Isidore Mbayahaga demande au ministre chargé de l’Intérieur de déclarer « l’irrégularité » de la réunion du 11 mai qui l’a exclu du parti.
Dans sa lettre du mardi 18 mai adressée au Président de l’Assemblée nationale et au ministère en charge de l’Intérieur, Isidore Mbayahaga (ancien cadre du parti connu notamment pour avoir soutenu le candidat Evariste Ndayishimiye lors de la présidentielle de 2020), s’insurge contre son exclusion, celle de Gaston Sindimwo, l’ancien vice-président et celle d’Anicet Niyongabo (député et ancien cadre de l’Uprona) à travers une réunion tenue le 11 mai par le président du parti, Abel Gashatsi. M. Mbayahaga conteste « la décision d’une seule personne qui s’accroche à la direction de l’Uprona en le spoliant de tous ses biens ».
Et d’estimer que cette réunion du 11 mai a passé outre les recommandations du ministre de l’Intérieur dans sa lettre du 23 avril 2021.
Isidore Mbayahaga demande au ministre « ayant la gestion des partis politiques » dans ses attributions de déclarer « l’irrégularité » de la réunion du 11 mai. Motifs ? L’actuelle direction de l’Uprona aurait dépassé la durée légale de son mandat et, par conséquent, dit-il, les décisions pouvant être prises par ce bureau sont « nulles et de nul effet ».
M. Mbayahaga prie aussi le ministre de l’Intérieur « de donner des autorisations aux Badasigana pour tenir des congrès pouvant donner lieu à l’élection de nouveaux organes légitimes ».
Enfin, celui qui a soutenu le candidat du Cndd-Fdd à la présidentielle de 2020, demande à la justice burundaise d’agir « pour que les Biens des Badasigana spoliés par Abel Gashatsi soient payés en prix équitable ».
Retour sur un feuilleton aux multiples rebondissements
Vendredi 23 avril, dans une correspondance, le ministre de l’Intérieur, Gervais Ndirakobuca, a porté à l’attention du représentant légal de l’Uprona des reproches des militants de ce parti faisant état d’exclusion ‘’arbitraire’’ dans les activités du parti, notamment les congrès communaux qui seraient en train d’être organisés dans toutes les communes du Burundi.
Le ministère rapporte, dans la même correspondance, que les organes représentatifs du parti de Rwagasore convoqueraient des congrès communaux en violation des articles 20 et 35 des statuts du parti. Le ministère a décidé que « les congrès communaux déjà organisés et qui font l’objet de contestation sont nuls et de nul effet et sont à invalider. Les congrès programmés sont suspendus jusqu’à nouvel ordre. »
Vendredi 30 avril, l’ancien premier vice-président de la République, Gaston Sindimwo, Anicet Niyongabo et Isidore Mbayahaga, ont adressé une missive au président de l’Uprona, Abel Gashatsi. Dans cette lettre, les reproches faits à l’actuel Deuxième vice-président de l’Assemblée nationale sont multiples : convocation de congrès en violation de l’article 20 des statuts du parti, exclusion de nombreux Badasigana, interdiction aux membres du congrès d’élire leurs représentants.
Comme solution, les signataires de cette lettre préconisent un dialogue entre les trois courants qui constitueraient désormais le parti du prince Rwagasore (le courant Mbayahaga, le courant Sindimwo et le courant Gashatsi). Et de proposer que chaque courant puisse être représenté par 3 personnes.
Le 11 mai, le président du parti, Abel Gashatsi, a initié une réunion avec le bureau exécutif durant lequel Gaston Sindimwo, l’ancien premier vice-président de la République, Isidore Mbayahaga et Anicet Niyongabo, ont été exclus du parti. Une décision très contestée auprès d’un certain nombre de militants.
Dans les jours qui ont suivi ce congrès, les responsables du parti en Mairie de Bujumbura, qui, à leur tour seront démis de leurs postes, ont dénoncé un congrès tenu par des instances « illégales » (Selon les statuts du parti, le mandat du bureau exécutif dirigé par Abel Gashatsi a théoriquement pris fin le 14 août 2020).
