Les Etats-Unis d’Amérique viennent de sortir d’un scrutin historique. Le locataire de la maison blanche refuse de concéder la défaite. Dans cette reflexion, Daly Ngarambe tente d’expliquer la complexité de la présidentielle au pays de l’Oncle Sam : « Les résultats annoncés par la presse ne sont que des projections, ce ne sont pas des résultats officiels».
Il a fallu 4 jours d’une course électorale hors du commun pour que les médias du monde annoncent finalement Joe Biden comme vainqueur. Mais le président sortant, Donald Trump n’a pas reconnu sa défaite pour autant et le traditionnel discours de concession du candidat malheureux n’est jamais arrivé. D’aucuns pourraient alors se demander si c’est là une simple posture de mauvais perdant ou s’il reste au candidat Trump, des voies légales pour continuer à espérer gagner l’élection.
Eh bien tout d’abord, il faut savoir que l’élection présidentielle n’a pas encore eu lieu. En effet, les américains n’élisent jamais leur président. Celui-ci est élu par des personnes déléguées par chacun des 50 Etats membres : le fameux « collège électoral » dont la taille fixée par le 23è amendement est de 538, chaque Etat ayant une délégation (grossièrement) proportionnelle à sa population.
Deuxièmement, l’article II de la constitution laisse à chaque Etat, la liberté de définir la composition de sa délégation ; les Etats ne sont, par exemple, pas obligés de consulter leur population. En 2020, la règle dans les 50 Etats est toutefois que les délégués sont déterminés en fonction du vote populaire comme celui qui s’est déroulé le 3 novembre dernier. Les délégués ne sont cependant assignés à la proportionnelle que dans 2 Etats, le Maine et le Nebraska. Dans les 48 autres Etats, la norme est d’assigner tous les délégués de l’Etat au candidat qui obtient le plus de vote, quel que soit l’écart.
C’est ainsi que l’Etat de la Floride qui compte 29 délégués, les a tous assignés à Donald Trump qui a obtenu 51% et aucun pour Joe Biden qui a pourtant obtenu 49%.
Troisièmement, les résultats annoncés par la presse ne sont que des projections, ce ne sont pas des résultats officiels. Les différents Etats permettent aux candidats d’introduire des recours s’ils soupçonnent des irrégularités dans le vote. Ces recours dépendent des règles propres à chaque Etat (oui, chaque Etat a ses propres règles) mais aussi l’importance de cet Etat pour le candidat et l’écart des votes. En ce moment, le président Trump a par exemple introduit des recours en Pennsylvanie (20 délégués en jeux et 0.7% d’écart dans les votes), dans le Wisconsin (10 délégués et 1.3% d’écart) ou la Géorgie (16 délégués et 0.2%) plutôt que la Californie où Joe Biden a une avance de plus de 30% et a remporté les 55 délégués de l’Etat.
Quatrièmement, les lois fédérales ont figé certaines dates cruciales :
- La grande élection populaire doit se dérouler le premier mardi après le 1er lundi de novembre qui, cette année était le 3novembre. C’est bien à cette date que les élections ont eu lieu dans tous les Etats malgré qu’un certain candidat-président avait suggéré de reporter les élections (ça aurait créé un vide juridictionnel).
- Le vote des délégués doit se dérouler dans chaque Etat, le 1er lundi après le 2è mercredi de décembre qui tombera cette année, le 14 décembre.
- La certification définitive de la composition des délégations doit avoir lieu au moins 6 jours avant le vote des délégués, la limite cette année est donc le 8 décembre. Cela constitue en quelques sorte la date limite pour chaque Etat de résoudre les disputes électorales de manière définitive. Les résultats ainsi certifiés par un Etat, ont une valeur prioritaire au niveau du congrès fédéral qui a le rôle de valider l’élection du président.
- Le décompte des voix par les deux chambres du Congrès Fédéral, le 6 janvier suivant les élections.
- La fin du mandat présidentiel, le 20 janvier à 12h précise.
