Invité d’honneur de la réunion de suivi du Forum sur la coopération sino-africaine (Focac), le président ougandais Yoweri Museveni s’est fait le chantre toute la semaine du socialisme à la chinoise. Critiquant tour à tour l’impérialisme occidental et saluant le rôle du Parti communiste dans la «libération du continent », il a ravi ses hôtes dans le cadre feutré de la résidence d’Etat de Diaoyutai à Pékin. C’est là que le gouvernement chinois recevait les représentants du continent afin d’accorder – ou non – les subsides annoncés lors du dernier forum Chine-Afrique. Les 60 milliards de dollars (près de 53 milliards d’euros) promis par le président Xi Jinping pour la période 2019-2021 vont aller à 880 projets.
Yoweri Museveni a profité de cette tribune pour fustiger la Banque mondiale qui aurait, dit-il, refusé de financer son projet de « corridor central ». Un «hub», selon la terminologie consacrée, qui doit permettre de désenclaver l’Ouganda et le relier au Burundi, à la République démocratique du Congo (RDC), au Rwanda et à la Tanzanie.
Porteur de signaux négatifs
Connecter Kampala à Dar es-Salaam est au centre du projet Vision 2040 du président ougandais. Un plan ambitieux qui prévoit notamment la construction de dix villes nouvelles, quatre aéroports, une ligne de chemin de fer à grande vitesse et des autoroutes. Le projet est financé en grande partie par la banque chinoise d’import-export, l’Exim Bank, via un prêt de 7,6 milliards de dollars (près de 6,7 milliards d’euros). Mais il manque encore des fonds, notamment pour la ligne de chemin de fer devant relier la ville de Busia, à la frontière kenyane, à Kampala, la capitale ougandaise. Soit une rallonge de 3,2 milliards de dollars (2,8 milliards d’euros) pour 200 kilomètres.
En renouant avec les accents marxistes de sa jeunesse, Yoweri Museveni pense certainement avoir trouvé le ton juste auprès de ses créanciers chinois. Mais Pékin traîne encore des pieds, car ce « corridor central » est aussi symbolique des investissements chinois en Afrique que porteur de signaux négatifs. C’est en effet le premier projet d’envergure à avoir essuyé officiellement des pertes. L’assureur-crédit chinois Sinosure a dû couvrir pour un milliard de dollars de pertes d’entreprises chinoises associées. Au point que Wang Chen, le chef économiste de Sinosure, a demandé aux sociétés chinoises de revoir leur gestion du risque et parlé de projets « inadéquats ».
En tirant ainsi la sonnette d’alarme, Sinosure a envoyé un signal clair. Pékin veut mieux prendre en compte le risque financier et imposer de nouvelles règles du jeu. Il prétend désormais respecter des standards équivalents à ceux de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) dans l’attribution de nouveaux prêts.
Un vaste projet ferroviaire
Face à cette nouvelle donne, Yoweri Museveni peut-il réussir là où Uhuru Kenyatta a échoué ? Le président kenyan, à la surprise générale, était rentré les mains vides de sa visite à Pékin fin avril. Il espérait lui aussi obtenir une rallonge de 3,6 milliards de dollars (près de 3,2 milliards d’euros) pour le financement des lignes Naivasha – Kisumu et Kisumu – Malaba, le troisième tronçon d’un vaste projet ferroviaire devant relier les grands lacs à la ville portuaire Mombasa. Mais le fameux train Standard Gauge Railway, connectant déjà Nairobi à Mombasa et qui devait, lors de son inauguration en 2017, «façonner l’histoire du Kenya », est encore loin d’être rentable.
Le Kenya abandonne donc pour l’instant la prolongation de la ligne vers l’Ouganda, ce qui remet totalement en cause le projet d’ensemble. Sans la connexion avec Busia, Pékin ne financera pas le projet pharaonique de Museveni dans sa version initiale.
Il n’empêche. La Chine, déjà très présente en Ouganda, va encore y poursuivre ses investissements. Museveni a rappelé que l’Exim Bank a financé 85 % des deux principales centrales hydroélectriques du pays, les barrages de Karuma et d’Isimba. Elle a aussi versé 476 millions de dollars (près de 419 millions d’euros) pour la construction de l’autoroute Entebbe Express entre Kampala et l’aéroport, et possède via la China National Offshore Oil Corporation (Cnooc), avec Total, le britannique Tullow Oil et la société nationale ougandaise de pétrole, les champs pétrolifères de l’ouest qui seront exploités à partir de 2020.
Pour le meilleur ou pour le pire
Le gouvernement ougandais veut aller plus loin dans cette relation avec Pékin, qualifiée de « partenariat de coopération globale », et attirer un million et demi de touristes chinois. Le mandarin y est enseigné à l’école et les infrastructures chinoises ont déjà profondément modifié le paysage. Pour le meilleur, comme l’espère le président Museveni, ou pour le pire comme le redoutent beaucoup de pays occidentaux ?
Selon un rapport du FMI, 40 % des pays pauvres sont désormais surendettés ou en voie de l’être – en partie du fait des prêts chinois. Une critique reprise par les Etats-Unis cette semaine encore. « Nous n’allons certainement pas régler la note », a commenté le secrétaire adjoint du département d’Etat américain chargé des affaires africaines, Tibor Nagy. Le message est clair : l’Afrique est prise entre le marteau américain et l’enclume chinoise.
L’Ouganda, selon le FMI, présente encore un faible risque de surendettement. Mais la situation pourrait basculer pour ce pays, l’un des plus pauvres du continent. La dette publique ougandaise est passée de 9,1 milliards à 11,1 milliards de dollars entre 2017 et 2018. Déjà, 17,3 % du budget de l’Etat sert à la rembourser, tandis que le pays compte parmi ceux investissant le moins dans l’éducation. Ces nouveaux projets signés à Pékin vont encore accroître l’endettement. Au risque, un jour, de voir passer ces routes, ces ports et ces aéroports, en grande partie sous contrôle chinois.