Cui bono ? Tandis que les apparences d’une purge se dessinent, le cœur du système mafieux reste inviolé. Des postes sont ôtés, mais l’empire financier d’Olivier Suguru, ce parlementaire tentaculaire, demeure, insondable et impuni. Après nos révélations accablantes sur des centaines de milliards de FBU détournés, des marchés phagocytés et une république mise en coupe réglée, une seule question brûle les lèvres : quitient la garde rapprochée de l’homme aux cent mains ? Et pourquoi les déclarations du jeune Ministre des Finances contre FOMI, aujourd’hui ?
Le théâtre est joué. La scène, soigneusement éclairée pour la galerie. L’honorable Olivier Suguru a été « dessaisi » de la présidence du conseil d’administration de l’Office Burundais des Recettes (OBR) et de celle de l’Agence pour le Développement du Burundi (ADB). Gestes symboliques, coup d’épée dans l’eau. Le modus operandi est classique : sacrifier les branches visibles pour préserver les racines toxiques de l’arbre.
Car derrière ce rideau de fumée administrative, l’empire Suguru, détaillé dans nos Acta Diurna successifs, fonctionne à plein régime. Nos investigations, étayées par des documents et des témoignages, ont révélé un système de prédation financière qui dépasse l’entendement. Des centaines de milliards de Francs Burundais – une somme tellement colossale qu’elle en devient une abstraction pour le commun des mortels – ont transité par un réseau opaque d’entreprises-écrans, de commissions occultes et de détournements de fonds publics. De la CFCIB à SAVONOR, en passant par un maillage serré d’intérêts dans les secteurs clés (commande publique,industrieagroalimentaire, etc.), Suguru a bâti moins une fortune qu’une parallelrepublic financière. Un secretumpublicum, un secret de Polichinelle que tout Bujumbura chuchote, mais qu’aucune voix officielle n’ose crier. Mais personne dans l’administration publique n’en parle. Bouche bé !
Le ministre des Finances, lui, le Dr Alain Ndikumana, ces derniers jours, brandit l’étendard de la vertu, faisant semblant de dénoncer avec audace certains travers. Sauf qu’il se tromperait de cible cette fois-ci. Car la société FOMI qu’il accuse s’est bien défendue sur son compte officiel X (Twitter) et a balayé du revers de la main les accusations graves portées contre elles.

Réaction de FOMI sur son compte X (Twitter) ce 30 décembre 2025
D’aucuns se demandent, alors, s’il l’a fait par ignorance, sciemment ou par procuration. Qui sait ? Ce qui est sûr son courage trouve soudain une limite infranchissable alors que notre journal fait des révélations scandaleuses : le périmètre sacré de l’oikos Suguru. Pas un mot sur les contrats léonins. Pas une allusion aux trafics d’influence institutionnalisés. Pas une question sur l’origine des fonds qui alimentent cet hydra-financier. Cette omerta éloquente pose la question centrale : Quiscustodietipsos custodes ? Qui donc garde le gardien Suguru ?
