Guerre géopolitique : Alors que l’ONU évoque une discrimination ciblant les Tutsi, le Burundi réplique que ces classifications relèvent d’une construction coloniale instrumentalisée aujourd’hui.
Genève (Suisse, ONU), 27/11/2025 — En pleine recomposition mondiale où les rivalités entre les États-Unis et la Chine redessinent les alliances, la politique étrangère du Burundi se trouve à nouveau au centre des projecteurs. Depuis l’échec de la Révolution de couleur au Burundi en 2015 et du coup d’État militaire du 13 mai 2015 [1], une « guerre humanitaire » [2] s’est installée, visant à fragiliser l’État burundais. C’est dans ce climat tendu que Bizimana Edouard, diplomate chevronné, auteur [3] et actuel ministre des Affaires étrangères, de l’Intégration régionale et de la Coopération au développement, a été convoqué à l’ONU, à la 3177ᵉ réunion de la 116ᵉ session du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale ( https://www.ohchr.org/fr/treaty-bodies/cerd ).
Au cœur des échanges, la question ethnique du Burundi. Elle renvoie à ce que nombre d’intellectuels burundais qualifient d’« outil raciste géopolitique (et géostratégique) colonial : le conflit interethnique Hutu-Tutsi » [4], imaginé en 1911 par l’Allemand Hans Meyer [5] pour briser les sociétés burundaise et rwandaise et s’approprier leurs terres. Dès les premières minutes, il était clair que la discussion avec le ministre Bizimana dépassait le cadre technique d’un rapport onusien : elle s’inscrivait dans une lecture profondément occidentale de la région, ancrée dans la logique coloniale ( cf. Colonialité ).
Dans la tradition burundaise, Hutu, Tutsi et Twa ne désignent pas des ethnies, mais des titres sociaux liés à l’Ubungoma ( la pensée autour du Tambour Sacré Karyenda : Cosmologie, Spiritualité des Barundi), à Ingoma ( l’Etat millénaire dyarchique, institution politique des Barundi ) et à l’Ubumu (le système socio-économique écologique des Barundi inspiré de la Femme-Tambour : MUkakaryenda ) [6]. Ce sont les puissances coloniales – la Croix et la Bannière – [7] qui ont fabriqué et figé ces catégories en identités ethniques, plus tard institutionnalisées dans les quotas ethniques de la Constitution de l’après-guerre civile (1993-2003) qui opposait la France aux USA en Afrique [8]. Après leur victoire diplomatique dans la région, les États-Unis ont renforcé ces classifications lors de l’Accord d’Arusha en 2000, afin de conserver une influence géostratégique décisive dans les Grands Lacs Africains.
Aujourd’hui encore, dans un monde devenu multipolaire, l’ONU ( OHCHR ) — et à travers elle l’Occident — estime que les Tutsi seraient discriminés au Burundi. Du côté burundais, on perçoit surtout une manœuvre politique liée aux affrontements géopolitiques à l’Est de la RDC, notamment au Kivu, où se joue la bataille autour de la nouvelle Route de la Soie chinoise [9] reliant Dar es-Salaam au Katanga [10] ( et à Lobito en Angola : pour les USA ). L’armée burundaise y protège les populations congolaises contre une insécurité alimentée par les activités du Rwanda via le M23 et certains groupes « Banyamulenge » se revendiquant Tutsi congolais, dans un schéma comparable aux groupes armés « forces négatives », terroristes, islamistes, ou pirates opérant au Cameroun, au Golfe de Guinée, au Sahel, aux deux Soudan, ou dans le delta du Mozambique.
Au Sud-Kivu, les Banyamulenge et le M23 — acteurs majeurs de l’instabilité régionale — accusent le Burundi de commettre un génocide contre les Tutsi de RDC. Bujumbura dément fermement [11]. Pour Washington, toutefois, maintenir cette région dans la tourmente demeure stratégique : une instabilité chronique permettrait de freiner l’ascension économique de la Chine et d’enrayer son influence mondiale.
