Le Brésil est sens dessus dessous. Une commission parlementaire a voté par 38 voix contre 24 le lancement d’une procédure de destitution contre la présidente Dilma Rousseff. Que se passe-t-il exactement et quels sont les enjeux ?
Depuis 2002, une coalition de gauche gouverne au Brésil, emmenée par le Parti des Travailleurs (PT). D’abord présidé par Luiz Lula da Silva, le pays, huitième plus grande économie mondiale et le cinquième en nombre d’habitants, est depuis 2010 sous la présidence de Dilma Rousseff. Cet énorme pays, qui fait partie des économies émergentes des BRICS (avec la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud), est également l’un de ceux où l’inégalité de revenus est le plus grande. Et, mêle s’il y a beaucoup à redire sur ce gouvernement, il a indéniablement essayé de combattre la pauvreté.
Le gouvernement brésilien est par ailleurs une force importante dans le mouvement pour l’indépendance et le développement national en Amérique latine. Le Brésil fait ainsi partie de l’ALBA, l’Alliance bolivarienne pour les peuples des Amériques, créé en 2004 par Cuba et le Venezuela. Cette position est le fruit d’une longue évolution depuis la restauration de la démocratie après la brutale dictature militaire soutenue par les États-Unis qui a sévi entre 1964 et 1985.
Une couverture médiatique biaisée
Pour les puissants partis de droite pro-américains et pour les États-Unis eux-mêmes, la coalition gouvernementale de gauche, au pouvoir depuis maintenant près de 14 ans, est un contrecoup incroyable. Durant les élections d’octobre 2014, ils pensaient enfin pouvoir se débarrasser de Dilma Rousseff. Mais celle-ci a rassemblé 54 millions de voix derrière son nom et a remporté les élections. L’idée qu’en 2018, le très populaire Lula pourrait à nouveau être candidat à la présidence et que la gauche serait reconduite encore quatre années au pouvoir est pour eux inacceptable. D’où le fait que tout est mis en œuvre pour que les scandales de corruption successifs, dans lesquels ni Rousseff ni Lula ne sont directement impliqués, attisent la colère populaire, pour que celle-ci soit dirigée contre Rousseff et pour ainsi faire tomber le gouvernement.
Glen Greenwald, le journaliste américain qui, avec le lanceur d’alerte Edward Snowden, a révélé le programme d’espionnage des services secrets américains, vit au Brésil. Il confirme que la corruption est actuellement présente partout, dans les partis au gouvernement mais aussi dans l’opposition. Il y a par exemple une demande de levée de l’immunité parlementaire d’Eduardo Cunha, qui est le leader de l’actuelle tentative de destitution de la présidente Rousseff. Cunha aurait touché entre 2006 et 2012 cinq millions de dollars de pots-de-vin. Greenwald met en garde contre la fait que « ceux qui depuis longtemps ne supportent pas le résultat des élections démocratiques instrumentalisent les scandales de corruption pour mettre fin à la démocratie, comme en 1964 ».
D’où vient cette force de frappe de la droite ? Le paysage politique très divisé et l’autonomie des États composant le Brésil font que beaucoup de politiciens peuvent être achetés. Au sein de l’armée et de la justice, il y a de tout temps eu de la sympathie pour la droite et pour les États-Unis. En outre, la quasi-totalité du paysage médiatique est aux mains de quelques riches. La presse occidentale reprend avidement des images des manifestations antigouvernementales de ces médias brésiliens. Greenwald souligne cependant que ces manifestations mobilisent en toute grande partie la classe moyenne blanche. Les manifestations de masse en soutien au gouvernement, où les pauvres sont massivement présents, sont tout simplement niées.
Que va-t-il arriver ?
La plainte qui est à la base de la tentative de destitution de la présidente Rousseff ne porte pas sur une question de corruption. Elle porte sur le fait que le budget qu’elle avait présenté en 2014, et qui avait été approuvé par le Parlement, a débouché par après sur un déficit plus grand que prévu. Il n’est aujourd’hui pas encore certain que cette procédure de destitution sera effectivement mise en œuvre. Pour cela, il faut en effet deux tiers des voix à la Chambre basse, qui décidera le 17 avril. Dans la commission qui a décidé de présenter la procédure de destitution au Parlement, seuls 58 % ont voté pour. Si le Parlement soutenait quand même par 66 % des voix la décision de la commission, Rousseff devrait temporairement se retirer et se soumettre à une procédure face au Sénat, qui rendra alors sa décision définitive après six mois. Si ce scénario se matérialise, une période très agitée attend le Brésil.
Tony Busselen