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Au passage, rappelons que le ministre Alain Ndikumana, en moins de six mois seulement, fait déjà dérailler à plus de deux reprises des missions stratégiques du parti CNDD-FDD, notamment en remettant publiquement en cause ses programmes phares qui fondent pourtant sa popularité : la gratuité des soins de santé pour les enfants de moins de cinq ans ainsi que pour les femmes enceintes et allaitantes. À cela s’ajoute désormais la contestation des subventions sur les engrais, lesquelles ont permis aux Burundais de renforcer progressivement leur autonomie alimentaire et d’envisager, à terme, l’exportation. Plus grave encore, le jeune ministre affirme ouvertement qu’il ne se conformera pas aux manifestes du parti au pouvoir. C’est dans cette logique qu’il s’est permis de critiquer et de vouer aux gémonies sa collègue en charge de l’Agriculture, l’accusant d’avoir signé « à l’aveugle » un contrat de 11 milliards. Comme si tous les coups étaient désormais permis pour saper de l’intérieur le parti de l’Aigle, patiemment construit depuis 1994 par le peuple lui-même. SUGURU n’est donc pas seul : il a des associés. |
Son profil est un cas d’école. Parlementaire, homme d’affaires commissionnaire, président de la chambre de commerce, secrétaire général d’un conglomérat… Ce cumul de pouvoirs, cette ubiquitas suspecte, mériterait une thèse universitaire sur la corruption post-étatique. Est-il un trafiquant d’influence ? La question est rhétorique. Nos Actes précédents ont démonté les mécanismes : l’utilisation des connections dans des institutions stratégiques comme Egide Niyogusaba à la délégation de l’Union européenne (dont la chute brutale fut un premier avertissement), la « charité empoisonnée » pour acheter une respectabilité, la mainmise sur les leviers réglementaires pour étouffer toute concurrence, sa proximité avec l’ex ADG de la BANCUBU aujourd’hui consul honoraire des Maldives , BUSIKU, pour avoir des centaines de milliards de francs burundais comme crédits sans garanties au point de saigner la BANCOBU, son montage financier mafieux avec l’homme d’affaires Talik qui a fait l’hémorragie de la REGIDESO via des groupes électrogènes et carburant fictif . C’est l’homo politicus réinventé en homo economicus prédateur.
Pourtant, face à cette accumulation de preuves et de chefs d’accusation virtuels qui pèseraient sur n’importe quel citoyen – conflits d’intérêts massifs, enrichissement sans cause, abus de biens sociaux, corruption passive –, le silence des procureurs et du ministre des finances est assourdissant. Aucune enquête sérieuse, indépendante et diligente n’a été ouverte sur la base de nos révélations. Les chiffres accablants publiés – les centaines de milliards dans des marchés publics stratégiques et sensibles, l’affaire des groupes électrogènes et du carburant fictif à la REGIDESO, les 120 milliards de la BANCOBU, etc. – dorment dans des dossiers qui ne seront peut-être jamais constitués.
Alors, on fait le compte. On retire une présidence ici, un titre honorifique là. Mais Suguru, lui, prépare ses bilans. Il boucle son exercice fiscal. Il célébrera le Nouvel An dans l’une de ses résidences à KIRIRI, ou en France, ou aux Maldives ou à Dubaï, entouré des siens et de son associé à la SOVONOR, l’esprit tranquille. Il sera, comme chaque année, l’un des magnats à passer une très bonne année. Tandis que les contribuables, les petits entrepreneurs étouffés, étranglés, les citoyens lésés par des services publics aux budgets vampirisés, paient la note.
Cette saga n’est plus seulement financière. Elle est devenue le test ultime de l’État de droit. L’Acte XIII de cette tragédie moderne pose l’ultimatum : jusqu’où l’impunité peut-elle s’étendre avant que la République ne se dissolve en un simple consortium d’intérêts privés ?
L’appel à l’action ne s’adresse plus seulement à une justice endormie. Il vise directement les décideurs, les partenaires internationaux, la société civile. Il faut exiger, avec une force irrépressible, la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire et judiciaire spéciale, dotée de pouvoirs étendus et de garanties d’indépendance. Il faut geler les avoirs suspects le temps de l’investigation. Il faut auditer, ligne par ligne, les comptes de toutes les entités touchées par l’ombre Suguru.
Le tempusfugit. Mais la patience stratégique du peuple a des limites. L’ère Suguru, si elle vacille enfin en apparence, doit connaître son dénouement réel. Non pas par des demi-mesures de coulisse, mais par un procès public, transparent, équitable. Le Burundi peut-il se délivrer de cette ombre, ou est-il condamné à vivre avec son fantôme le plus encombrant ? La réponse n’appartient plus aux journalistes comme nous. Elle appartient à ceux qui détiennent encore les clés de la citadelle. Alea jacta est. Les dés sont jetés. À eux de voir de quel côté de l’Histoire ils veulent tomber.
Par Jean Jolès Rurikunzira