Cinquièmement, un Etat peut se retrouver avec des délégations concurrentes au lieu d’une. Normalement, après le décompte des votes populaire selon la loi de chaque Etat, une assignation officielle des délégués doit se faire en faveur d’un des candidats à la présidence. Le moment venu (le 14 décembre pour cette année), les délégués désignés doivent alors se réunir dans la capitale de leurs Etats et voter officiellement pour le président. L’ensemble des votes de la délégation est ensuite envoyé sous scellé, au Congrès Fédéral pour qu’ils soient comptabilisés avec les votes des autres Etats, le moment venu (pour cette fois, ce sera le 8 janvier 2021).
Mais s’il arrivait qu’à la date finale de certification (le 8 décembre pour cette année), toutes les disputes ne soient pas soldées et que les parties en courses ne soient pas d’accord sur les délégués à désigner, alors l’Etat pourrait se retrouver dans l’incapacité d’envoyer son vote à temps. Ou alors, la délégation d’un candidat pourrait être autorisée à se réunir, à voter et à envoyer leurs votes au Congrès (sans certification, cependant). La délégation d’un autre candidat pourrait tout à fait se réunir aussi, voter et envoyer des votes concurrents au Congrès pour le même Etat. En l’absence de votes certifiés, il appartiendra entièrement au Congrès Fédéral de déterminer quelle délégation est légitime ou même décider d’ignorer les votes de l’Etat en question.
Sixièmement, les délégués peuvent tout à fait ne pas voter pour le candidat auquel ils ont été assignés. On les appelle les « faithless electors » et seuls 17 Etats ont des réglementations pour rectifier leurs votes « déviants » ; autrement, leurs choix sont comptabilisés comme valides. Sans avoir jamais fait basculer une élection, cela est tout de même déjà arrivé par exemple lors des élections de 2016 où 10 délégués n’ont pas voté pour le candidat auquel ils étaient assignés, et 7 de ses votes détournés ont été comptabilisés : 5 initialement assignés à Hillary Clinton et 2 qui étaient normalement assignés à Donald Trump.
Septièmement, le choix du président n’est pas lié à celui de son vice-président. Par soucis de simplicité, je n’avais jusqu’ici parlé que d’un vote, celui du président. Dans la réalité, un autre vote se déroule toujours parallèlement pour la place du vice-président. Conformément au 12è amendement, il est comptabilisé séparément et indépendamment de celui du président.
Les « faithless elector » dont nous avons parlé précédemment n’ont jamais pu faire basculer le choix du président mais il est arrivé que le choix du vice-président soit différent de celui attendu. Imaginons par exemple que Joe Biden soit effectivement élu président mais qu’à la place de Kamala Harris, quelqu’un d’autre soit élu vice-président. C’est tout à fait possible et légale !
Huitièmement, le congrès peut ignorer le choix de la population et le choix des délégués. Oui, c’est bien cela, le congrès fédéral peut décider tout seul, comme si les élections n’avaient jamais eu lieu.
Dans la procédure normale, les votes de différents Etats sont dépouillés par les 2 chambres du congrès fédéral, ils sont vérifiés, validés et finalement comptabilisés afin de déclarer le président et le vice-président élus. Toutefois, si aucun candidat président ou aucun candidat vice-président ne remporte pas plus de 50% des voix, le 12è amendement de la constitution prévoit que 2 votes séparés soient organisés : un par la chambre des représentants pour élire le président parmi les 2 candidats ayant reçu le plus de votes des délégués, et un autre par le sénat pour élire le vice-président parmi les 3 candidats ayant eu le plus de votes des délégués.
Pour le vote du président, chacun des sénateurs vote individuellement (chaque Etat compte 2 sénateurs). Pour le vote du vice-président, les membres de la chambre des représentants ne votent pas individuellement mais une voix unique est comptabilisée pour chaque Etat. Ainsi par exemple, un Etat comme la Californie qui compte 53 représentants a exactement le même poids que l’Alabama qui n’en a que 7.
Neuvièmement, cette session est présidée par le Congrès entrant dont le président du Sénat est le vice-président en exercice et dont le président de la chambre des représentants est élu à l’inauguration de la nouvelle législature prévue 3 jours plus tôt, le 5 janvier.
Dixièmement, si aucun résultat ne permet de déclarer un président élu, alors à l’expiration du mandat présidentiel (le 20 janvier à 12h précise), la ligne de succession s’applique et le président de la chambre des représentants devient président des Etats-Unis d’Amérique.
(Iwacu) Par Daly Ngarambe