Les Burundais ayant souscrit à l’assurance automobile COMESA se sont vu refuser l’accès au territoire rwandais. Pourtant, leurs collègues congolais circulent sans problème. L’administrateur de Rugombo déclare qu’elle ne peut rien face à la décision rwandaise.
Lundi 7 janvier 2019. Il est 10h du matin, à la frontière burundo-rwandaise de Ruhwa dans la commune de Rugombo, province de Cibitoke, à 80 km de Bujumbura vers le nord-ouest du pays. Au milieu d’alléchants fumets de brochettes de chèvres grillées qui titillent les narines, plusieurs véhicules des agences de voyage d’immatriculation congolaise traversent la frontière.
Mais aucun véhicule de transport en commun ou de biens immatriculé au Burundi ne passe. Devant l’entrée de ce poste, seules les motos sont garées. Les locaux du poste-frontalier à guichet unique de l’EAC sont fermés.
Selon l’un des motards rencontré, sous couvert d’anonymat, les véhicules de transport en commun immatriculés au Burundi sont interdits de franchir la frontière rwandaise. «Si vous voulez vérifier, allez au parking de Rugombo. Les véhicules qui faisaient jadis ce transport y sont garés», indique ce jeune homme.
Il est 10h 30 min, au parking de Rugombo, une quinzaine de véhicules dénommés «Kagongo» et « Probox » faisant le transport entre Rugombo et Bukavu via Rwanda sont garés.
Les conducteurs causent en petits groupes de deux ou de trois. Un de ces véhicules n’a que deux passagers qui veulent se rendre à la frontière rwandaise.
Découragé et confus, Dieudonné Nibizi, président des conducteurs de la province Cibitoke explique leur problème : «Dans la matinée de jeudi 27 décembre 2018, les véhicules de transport immatriculés au Burundi se sont retrouvés bloqués à la frontière rwandaise ».
D’après lui, la police rwandaise leur a refusé de passer. Elle n’a pas voulu donner les raisons. Ce refus n’a pas de sens, explique ce conducteur, nous avons pourtant tous les documents exigés pour effectuer le transport routier transfrontalier dans les pays membres du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA).
Il soutient avoir souscrit à l’assurance automobile du COMESA appelée ’’Carte jaune’’. «Je viens de passer deux semaines sans encaisser un sou alors que j’ai souscrit à l’assurance COMESA et celle locale pour 240.000 BIF pour les mois de décembre à février», fustige Dieudonné Nibizi.
La décision qui affecte les familles de transporteurs
Il regrette par ailleurs qu’il ne puisse pas récupérer son argent pour investir dans une autre activité. L’assureur ne peut pas accepter de lui rembourser.
Aujourd’hui, les corridors routiers au sein du COMESA sont règlementés au niveau des textes par un traité dans son annexe II portant création d’un régime d’assurance automobile régionale appelé «Carte jaune». Le détenteur de ce document peut y circuler librement sans avoir à souscrire à une nouvelle assurance dans chaque pays membre. La détention de cette carte est obligatoire et conditionne l’autorisation de circuler dans n’importe quel pays membre du COMESA.
Ce transporteur, qui assure la liaison Rugombo-Bukavu, déplore une perte énorme. Avant cette décision, il réalisait un profit de 70 milles BIF par jour. J’ai commencé à faire le transport Bujumbura-Bukavu via le Rwanda en 1998, raconte-t-il, c’est la première fois que je passe deux semaines sans traverser la frontière. «C’est incompressible. Il faut que le gouvernement nous dise si nous ne sommes plus membres du COMESA et de l’EAC».
Cette mesure a touché au moins 60 véhicules burundais faisant le transport Bujumbura-Bukavu via le Rwanda. 28 taxis travaillant pour le compte des Burundais et 32 loués aux différentes agences congolaises de voyage. Chaque propriétaire de véhicule loué encaisse 400 dollars par mois.
Face à cette situation, certains conducteurs ont remis les véhicules à leurs propriétaires parce qu’ils ne parviennent pas à avoir le versement escompté.
Ils sont désœuvrés depuis le 27 décembre de l’année passée «Nous demandons aux autorités de deux pays de régler le plus tôt ce problème pour que nous, le petit peuple, nous ne continuions pas à payer les pots cassés», crie N.T, un autre conducteur rencontré sur le parking.
L’administration ne peut rien faire
D’après Jacques Niyokwizera, lui aussi, transporteur entre Rugombo et Bugarama dans le district de Rusizi au Rwanda, ne sait à quel saint se vouer après cette mesure. «Ce métier était notre seule source de revenus pour nos familles. Il me permet de nourrir, vêtir, soigner, éduquer mes enfants et payer le loyer. Maintenant, tout est tombé à l’eau».
Avant cette mesure rwandaise, il gagnait 25.000 BIF. Mais aujourd’hui, il peine à totaliser une somme de 10 mille BIF par jour car les gens préfèrent prendre des motos moins chères.
Les commerçants de la province Cibitoke qui font le commerce transfrontalier entre le Burundi, le Rwanda et la République démocratique du Congo font face à un problème de déplacement.
Pour importer les marchandises de Bukavu à Rugombo ou de Bugarama à Rugombo, c’est un vrai parcours du combattant. Ils doivent faire plusieurs arrêts, ce qui qui leur coûte du temps et de l’argent.
Une commerçante de Rugombo sous couvert d’anonymat déplore cette situation : «Je compte bientôt abandonner ce commerce, car je ne gagne plus rien. Le profit espéré ne couvre que le transport».
Les conducteurs se plaignent de souffrir de cette interdiction de passer sur le territoire rwandais alors que leurs collègues congolais, régis pourtant par les mêmes statuts du COMESA traversent la frontière sans problème.
Béatrice Kaderi, administrateur de la commune Rugombo affirme être au courant de la décision du Rwanda interdisant les véhicules burundais d’accéder à son territoire alors qu’ils ont tous les documents. D’après cette autorité, le Rwanda est un pays indépendant et souverain : «S’il décide de fermer ses frontières, nous ne pouvons rien faire pour changer sa décision».
La commune de Rugombo risque également de voir ses recettes communales diminuer.