Exclusif: Crimes contre l’humanité au Burundi? L’ambassadeur démonte le rapport de l’Onu

source: Mikhail Gamandiy-Egorov

La Commission d’enquête des Nations unies sur le Burundi a publié un rapport qui demande à la Cour pénale internationale (CPI) d’enquêter «sans délai» sur les «possibles crimes contre l’humanité» dans ce pays d’Afrique de l’Est. Dans un entretien exclusif accordé à Sputnik, Edouard Bizimana, ambassadeur du Burundi en Russie, réagit.
Sputnik: M. l’ambassadeur, quelle est votre réaction à la lecture du rapport de la Commission d’enquête des Nations unies sur le Burundi?

Edouard Bizimana: D’emblée, je dirais que ce n’est pas un rapport, car le document souffre de beaucoup de lacunes, tant au niveau du contenu qu’au niveau de la méthodologie utilisée. C’est un document rempli de contrevérités et de contradictions. Il est étonnant de lire des affirmations comme quoi il existe des attaques «généralisées et systématiques contre la population civile», comme pour dire que le Burundi brûlerait.

Ce n’est pas le cas actuellement, mais on comprend bien ces affirmations gratuites d’une part parce que ces «experts» n’ont pas mis les pieds sur le territoire burundais et d’autre part parce qu’ils veulent se venger contre les autorités burundaises, qui leur ont refusé l’accès au territoire. Vengeance aussi de la Cour pénale internationale et des autres puissances occidentales, qui cherchent à utiliser cette cour pour atteindre leurs objectifs. En effet, le Burundi reste le seul pays qui a confirmé son retrait du Statut de Rome et cela constitue un précédent très préjudiciable à la Cour et aux puissances occidentales qui la financent et l’utilisent.

Un document truffé de contradictions: le point 40 du rapport parle du fait que les «experts n’ont pas visité le Burundi», mais affirment qu’ils ont trouvé des détentions arbitraires. Le point 97 est contredit par le point 108: au moment où la commission semble ignorer totalement le principe de complémentarité, elle recommande aux Nations unies de fournir une assistance technique aux autorités burundaises afin de mener des enquêtes crédibles et indépendantes.
Les points 86 et 99 se contredisent: dans ces points, la commission demande aux autorités burundaises d’enquêter sur les violations des droits de l’homme et au même moment, elle demande à la Cour pénale internationale d’ouvrir une enquête dans les plus brefs délais sur les crimes commis au Burundi.

La commission affirme avoir recueilli des informations sur des attaques ciblées des groupes armés contre des postes de police et de l’armée (point 28) et sur des attaques d’envergures en juillet 2015 et décembre 2015, mais la commission n’a pas été en mesure de recueillir des informations sur des attaques contre les civils par les groupes organisés et se justifie en évoquant le fait qu’elle n’a pas été autorisée à se rendre au Burundi: il faut dire que de tels arguments prouvent à suffisance que la commission n’est pas auteur du «rapport». Elle est là pour condamner une partie et blanchir l’autre et ça, ne devrait pas être la mission d’une commission. Les groupes qui ont attaqué le Burundi n’étaient pas sans armes et ont fait des victimes. Les grenades lancées dans les bars, dans les marchés, dans les lieux publics, des personnes brûlées vives sont l’œuvre de ces groupes. Comment alors la commission a-t-elle pu avoir des informations sur une partie sans se rendre sur le terrain et ne pas en avoir sur l’autre partie?

Au moment où la commission affirme que «dans certains cas, des agents de police auraient agi à la suite d’actes de violence de manifestants ayant entraîné la mort de policiers et de membres du parti au pouvoir» (point 29), elle ne trouve pas opportun de documenter ces crimes (que la commission qualifie d’actes de violence) et se contente seulement de condamner les forces de l’ordre et de sécurité, qui apparemment n’ont même pas le droit de se défendre quand elles sont attaquées.

Les points 31 et 36 démontrent bien le côté penchant et la volonté de la commission de diviser les Burundais: au point 31, la commission attribue avec certitude l’assassinat d‘un officier supérieur aux services de l’État pour semer la division au sein des forces de défense, mais quand il s’agit des crimes qui ont visé les membres du gouvernement ou des personnes supposées être «proches du pouvoir», la commission reste dubitative (point 36).

Enfin, le «rapport» souffre d’une globalisation qui cache mal une volonté de la commission de nuire au peuple burundais (point 44). La commission parle toujours dans la globalité quand elle parle des imbonerakure, des membres du service de renseignement, de magistrats et des policiers. Elle ne parvient pas à coller des noms sur des actes alors que l’on sait que plusieurs policiers responsables d’actes répréhensibles par la loi ont été emprisonnés et même radiés de la police.

