ces demandes et trouver des solutions pérennes dans toutes les régions du continent, le fonds Africa Impact Economy Innovation Fund (Africa IEIF) a été lancé en avril 2013 lors du Forum sur l’impact investing en Afrique, soutenu par la Fondation Rockefeller et la fondation de Tony Elumelu. Son objectif : développer les infrastructures qui permettront de stimuler la croissance. Et c’est là qu’entrent en jeu les impact investors. Parmi les plus connus sur le continent, Investisseurs et Partenaires, Africa Impact Group, Lundin Fundation, pour ne citer que ceux-là. Leur particularité : ils ont une très bonne connaissance des besoins de financement sur le continent. À noter : le secteur est fortement en quête de professionnels qualifiés et compétents, capables de piloter des programmes diversifiés, de rechercher des fonds, de gérer les ressources humaines ou encore d’évaluer les effets sociaux d’un investissement.

Biotropical, l’illustration d’un cheminement entrepreneurial africain

Au départ, Biotropical a été créée en 1988 par Jean-Pierre Imélé, pour répondre à une demande mondiale croissante de produits issus de l’agriculture biologique. Ce fervent défenseur de la nature a rapidement réalisé que l’Afrique serait un meilleur terrain de production pour ses fruits tropicaux. Dans ce contexte, Jean-Pierre Imélé décide de s’installer au Cameroun, son pays d’origine, où il recrute et forme une équipe qui maîtrise la production des produits biologiques. Aujourd’hui, au total, près de 500 producteurs ou collecteurs collaborent avec Biotropical. La PME produit des fruits tropicaux dans ses propres plantations et celles de petits producteurs avec lesquels elle est sous contrat. Elle transforme ces fruits tropicaux en pulpe surgelée, en fruits secs et en fruits frais reconditionnés pour les marchés du monde.

Son développement s’est fait sur fonds propres sans aucun concours bancaire. En 2007, le fonds d’investissement, Investisseurs et Partenaires entre au capital de Biotropical, conjointement avec la société Font, producteur français de jus de fruits. L’apport financier et l’accompagnement de ces partenaires permettent à Biotropical de franchir une nouvelle étape en développant ses propres productions de mangue, sur 150 ha, et d’ananas. En 2009, Biotropical crée une filiale en France pour assurer la distribution de ses produits et est le seul exposant africain de produits frais au salon Marjolaine, le plus important salon bio de France. De fait, Jean-Pierre Imélé a pu toucher beaucoup plus de gens avec ce modèle qu’avec une approche philanthropique. Il continue d’améliorer son produit au fil des ans.

En Afrique nombre de sociétés comme Biotropical sont rentables et permettent d’apporter des solutions concrètes et durables aux problèmes sociaux ou environnementaux. On les trouve dans les domaines de la microfinance (34 % des projets), l’alimentation et l’agriculture (15 %), les technologies vertes et énergies renouvelables (15 %), le logement (7 %), la santé (3 %), l’éducation (2 %) et l’eau (1 %).
Africa Impact Group, portrait d’un impact investor africain

A son origine, Issam Chleulh. Malien installé aux États-Unis, il a commencé sa carrière chez Ernst & Young, au département capital-risque et conseil. En 2012, il a fondé sa société Africa Impact Group, spécialisée en impact investing avec comme cible principale l’Afrique. Cela lui a valu d’être classé parmi les 30 jeunes leaders africains de demain par le magazine américain Forbes. Sa société conseille et accompagne le secteur privé et public (entrepreneurs, PME, grands groupes, ONG, fondations et gouvernements) à travers des missions de conseils en stratégie ou restructuration, de montages de dossiers, d’intermédiation et de la levée de fonds. « Les industries dans lesquelles je suis spécialisé sont l’éducation, la santé, les logements sociaux, agrobusiness, eau et énergie, énergies renouvelables, technologies et la microfinance », précise Issam, qui pense déjà qu’il faudra plus tard passer au stade d’investisseur en créant un fonds d’investissement pour être plus efficace. En attendant, son rôle d’intermédiaire semble nécessaire à mesure que se structure le secteur de l’impact investing. « Nombre d’acteurs veulent investir dans des projets ou entreprises en Afrique. Nombre de projets et entreprises en Afrique ont tous les atouts pour recevoir ces financements. Le problème, c’est que ces investisseurs et ces acteurs ne parlent pas le même langage. Les investisseurs demandent que les projets soient bien montés, que la comptabilité et la gouvernance soient impeccables. En face, les entrepreneurs ont souvent des difficultés à répondre à ces critères. C’est là qu’Africa Impact Group entre en jeu », explique-t-il.

