Le Conseil de sécurité des Nations Unies se réunit ce vendredi soir à New York. Les 15 membres doivent se prononcer sur une résolution très ferme rédigée par les États-Unis et l’Albanie. Le texte exige le retrait immédiat des troupes russes d’Ukraine, sous la menace d’une intervention armée internationale.
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Le Conseil de sécurité a pour mission première de maintenir la paix et la sécurité internationale, en menant une action « rapide et efficace ». Si toutes les tentatives de négociations diplomatiques, de médiation, de sanctions ont échoué à éviter la guerre, il peut faire appel au chapitre VII de la Charte des Nations Unies, celui qui envisage la mesure ultime, l’imposition de la paix par la force. Ce chapitre VII est invoqué par le projet de résolution soumis aujourd’hui au Conseil.
Un veto russe attendu
Mais lors de la création des Nations Unies après la Seconde Guerre mondiale, les cinq grandes puissances (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et Russie) ont prévu un mécanisme de blocage. Les cinq grands sont des membres permanents du Conseil de sécurité, tandis que les 10 autres pays n’y siègent que pour une durée de deux ans. Pour être adoptée, une résolution doit être votée par au moins neuf membres, et ne pas avoir reçu de vote négatif d’un permanent. Autrement dit, les grandes puissances détiennent un droit de veto.
Un veto de la Russie est donc attendu contre la résolution condamnant l’invasion de l’Ukraine. La Chine, qui soutient la Russie dans cette crise, pourrait également voter contre ou s’abstenir. Les autres membres devraient voter en faveur du texte, même s’il existe un doute du côté de deux membres non-permanents, l’Inde et les Emirats arabes unis.
Montrer l’isolement de la Russie
« Les chances de faire aboutir une quelconque résolution qui condamnerait l’invasion de l’Ukraine par la Russie sont forcément vouées à l’échec », confirme François Dubuisson, professeur de droit international à l’ULB. « Mais ça a une dimension symbolique : c’est de montrer qu’il y a un consensus au sein du Conseil de sécurité, à l’exception de la Russie. Probablement que la Chine mettrait une abstention, ou même s’opposerait, mais ça permet de montrer l’ensemble des Etats qui sont prêts à soutenir la résolution. Il arrive souvent qu’un projet de résolution voué à l’échec ne passe même pas au vote. Mais si le but est de mettre en lumière l’isolement de la Russie, on peut passer au vote. »
Ça montre que la politique de la Russie, c’est une politique de force, menée au mépris du droit international et des procédures des Nations Unies.
L’objectif immédiat des pays occidentaux au Conseil de sécurité ne serait donc pas d’arrêter la guerre, mais de montrer à quel point Vladimir Poutine a mis son pays au banc des nations, en dehors du consensus international. « Les Nations Unies sont basées sur le principe de l’interdiction du recours à la force, du respect de la souveraineté des Etats et de leur intégrité territoriale, rappelle François Dubuisson. Ça permet de réaffirmer ces principes-là dans ce contexte-ci. Ça montre que la politique menée par la Russie, c’est une politique de force, menée au mépris du droit international et des procédures des Nations Unies. Ici, la Russie met de côté le Conseil de sécurité, qui peut prendre des dispositions pour aider au règlement des différends, prendre des mesures pour éviter toute rupture de la paix, ou intervenir en cas de menace contre la paix. Ça serait une manière de mettre le plus en évidence possible le fait que la Russie est isolée dans ce contexte et agit au mépris des principes de la Charte des nations Unies. »
Un veto russe soulignerait l’isolement de la Russie, mais il mettrait aussi en évidence l’impuissance du Conseil de sécurité à mettre fin à un conflit dès lors qu’un membre permanent y est impliqué. « Il faudrait être très naïf pour ne pas l’avoir compris depuis la période de la guerre froide », sourit François Dubuisson, en faisant allusion à des décennies de paralysie de cet organe, entre 1946 et 1991. « Dès qu’un conflit mettait en jeu les intérêts de tel camp ou de tel autre, on avait un blocage. Ce n’est qu’après la chute de l’Union soviétique que le Conseil de sécurité a retrouvé un plus grand rôle. On a alors pu utiliser ses compétences, y compris pour autoriser certains recours à la force pour le maintien de la paix. »
Le dernier forum où les ennemis se parlent
Si les Nations Unies ne peuvent pas empêcher un conflit voulu par une grande puissance comme la Russie, elles demeurent le dernier lieu où des pays en guerre peuvent se parler face à face. Ce fut le cas mardi, lorsque le représentant ukrainien y a interpellé l’ambassadeur russe, au moment même où les frappes commençaient sur son pays.
« C’est ça l’intérêt des Nations Unies, plaide François Dubuisson. On va souvent les critiquer du fait de leur impuissance, mais ça reste malgré tout un forum mondial où sont représentés tous les États, indépendamment du caractère plus ou moins sympathique de leurs régimes. Nombre de conflits ont été résolus grâce à l’intervention des Nations Unies, via le secrétaire général, ou via des organes de médiation. Dans ce cas-ci, à un moment donné, il va falloir refaire parler la diplomatie. Et là, les Nations Unies pourront jouer un rôle. Vu l’importance et la force de la Russie, il n’y aura peut-être pas de solution définitive, mais on pourrait aboutir à un modus vivendi, un accord intermédiaire pour geler les choses et éviter un conflit de longue durée ».
Le professeur de droit international évoque un autre mécanisme de décision en cas de blocage du Conseil de sécurité, l’appel à la résolution Acheson : « Cela permet à l’assemblée générale de l’ONU de se saisir de la question et adopter des résolutions. Elles n’auront pas la même force juridique que les résolutions du Conseil de sécurité. Il s’agira simplement de pouvoir faire des recommandations, par exemple pour prendre des sanctions ou de ne pas reconnaître les indépendances » des républiques pro russes autoproclamées.
Par Daniel Fontaine