D’après le même communiqué, le groupe Gashatsi aurait été courroucé par le fait que Gaston Sindimwo fasse appel au ministre de l’Intérieur dans la lettre du 30 avril. Une démarche que défendent les responsables de l’Uprona en Mairie de Bujumbura. « Il n’a fait que solliciter les autorités compétentes ». Et d’ajouter que l’alliance entre l’ancien Premier vice-président de la République et Isidore Mbayahaga, connu pour s’être rallié au Cndd-Fdd pour la présidentielle de 2020, démontre l’ouverture d’esprit de Gaston Sindimwo « en vue de reconstruire le parti ».
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Alain Ndayiziga : « C’est la pagaille qui règne à Ku Mugumya »
Militant engagé de l’Uprona et se présentant comme membre du bureau exécutif, Alain Ndayiziga est très remonté contre la direction de son parti. « Comment se sont-ils permis de démettre les membres du Conseil des Sages alors que c’est ce dernier qui contrôle la direction du parti ? La direction peut-elle montrer la correspondance adressée à des membres exclus du bureau exécutif ? ».
Alain Ndayiziga demande des comptes sur la gestion financière du parti. « L’équipe d’Abel Gashatsi peut-elle montrer un rapport sur l’état des finances pour une seule année ? »
L’autre point de discorde : la gestion des propriétés du parti. « Au moins six terrains appartenant au parti Uprona ont été vendus : Nyakabiga, Rohero, Kamenge, une partie de Ku Mugumya (siège national du parti) et d’autres à Ngozi et Rumonge, ont été vendus sans que le bureau exécutif ait été mis au courant ! Par la suite, la direction a prétendu avoir demandé l’aval du Conseil des Sages alors que celui-ci n’a qu’un rôle consultatif, le rôle décisionnel revenant au bureau exécutif ! », fulmine Alain. D’après lui, le montant de ces propriétés s’élèverait à plus de 10 milliards BIF.
« A aucun moment, le bureau exécutif n’a été convoqué pour décider du budget de fonctionnement du parti. De ce fait, la direction menée par Abel Gashatsi s’est servie à plus soif !», indique également le jeune militant.
M. Ndayiziga ne s’arrête pas là. Il dénonce une quasi-absence de réunions du bureau exécutif. « A partir du moment où la contestation a commencé à monter, les réunions du bureau exécutif qui, conformément aux statuts, doivent se tenir au moins une fois le mois, se sont beaucoup espacées ».
En 2019, Alain Ndayiziga et 22 autres militants du parti (Membres du bureau exécutif et du Conseil des Sages) rédigent une pétition pour demander la démission d’Abel Gashatsi et son équipe de la tête du parti. « Nous voulions une nouvelle équipe dirigeante qui allait être mandatée pour l’organisation de la campagne en vue des élections de 2020 ». Le militant révèle que l’ancien premier vice-président, Gaston Sindimwo, aurait plaidé pour leur maintien dans le parti. Toutefois, les 23 Badasigana perdent leurs postes respectifs dans les organes du parti.
Le militant n’a pas des mots assez durs à l’encontre du Deuxième vice-président de l’Assemblée nationale. « Il a liquidé le patrimoine du parti, a dilapidé les biens du parti, il n’y a ni administration ni procédure au sein du parti, une partie des loyers est perçue en mains propres … c’est la pagaille qui règne à Ku Mugumya ».
Et de conclure : « Nous avons préféré perdre nos postes quelque chose manque au sein du parti que d’assister à la décrépitude du parti occasionnée par le management désastreux de la direction actuelle.»
« Demander l’arbitrage du ministère de l’Intérieur est un non-sens », dixit un ancien militant de l’Uprona.
L.M. est un ancien ténor du parti de Rwagasore. L’homme, d’un âge mûr, fait un clin d’œil à Gaston Sindimwo. « En réalité, les mêmes qui ont cautionné les exclusions arbitraires dans le parti en sont aujourd’hui victimes et se rendent compte aujourd’hui à quel point c’est mauvais parce que ça leur arrive. C’est la revanche du temps ».
« Demander l’arbitrage du Ministère de l’Intérieur est un non-sens », fait savoir L.M. D’après cet ancien membre du parti, on ne peut pas demander à un éminent membre d’un autre parti politique de trancher les affaires qui opposent les membres d’un autre parti.
L.M. accuse également Gaston Sindimwo d’avoir cautionné la vente des terrains. « A l’époque où tout cela se passait, Sindimwo était encore du côté d’Abel Gashatsi et son équipe ».