Démarrée sur fonds propres, la société couvre désormais les pays francophones ainsi que le Rwanda, Ghana, Nigeria, Kenya et l’Afrique du Sud. À la question de savoir quelle est finalement l’essence de cette entreprise hybride, Issam Chleulh répond sans détour qu’elle est foncièrement capitalistique. Dans 68 % des cas, la performance financière de l’impact investment est conforme aux attentes des investisseurs, dans 21 %, elle dépasse leurs attentes, dans seulement 11 %, elle est inférieure aux attentes.

Avec le Global Impact Investing Network, l’impact investing passe à la vitesse supérieure

Pour structurer l’impact investing, des acteurs transversaux ont créé la Global Impact Investing Network (GIIN), organisation non gouvernementale qui regroupe de grandes fondations comme la Fondation Rockfeller, les grands noms de l’audit et du conseil (KPMG, Ernst & Young, MacKinsey) et bien sûr des investisseurs (DBL, Huntington Capital, banque Lombard et Odier). Dédié à la promotion de l’impact investing, le groupe lancé en 2009 lors d’une réunion annuelle de la Clinton Global Initiative, dirigée par l’ancien président des États-Unis, s’est donné pour objectifs de répertorier les acteurs, de développer des méthodes d’évaluation (IRIS) et de promouvoir les bonnes pratiques. L’IRIS est devenue en moins de cinq ans une norme universelle pour le reporting social, environnemental et financier. Elle a été développée pour accroître la transparence et la crédibilité des outils statistiques du secteur de l’impact investing et faciliter l’évaluation de la performance et des opportunités d’investissements.

Mais, selon Amit Bouri, directeur stratégique et du développement au GIIN, « les investisseurs sont invités à définir leurs propres objectifs – par exemple, la fourniture de biens et services de base abordables pour les communautés rurales – ainsi que les objectifs spécifiques de leurs sociétés de portefeuille – par exemple, la fourniture de services de soins de santé, l’éducation, ou de l’eau potable – avant de déterminer quels indicateurs de l’IRIS ils vont utiliser ». Comme le chiffre d’affaires, le nombre d’employés, on mesure également l’égalité des genres, etc. Comment inclure plus de critères d’impact social et environnemental dans les mesures de performance ? C’est l’un des chevaux de bataille des financiers actuellement, à Wall Street et ailleurs.

L’Afrique entre finance éthique et finance solidaire

Perçu comme une solution pour l’émergence des pays pauvres, l’impact investing conduit quand même à s’interroger sur le fait que des géants de la finance s’y lancent. Peut-on penser qu’ils le font sans calcul aucun ? D’après Guy Gweth, expert en intelligence économique, « ce concept de double rentabilité est d’autant plus intéressant pour les Africains que les acteurs qui s’en prévalent doivent apporter les preuves de son efficacité pour être valide. On navigue entre la finance éthique et la finance solidaire, ce qui nous change considérablement de « l’aide à l’Afrique » dont on connaît le bilan désastreux des 50 dernières années ». « Le vrai problème des marchés africains reste leur lisibilité pour les investisseurs étrangers », poursuit-il.

« La maximisation des effets de l’impact investing passe par deux clés, au moins : primo, une meilleure connaissance des marchés cibles, notamment des acteurs et de leur fonctionnement. Deuxio, les autorités africaines en charge des investissements ont un rôle majeur à jouer en structurant juridiquement et en mettant en avant – grâce à des mécanismes d’incitation fiscale – les projets les plus profitables pour le continent. Ainsi de ceux dans les secteurs de l’agriculture, de l’éducation, de l’énergie solaire, de la santé et plus généralement des infrastructures », poursuit Guy Gweth. Pour cela, les pays africains doivent répondre aux besoins de financement des nombreuses TPE qui forment le tissu informel en Afrique, leur demande d’investissements oscille entre 5 000 euros et 500 000 euros. Il n’y a pas de doute, en Afrique, l’impact investing reste encore un vaste chantier.