Le spécialiste de l’Afrique Bernard Lugan continue à démontrer les vrais chiffres de la croissance des pays africains.
Nous avons vu dans un précédent article que la réalité économique africaine ne correspond que de loin aux affirmations des experts et des agences internationales. Après l’exemple du PIB, prenons aujourd’hui celui des OMD (objectifs du Millénaire pour le Développement) car il permet de mesurer l’ampleur du mensonge fait à l’Afrique.
En 2000, les (OMD) adoptés dans l’enthousiasme par 189 Etats avaient pour but essentiel la diminution de moitié de la pauvreté pour 2015*. Il fut alors acté que le recul de cette dernière ne pouvait se faire qu’avec un taux d’investissement moyen (TIM) de 25% minimum et qu’elle ne pouvait reculer sans un minimum de croissance annuelle de 7% soutenue, c’est-à-dire durant plusieurs années.
Pour mémoire, 10 pays sur 52, ne représentent qu’un cinquième de l’Afrique et non tout le continent
En 2015, le bilan est sans appel car force est de constater que cet ambitieux programme ne s’est pas concrétisé. Ses objectifs n’ont en effet pas été atteints :
1- De 2000 à 2014, le TIM s’est situé aux environs de 18% (Cnuced, juin 2014), donc loin du minimum nécessaire.
2- En 2013, les critères des OMD, soit 7% de croissance minimum sur plusieurs années, n’avaient été atteints que par 10 pays sur 52 (Rapport Economique sur l’Afrique pour l’année 2013, rédigé par la Commission économique de l’Afrique (ONU) et l’Union africaine.
Les pays ayant atteint les OMD mais dont les économies demeurent fragiles et artificielles en raison de problèmes politiques
Pour mémoire, 10 pays sur 52, ne représentent qu’un cinquième de l’Afrique et non tout le continent. De plus, ces 10 pays ne sont pas sortis du sous-développement et ils ne sont pas devenus des «relais de croissance». Deux catégories doivent en effet être distinguées**:
1- Les pays ayant atteint les OMD mais dont les économies demeurent fragiles et artificielles en raison de problèmes politiques.
Huit pays sur dix sont dans ce cas, la Libye, le Rwanda, la Côte d’Ivoire, le Nigeria, l’Ethiopie, la Sierra Leone, le Mozambique et le Malawi.
Il est légitime de se demander sur quels critères autres que postulés ou idéologiques, les experts du FMI ont pu annoncer une croissance de 7%
En 2014, la Libye était en plein chaos – elle l’est toujours-, et l’Etat central n’y existait plus. Le pouvoir était émietté et aux mains de chefs de guerre tribaux, religieux ou mafieux. Dans ces conditions, il est légitime de se demander sur quels critères autres que postulés ou idéologiques, les experts du FMI ont pu annoncer une croissance de 7%…
Le Rwanda a eu en 2014 un taux de croissance de plus de 7%, un résultat artificiel car environ 50% du budget provient de dons et près de 50% du pillage des ressources minières du Kivu et de l’est de la RDC. Que les dons cessent et que l’armée rwandaise ou ses supplétifs locaux se retirent effectivement du Kivu et le pays qui est enclavé et surpeuplé connaîtra de sérieux problèmes politiques, ethniques et économiques.
La Côte d’Ivoire a eu en 2014 un taux de croissance de 7%, mais le pays partait de rien, tout y était à reconstruire après des années de guerre civile. Or, aucun des problèmes politiques, ethniques et économiques ayant déclenché le conflit n’ayant été réglé, toutes les causes de la guerre civile demeurent.
Environ 50% du budget congolais provient de dons et près de 50% du pillage des ressources minières du Kivu et de l’est de la RDC
Le Nigeria a eu, en 2013-2014, un taux de croissance de plus de 6%, mais le pays traverse une grave crise politique, religieuse et régionale avec en toile de fond la question de Boko Haram.
