Le président burundais Pierre Nkurunziza n’a jamais caché son intention de briguer un troisième mandat en juin, mais sa marge de manoeuvre diminue : société civile et opposition comptent lui faire barrage et la contestation s’organise dans son parti.
Le premier signe de fissure à l’intérieur du parti au pouvoir, le CNDD-FDD, est apparu il y a une semaine, quand le chef de l’Etat a limogé le chef des services de renseignements, le Général Godefroid Niyombare, et deux de ses lieutenants, pour lui avoir demandé de renoncer à la présidentielle.
Les services secrets, aux larges pouvoirs, sont un pilier du pouvoir Nkurunziza.
« Le Général Niyombare n’est pas fou. S’il a agi ainsi à visage découvert, c’est parce qu’il n’est pas seul et isolé mais qu’il fait partie d’un groupe de Généraux qui pensent comme lui », analyse un haut cadre du CNDD-FDD.
Ex-chef d’Etat major de l’armée, le Général Niyombare est respecté, considéré comme un homme droit et de dialogue.
« Les Généraux (issus de l’ex-rébellion hutu du CNDD-FDD désormais au pouvoir) jouent toujours un rôle de premier plan au sein du parti, ce sont eux qui prennent encore les grandes décisions et les civils sont obligés de suivre », poursuit le cadre.
Combat « feutré mais féroce »
Le porte-parole du CNDD-FDD, Onésime Nduwimana, minimise les divisions : « Il n’y a pas deux camps retranchés, mais il y a des militants qui s’interrogent sur la question de notre candidat ».
« Dire que ce sont les Généraux qui prennent les décisions dans notre parti, c’est très exagéré », rétorque-t-il, reconnaissant qu’ils ont « une certaine influence ».
Des sources au CNDD-FDD assurent pourtant que deux camps sont « en train de se déchirer dans un combat feutré, mais très féroce ».
A l’approche des élections — législatives et communales en mai, présidentielle en juin — la tension ne cesse de monter au Burundi, petit pays d’Afrique des Grands Lacs à l’histoire postcoloniale marquée par les massacres interethniques et une longue guerre civile.
De plus en plus, cette tension se cristallise autour de la décision que prendra Pierre Nkurunziza, au pouvoir depuis 2005 : ses opposants jugent un troisième mandat inconstitutionnel, ce que son camp réfute.
Une dizaine de hauts cadres d’Etat issus du parti ont confirmé l’existence d’un « malaise », voire d' »une crise » autour de sa candidature.
« Les signes d’une grave crise interne au CNDD-FDD sont évidents, mais personne ne peut prédire pour le moment qui en sortira vainqueur », analyse Vital Nshimirimana, président du Forum pour le renforcement de la société civile au Burundi, plate-forme d’ONG.
Parmi ces signes : le limogeage des patrons des renseignements, des changements à la tête de la police et le congrès du CNDD-FDD sans cesse reporté.
La crise au sein du parti au pouvoir, couplée à une manifestation monstre mi-février de soutien au directeur de la radio RPA, Bobo Rugurika, réputé proche de l’opposition, a aussi donné des ailes à la société civile regroupée dans le collectif « Halte à un 3e mandat ».
Sourd aux avertissements de la présidence, ce collectif a appelé jeudi les Burundais à manifester quand Pierre Nkurunziza annoncera sa candidature.
Dimanche, Willy Nyamitwe, responsable de la communication présidentielle, avait prévenu que « quiconque appellera les gens à descendre dans la rue pour tout casser sera considéré comme un fauteur de troubles et sera traité comme tel ».
Pour Pacifique Nininahazwe, tête de proue du mouvement contre un 3e mandat, « Pierre Nkurunziza n’est plus un facteur de stabilité ».
« Le peuple burundais qui en a ras-le-bol est déterminé à (lui) manifester son opposition » et la volonté du président « de se présenter à tout prix (…) conduit tout droit ce pays vers un bain de sang », estime-t-il. « Il faut faire pression sur lui avant qu’il ne soit trop tard ».
La communauté internationale mesure les enjeux.
« Tout indique que le président Pierre Nkurunziza ne va rien lâcher, et cela divise profondément la société burundaise », abonde un diplomate. « C’est un grave sujet de préoccupation, car personne ne saurait en mesurer les conséquences pour le moment ».
La situation est explosive, mais les solutions de rechange limitées : personne d’autre n’émerge au CNDD-FDD.
« Je suis conscient des problèmes que va causer une éventuelle candidature de Nkurunziza, mais c’est la seule que nous avons qui nous permette de préserver l’unité de notre parti », tranche un député favorable au président.