Au Mont Sion, le centenaire des premiers prêtres burundais ravive les blessures de la colonialité et l’effacement d’Ubungoma sacré millénaire.
Bujumbura, 6/12/2025 – Au Burundi, la colonisation [1] a laissé des traces qui se font encore sentir aujourd’hui. On parle ainsi de « colonialité présente » pour désigner une profonde aliénation sociale toujours à l’œuvre.
En présence du très aimé Vice-Président du Burundi, S.E. Bazombanza Prosper, Mgr Nahimana Bonaventure, archevêque de l’archidiocèse de Gitega et président de la Conférence épiscopale catholique du Burundi (CECAB) [2], a présidé, au Mont Sion Gikungu, la messe de clôture du jubilé marquant les cent ans de l’ordination des premiers prêtres burundais.
La célébration liturgique, solennelle et très suivie, a offert aux fidèles un moment de ferveur, mais aussi de mémoire et d’interrogation sur l’histoire.
Dans son homélie, l’archevêque a rappelé que les deux premiers Burundais ordonnés prêtres, Ntidendereza Patrice et Ngendagende Émile, l’ont été le 19 décembre 1925. À cette époque coloniale, les Barundi pensaient encore selon la logique du Tambour sacré Karyenda, soit l’Ubungoma [3]. Les Banyamaganga étaient traqués, massacrés, et fuyaient Ingoma y’Uburundi (cf. génocide des Banyamaganga) [4]. Trois ans plus tôt, la « Croix et la Bannière » [5] avait fait tuer Ntirwihisha Kanyarufuso Runyota, le Muhanuzi. Dans ce contexte, ces deux prêtres étaient perçus à la fois comme des fous et comme des traîtres. Pour les Barundi, c’était déjà une catastrophe.
Mais la véritable catastrophe survient en 1929. Par les conversions forcées, les missionnaires Pères blancs transforment Mukakaryenda ( la femme Tambour Sacré ), la Divinité suprême des Barundi, représentante du Tambour sacré Karyenda et appelée Ruburisoni, en « Maria Ruburisoni ». C’est l’effondrement de l’un des piliers institutionnels des Barundi : la fin de l’institution de Karyenda et de son palais Buryenda. Peu à peu, le Tambour sacré Karyenda disparaît. Ingoma y’Uburundi, la dyarchie millénaire des Barundi, devient alors unijambiste : seule l’institution du Mwami subsiste.
Cette entreprise de destruction d’Ingoma y’Uburundi et de la société burundaise commence au XIXᵉ siècle. En 1911, elle prend un tournant particulier avec la création, par l’Allemand Hans Meyer [6], de l’outil raciste et géopolitique colonial appelé « conflit interethnique Hutu–Tutsi » [7]. L’objectif est clair : briser l’unité sociale des Barundi afin de s’emparer de leurs terres sacrées, Amatongo, cœur de l’identité burundaise.
Entre 1920 et 1944, l’Ubungoma est méthodiquement détruit pour imposer le christianisme. La « Croix et la Bannière » présente le christianisme comme seule vérité. Or, pour les Barundi, peuple de l’Ubungoma (de l’Ubuntu), la vérité naît des lois de la nature et du cosmos, mais aussi du « monde non existant » du Tambour sacré Karyenda / Mukakaryenda, c’est-à-dire des mystères. Cette vérité est l’Ibanga des Barundi, portée par les Banyamaganga.
Références
[1] En février 2025, l’Union africaine (UA) a qualifié officiellement l’esclavage, la déportation et la colonisation de crimes contre l’humanité et d’actes de génocide contre les peuples africains. Cette décision, adoptée le 16 février lors de la 38ᵉ session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement à Addis-Abeba, marque un tournant dans la quête de justice historique pour le continent.
[2] Pini-Pini Nsasay, Tribunal de l’Histoire Africaine. Tome 1 : Réquisitoire contre l’Europe christianisée en hommage à E.D. Morel (1873–1924/2024), Collection Historiographie du Monde Contemporain / Éds Cheikh Anta Diop (Edi-CAD), Douala, 2024.
[3] Nahimana Karolero Pascal, Histoire du Burundi : Les grandes dates de l’histoire des Barundi et de l’État millénaire africain – Ingoma y’Uburundi, Éd. Génération Afrique, 2024.
[4] Nahimana Karolero Pascal, Réfugiés du Burundi — Quand Ingoma s’est tu. Histoire géopolitique d’un peuple brisé par la Colonialité, Bruxelles, Génération Afrique, 2025. Sur la création des fausses ethnies Hutu, Tutsi.
[5] Baranyanka Charles, Le Burundi face à la Croix et à la Bannière, Bruxelles, 2015. (« La Croix et la Bannière » désigne l’alliance historique entre le Vatican, la France – notamment via les Pères Blancs de Lavigerie –, l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique et les États-Unis contre l’ordre traditionnel burundais depuis le XIXᵉ siècle.)
[6] Nahimana Karolero Pascal, Réfugiés du Burundi — Quand Ingoma s’est tu. Histoire géopolitique d’un peuple brisé par la Colonialité, Bruxelles, Génération Afrique, 2025. Sur la création des fausses ethnies Hutu, Tutsi.
[7] Rugurika Mathias, Repères historiques du Burundi : Tome 1 : de la période précoloniale à l’indépendance, le 1er juillet 1962, 2022.
Lien vidéo de la célébration :
https://www.youtube.com/live/ZZe9_UNhM4Q
Sources : Nahimana P. – http://burundi-agnews.org – Lundi 8 décembre 2025 | Photo : Ndayisenga J.M, RTNB.BI