L’Ethiopie a, depuis plusieurs années, une croissance dépassant les 7% et les investissements publics et privés y sont en augmentation. Son secteur manufacturier est en développement et la pauvreté y a reculé puisque le pourcentage de la population vivant avec moins de 1,25 dollar jour y est passé de 55,6% en 2000 à environ 25% aujourd’hui. A moyen terme, les projets de construction de centrales électriques hydrauliques devraient faire du pays un fournisseur privilégié de la péninsule arabique et la construction de barrages permettra la mise en valeur d’immenses espaces agricoles. L’avenir est donc théoriquement prometteur en dépit de l’enclavement qui constitue un handicap de plus en plus lourd et d’une menace posée par des mouvements régionaux sécessionnistes largement soutenus par l’Erythrée.
Le Mozambique est gangrené par la corruption et la question ethno-régionale, qui fut à l’origine de la guerre civile des années 1975-1994
La Sierra Leone a atteint un taux de croissance de 26% en 2012 et de 13,3% en 2013 (FMI) en raison de la mise en production de nouveaux gisements pétroliers. Ces chiffres s’expliquent aussi parce que le pays, totalement ruiné et détruit par l’atroce guerre tribale qui le ravagea de 1995 à 2002, a connu la reprise automatique de l’après-guerre.
En 2012, le Mozambique a eu un taux de croissance de 7,5% et l’avenir y parait prometteur en raison d’immenses découvertes gazières en off shore et de grandes potentialités agricoles. Cependant, le pays est gangrené par la corruption et la question ethno-régionale, qui fut à l’origine de la guerre civile des années 1975-1994, n’y a pas été réglée comme l’ont montré les élections du mois d’octobre 2014.
Les pays ayant atteint les OMD et dans lesquels l’horizon politique ne présente pas d’obstacles majeurs prévisibles à moyen terme
Totalement enclavé, le Malawi a atteint un taux de croissance de 5,5% en 2013, donc moins que les OMD. Le pays a connu une grave crise en 2010-2011; tout y a longtemps dépendu du tabac et du coût du carburant. Tous les espoirs résident désormais dans la production de l’uranium qui a débuté en 2010. Cette monoproduction suffira-t-elle à assurer une croissance pérenne de 7% ?
2- Les pays ayant atteint les OMD et dans lesquels l’horizon politique ne présente pas d’obstacles majeurs prévisibles à moyen terme.
Les problèmes politico-ethniques qui enfoncèrent le Ghana dans la crise durant le siècle passé n’ont pas disparu
Seuls deux pays sont concernés, le Ghana et le Botswana.
En 2011, le début de la production commerciale du pétrole a permis au Ghana d’avoir un taux de croissance de 15,1% ramené à 7,4% en 2012 et remontant à 7,9% en 2013 (FMI). Les problèmes politico-ethniques qui enfoncèrent le pays dans la crise durant le siècle passé n’ont pas disparu, mais, dans l’état actuel des choses, ils paraissent avoir été surmontés, du moins dans le Sud.
Au Botswana, la moyenne de progression du taux de croissance est de 9-10% an, ce qui a permis au pays de devenir un « pays à revenu intermédiaire ». Les diamants procurent 50% des recettes publiques, les 2/3 des exportations et 1/3 du PIB. Cependant, contrairement au postulat énoncé par les signataires des OMD, la progression du taux de croissance n’a pas permis de réduire le chômage, qui atteint 18%, et la pauvreté, qui frappe 20% de la population, d’où de potentielles menaces sociales.
Conclusion : en 2013-2014, seuls 10 pays africains sur 52 avaient atteint les objectifs des OMG; mais, sur ces 10 pays, 5 connaissaient de très graves incertitudes politiques et certains étaient même en perdition…Voilà qui ramène une fois encore les chiffres à la réalité…
*Les huit OMD adoptés en 2000 par 189 Etats sont : 1-réduire l’extrême pauvreté et la faim ; 2-assurer l’éducation primaire pour tous ; 3-promouvoir l’égalité et l’autonomisation des femmes ;4- réduire la mortalité des enfants de moins de cinq ans ; 5-améliorer la santé maternelle ; 6-combattre le VIH/SIDA, le paludisme et d’autres maladies ; 7-assurer un environnement durable ; 8-mettre en place un partenariat mondial pour le développement.
** Par ordre alphabétique: Botswana, Côte d’Ivoire, Ethiopie, Ghana, Libye, Malawi, Mozambique, Nigeria, Rwanda et Sierra Leone.
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