Stériliser les glossines mâles pour éradiquer la maladie du sommeil, qui freine le développement des régions rurales au sud du Sahara, c’est le pari qu’a fait l’Éthiopie. Avec des résultats encourageants.

« Regarde ! L’avion longe la rivière, puis largue les boîtes qui s’ouvrent toutes seules et libèrent les mouches ! » Cela peut paraître étonnant de voir Hassane Mahamat s’extasier ainsi devant un lâcher d’insectes au-dessus de la verdoyante vallée de Deme, dans le sud de l’Éthiopie. Surtout qu’il ne s’agit pas de n’importe quelle mouche, mais de la redoutable tsé-tsé, vecteur de la trypanosomiase, plus connue sous le nom de maladie du sommeil. Mais si Hassane Mahamat a le sourire, c’est parce qu’il dirige le programme d’éradication de l’Union africaine et qu’il sait qu’il assiste là à une phase décisive dans l’anéantissement de l’espèce dans la région.

Car les mouches qui viennent d’être larguées ont un gros défaut : ce sont des mâles stériles. Les femelles tsé-tsé ne s’accouplent qu’une seule fois dans leur vie, stockant à cette occasion la semence dans une spermathèque. Si elles se font féconder par un mâle stérile, les larves qu’elles produiront plus tard ne seront pas viables et, à terme, toute l’espèce pourrait disparaître.

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Stérilisation des mâle plus efficace que les insecticides

« Les insecticides sont efficaces, mais il y aura toujours des endroits un peu inaccessibles, où les pulvérisations par avion ne seront pas suffisamment précises, explique Hassane Mahamat. La stérilisation des mâles est donc le meilleur moyen, si ce n’est le seul, pour en finir avec la tsé-tsé sur un territoire donné. » Le problème, continue-t-il, c’est que les mâles de laboratoire sont moins performants que les mâles sauvages : « Si on veut qu’ils aient une chance de s’accoupler, il faut en moyenne en envoyer dix pour une femelle. » La technique ne peut donc être utilisée qu’en complément des autres méthodes.

Le développement de l’Éthiopie a largement été freiné par la présence de la mouche sur un cinquième de son territoire – et dans des régions très fertiles. Même si le pays dispose déjà du cheptel le plus important d’Afrique, l’élevage n’exploite pas tout son potentiel. En quinze ans, le pays a donc investi plus de 20 millions de dollars (plus de 16 millions d’euros) dans la lutte contre la tsé-tsé, dont une bonne partie a été consacrée à cette technique de stérilisation.

À la périphérie d’Addis-Abeba, la capitale, on élève ainsi 300 000 mouches par an. Le bâtiment massif ressemble à une usine classique. À l’intérieur, difficile de deviner au premier coup d’oeil que les rayonnages en inox contiennent des plateaux remplis d’insectes, nourris avec du sang recueilli à l’abattoir et placé sous une membrane de peau artificielle.

Irradiés par radiateurs nucléaires

Les femelles servent à la « production locale », les mâles sont envoyés sur le terrain. Mais avant, il faut les rendre stériles, et c’est là que la technologie la plus spectaculaire intervient : ils sont irradiés par deux radiateurs nucléaires. Uniques en Afrique, ces machines font l’objet de la plus grande vigilance et sont supervisées par l’Agence internationale de l’énergie atomique. L’investissement a été lourd, mais l’Éthiopie espère en tirer des bénéfices à long terme.

Et, de fait, la vallée de Deme, inhospitalière il y a peu, se peuple doucement. Maisons en construction, champs en labour, troupeaux sur la route… Les résultats sont positifs. Mais il reste beaucoup à faire : en quinze ans, seuls 25 000 des 200 000 km2 affectés ont été débarrassés de la tsé-tsé.