D’après cet ancien ténor du parti de Rwagasore, avec l’accession de Térence Sinunguruza à la première vice-présidence, le parti a commencé à être géré du côté de la Première vice-présidence. Ce que cet ancien militant dit trouver saugrenu. « C’était la première vice-présidence du parti qui devait être l’émanation du parti et non l’inverse ».
Selon L.M., c’est cette supposée mainmise de la Première vice-présidence sur le parti qui aurait entaché les liens entre l’actuelle direction du parti et l’ancien Premier vice-président. « Abel Gashatsi s’est agacé du fait que Gaston Sindimwo soit celui qui donne des directives au sein du parti et cela a été aggravé par le fait que Gaston Sindimwo avait créé des structures parallèles au sein du parti».
Quant aux réunions du bureau exécutif qui se tiendraient rarement (D’après les accusations d’Alain Ndayiziga), L.M voit deux raisons à cela : Le président éviterait de convoquer les réunions du bureau exécutif, soit pour éviter les querelles qui surgiraient sûrement, soit pour éviter de se retrouver en position minoritaire par rapport à ses détracteurs au sein du parti.
Olivier Nkurunziza : « Gaston Sindimwo a l’intention de saboter le parti »
Selon le secrétaire du parti Uprona, les signataires de la pétition de 2019 à l’encontre des organes dirigeants du parti, sont coupables de rébellion. « Ils ont osé signer pour demander la démission du président du parti, l’accusant de détournements de fonds alors qu’ils avaient été préalablement consultés pour toutes les dépenses émises ! »
D’après Olivier Nkurunziza, ceux qui s’estimaient lésés pouvaient se plaindre directement auprès du bureau exécutif et « non pas appeler à l’insurrection au sein du parti ».
M. Nkurunziza confirme que des membres du Conseil des Sages ont été démis de leur poste pour avoir, dit-il, contribué à la pétition de 2019. « Être exclu de son poste en tant que membre d’une instance ne signifie pas être exclu du parti. C’est à partir du moment où certains signataires de la pétition ont récidivé qu’on est passé à la vitesse supérieure ».
Concernant l’exclusion de Gaston Sindimwo, le secrétaire Olivier Nkurunziza évoque des manœuvres de sabordage de la part de l’ancien Premier vice-président. « Nous avons appris qu’il avait écrit en date du 23 mars une lettre au ministère de l’Intérieur demandant la suppression du comité central alors que nous avions tenu des réunions avant cette date dans lesquelles il prenait part et où il n’a exprimé aucune plainte ! », s’étonne M. Nkurunziza.
Son alliance avec Isidore Mbayahaga et Anicet Niyongabo a aussi suscité l’ire de la direction du parti. « Comment est-il parti s’allier avec des gens dont il avait auparavant soutenu l’exclusion des organes du parti ? C’est franchement malhonnête », juge Olivier Nkurunziza. Le secrétaire de l’Uprona va plus loin. « Gaston Sindimwo a l’intention de saboter le parti ».
Quant aux terrains vendus, le haut-cadre du parti soutient que les décisions de vente ont été toutes avalisées par les organes habilités au sein du parti. « Quelqu’un comme Gaston Sindimwo a apposé sa signature à tous les documents autorisant les ventes. Tout a été fait dans l’intérêt du parti. Vouloir prétendre le contraire, c’est embrouiller l’opinion ». Et d’insister sur le fait que les dépenses ordinaires du parti servent souvent à payer des dettes notamment auprès d’organismes tels l’INSS (qui réclamerait au parti plus de 50 millions BIF) mais également la régularisation des cotisations d’assurance pour d’anciens militants ayant œuvré dans les organes du parti.
Pour le cas des réunions du bureau exécutif qui se seraient trop espacées dans le temps, Olivier Nkurunziza avance : « S’il y a des descentes sur terrain, nous préférons reporter la réunion. En plus, il peut parfois y avoir des problèmes de moyens, notamment liés au transport des membres qui viennent de l’Intérieur du pays.» Et d’ajouter que ceux qui se plaignent de cet état de fait là n’ont jamais soumis aucune lettre à la direction pour exiger des explications.
Pour ce qui est du dialogue, le secrétaire du parti Uprona est formel : « Comment peut-on demander à dialoguer avec des instances dont on récuse la légitimité ? »
Par Alphonse Yikeze (Iwacu)