Bref, le rapport n’a aucune crédibilité et semble avoir été rédigé par l’opposition et non par des experts. La commission s’efforce de couvrir les crimes commis par l’opposition et les groupes armés tout en condamnant d’avance le gouvernement burundais et ses services, ce qui justifie son appel lancé à la CPI d’ouvrir une enquête sur le Burundi.

Sputnik: Que compte entreprendre le gouvernement de votre pays pour répondre aux accusations émises par les rapporteurs onusiens?

Edouard Bizimana: L’opinion et les Nations unies doivent savoir que la protection des droits de l’homme reste une priorité du gouvernement du Burundi. C’est pour cela que les personnes qui se sont rendues coupables d’une quelconque violation de ces droits ont été traduites devant la justice. J’ai évoqué des cas d’agents des forces de défense et de sécurité et d’autres citoyens qui sont aux mains de la justice.

Le gouvernement du Burundi reste disposé à œuvrer dans le sens de protéger davantage les droits de l’homme, de collaborer avec les Nations unies et ses agences, mais dans le strict respect de la loi et de la souveraineté du Burundi. Le Burundi n’est pas un État voyou, mais un État respectueux des droits de l’homme et du droit international. Dans ce sens, il a des droits et des obligations en tant qu’État souverain et son engagement dans la lutte contre le terrorisme s’inscrit dans cette perspective.

En termes de collaboration, le procureur Fatou Bensouda a demandé au gouvernement burundais des informations dans le cadre de l’examen préliminaire ouvert par la CPI. Le gouvernement burundais lui a transmis, le 1er juin 2017, toutes les informations demandées. Et comme l’a clairement exprimé le procureur général de la République du Burundi, l’ouverture d’une enquête sur le Burundi dans les conditions actuelles par la CPI violerait le principe de la complémentarité, un principe fondateur du Statut de Rome. Le Gouvernement du Burundi a manifesté sa volonté de documenter les crimes commis, de poursuivre leurs auteurs et de les juger.

Le 31 août 2017, l’assemblée nationale a adopté à l’unanimité la résolution portant création d’une commission spéciale de vérification du contenu du rapport de la commission d’enquête sur le Burundi mis en place par le conseil des Droits de l’homme des Nations unies. Tous ces efforts montrent bien que les institutions burundaises prennent la question des droits de l’homme très au sérieux et sont prêtes à collaborer avec les Nations unies, mais dans le strict respect de la souveraineté nationale, c’est-à-dire, sans pression, sans menace et sans intimidation de qui que ce soit. Toute action qui serait entreprise sans concertation n’aura pas d’effet, car le peuple burundais n’est pas prêt à renoncer à sa dignité et à sa souveraineté.

Sputnik: Le Burundi ne reconnaît de facto plus, depuis l’annonce faite en octobre 2016 sur le retrait de la CPI, l’autorité de cette instance. De ce fait, que peut entreprendre cet organisme à l’encontre du Burundi? Et quelles seraient les mesures de rétorsion éventuelles de votre part?

Edouard Bizimana: Le Burundi n’est plus membre de la CPI depuis octobre 2016 et toute action que la Cour engagera contre le Burundi en dehors des règles qui régissent le droit international sera sans effet.

Sous pression de certaines puissances occidentales, qui financent la Cour et qui veulent provoquer le chaos au Burundi et dans la région, comme cela a été le cas en Libye, la CPI peut se lancer dans une aventure contre le Burundi. Mais cette aventure aura des conséquences fâcheuses sur ce qui reste de sa crédibilité. Le Burundi étant le seul pays qui a confirmé son retrait du Statut de Rome, la Cour pourrait se sentir humiliée par cette décision et pourrait être poussée à se venger contre les autorités burundaises en ouvrant une enquête contre le Burundi.
La Cour pourrait aussi, en complicité avec certains leaders de la société burundaise, ceux-là mêmes qui ont poussé les gens dans la rue dans des manifestations violentes, ainsi que certains membres de l’opposition, fabriquer des rapports farfelus contre le Burundi. Mais tout cela ne ferait que décrédibiliser la Cour.

Je ne parlerais pas de mesure de rétorsion, car le Burundi ne cherche de confrontation avec personne. Le Burundi défendra sa souveraineté et sa dignité dans le strict respect du droit international et de ses engagements internationaux.