Depuis 75 ans, la paix règne en Europe, à quelques exceptions près. Cette longue période de paix, nous la devons principalement aux guerres qui ont ravagé le continent. Mais cette paix est de plus en plus menacée, et l’on ne peut déjà plus dire que les pays européens sont convergents. Une guerre pourrait-elle survenir dans l’Europe d’aujourd’hui ?
La Seconde Guerre mondiale a fait 60 millions de morts, et détruit de vastes zones du continent européen. Des millions de personnes se sont exilées ; des millions d’autres ont été ruinées. Ce maelstrom a créé un traumatisme qui a modifié la trajectoire de l’Europe, faisant comprendre à cette dernière qu’il était vital de résoudre ses rivalités internes sans que cela ne passe par des guerres.
Une guerre d’un nouveau type
La Seconde Guerre mondiale a en effet inauguré un conflit d’un genre nouveau. Une guerre totale, impliquant l’ensemble des territoires des pays, alors qu’auparavant, lors de conflits, les zones des hostilités étaient circonscrites. Une guerre particulièrement meurtrière, alors que jusqu’alors, les batailles épargnaient les villes et les civils.
Même lors de la Première Guerre mondiale, les combats étaient concentrés sur les lignes de front, dans l’est de la France et en Belgique. L’Allemagne a déploré relativement peu de destructions, et les populations civiles ont connu la faim, mais elles ont été globalement ménagées.
« Plus jamais ça »
Les politiciens d’après-guerre en Europe occidentale ont compris que les rivalités nationales avaient été le ferment de ces horreurs, et qu’il fallait les éradiquer. Les pays d’Europe de l’Ouest se sont associés pour se développer ensemble. Les pays de l’Est sont passés sous le joug soviétique. En dépit de la guerre froide qui a éclaté entre les Etats-Unis et l’Union soviétique, le continent européen a entamé une longue période de paix qui perdure encore à ce jour, même si l’on a tout de même enregistré quelques conflits régionaux.
Le militantisme pacifiste a aussi eu une influence, d’autant que jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les déclarations d’entrée en guerre avaient tendance à réjouir les populations. De plus, jusqu’à la fin des années 1990, les dirigeants d’Europe de l’Ouest étaient souvent des hommes et des femmes qui avaient eux-mêmes vécu la Seconde Guerre mondiale, et leur politique a été marquée par le mot d’ordre “plus jamais ça”.
La fin de leur carrière politique a clairement coïncidé avec une perte d’élan du projet européen. La disparition progressive des témoins de la Seconde Guerre Mondiale signifie que dans les années 2000, la paix était devenue une notion tellement évidente que les politiciens d’alors ne voyaient plus la poursuite de l’intégration européenne comme une nécessité.
Le nouvel élan des nationalismes
Le vide laissé par cet abandon a donné de la place aux activistes de l’Etat-nation. Dans son ouvrage « Der Gewaltsame Lehrer » (L’enseignant violent) l’historien Dieter Langewiesche écrit : « Il n’y a pas de nations sans guerre, pas d’États-nations sans guerre”. Le conflit en Yougoslavie nous montre que le potentiel conflictuel de cette notion d’Etat-nation est encore intact.
Or, cette dernière fait son grand retour aujourd’hui, profitant de l’érosion de la solidarité européenne suite à la crise de l’euro. Les tracés des frontières, pommes des discordes d’autrefois, ont été remplacés par l’ouverture des frontières. La Grande-Bretagne, avec le Brexit, veut “reprendre le contrôle”, selon le mantra des tenants du “Leave”. La démocratie libérale, autrefois associée à l’idéal européen, est déjà fortement ébranlée dans certains pays membres de l’UE (Hongrie, Pologne, ou plus récemment, Italie). On voit apparaître une nouvelle fracture systémique au sein du bloc, qui sépare les démocraties libérales des Etats autoritaires. Ce type d’antagonisme a déjà déclenché des conflits, comme la guerre froide, confrontation du capitalisme et du communisme.
Une paix fragile
Jusqu’à présent, les démocraties européennes n’étaient jamais entrées en conflit. Mais que se passera-t-il si un pays européen s’allie avec la Chine, par exemple ?
“Le choc de la Seconde Guerre mondiale qui s’estompe, le retour du nationalisme, la menace croissante qui pèse sur la démocratie libérale et la possibilité d’une rivalité systémique en Europe : Ce sont là quatre facteurs qui tendent à rendre la guerre plus possible”, conclut Dirk Kurbjuweit de Spiegel.
Par Audrey Duperron