En venant à ce rendez-vous de Genève, le Burundi cherchait à mesurer l’intensité de la « guerre humanitaire » en cours contre lui malgré sa tentative d’ouverture depuis 2020 [12]. Les premiers signaux laissent penser que la pression internationale ( occidentale ) ne faiblira pas.
Références :
[1] Ndayicariye Pierre Claver, Burundi 2015: Chronique d’un complot annoncé, Bujumbura, Compress, 2020.
[2] Nahimana Karolero Pascal, Histoire du Burundi : Les grandes dates de l’histoire des Barundi et de l’État millénaire africain – Ingoma y’Uburundi, Bruxelles, Génération Afrique, 2024. | https://nahimanakarolero.com
[3] Bizimana Edouard, Quelle diplomatie pour les pays post-conflits ? Quelques pistes d’exploration pour le cas du Burundi, Paris, L’Harmattan, 2008.
— Bizimana Edouard, A Sense in Nonsenses, Moscou, IT͡S Universiteta upravlenii͡a “TISBI”, 2016 (Poésie).
— Bizimana Edouard, Nina, la reine au cœur brisé, Paris, Scribe, 2017 (Roman).
[4] Nahimana Karolero Pascal, Réfugiés du Burundi — Quand Ingoma s’est tu. Histoire géopolitique d’un peuple brisé par la Colonialité, Bruxelles, Génération Afrique, 2025.| https://nahimanakarolero.com
[5] Rugurika Mathias, Repères historiques du Burundi : Tome 1 : de la période précoloniale à l’indépendance, le 1er juillet 1962, 2022.
[6] Nahimana Karolero Pascal, Réfugiés du Burundi — Quand Ingoma s’est tu. Histoire géopolitique d’un peuple brisé par la Colonialité, Bruxelles, Génération Afrique, 2025. | https://nahimanakarolero.com
[7] Baranyanka Charles, Le Burundi face à la Croix et à la Bannière, Bruxelles, 2015. (La « Croix et la Bannière » désigne l’alliance historique entre le Vatican, la France – notamment via les Pères Blancs de Lavigerie –, l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique et les États-Unis contre l’ordre traditionnel burundais depuis le XIXᵉ siècle.)
[8] Karolero Pascal Nahimana, La guerre civile du Burundi (1993-2003). Face à la globalisation unipolaire américaine néolibérale, le CNDD-FDD, Bruxelles, Génération Afrique, 2024. | https://nahimanakarolero.com
[9] Nouvelles routes de la soie, Belt and road initiative (B.R.I.) – https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/routes-de-la-soie Vu 30/11/2025
[10] Congo-Kinshasa : les USA, la Chine et la « guerre du cobalt », voici les intérêts en jeu – https://www.agenzianova.com/fr/news/congo-kinshasa-gli-usa-la-cina-e-la-guerra-del-cobalto-ecco-gli-interessi-in-gioco/ Vu 30/11/2025
[11] Burundi / Géopolitique – RDC, Rwanda, USA : Comment comprendre la signature du 27 juin 2025 ? https://burundi-agnews.org/burundi-geopolitique-rdc-rwanda-usa-comment-comprendre-la-signature-du-27-juin-2025/ Vu 30/11/2025
[12] Burundi / Bilan : De 1920 à 2025 – Repenser “à la manière du Tambour” la colonialité persistante. https://burundi-agnews.org/burundi-bilan-de-1920-a-2025-repenser-a-la-maniere-du-tambour-la-colonialite-persistante/ Vu 30/11/2025
[ https://www.youtube.com/watch?v=QaY6K-nFI9E ]
[ https://www.youtube.com/watch?v=7tWa_VveDmc ]
Sources : Nahimana P. , http://burundi-agnews.org, Dimanche 30 novembre 2025