Certains employés de l’OBR dans le viseur du ministre des Finances
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Malgré les réformes entamées par l’OBR, dont la digitalisation, pour lutter contre la fraude, cette dernière continue à gangrener le pays. Le ministre des Finances dénonce la complicité de certains employés de cet Office. Pour l’Olucome, la digitalisation ne suffit pas. Il faut plutôt un système d’intégrité nationale bien consolidé.

« Notre activité commerciale est entravée parfois par certains commerçants qui se livrent à la fraude. Nous travaillons à perte parce que nous ne pouvons pas vendre au même prix que celui qui n’a pas payé les frais de dédouanement pour ses marchandises », se lamentent les commerçants rencontrés dans certains marchés de la capitale économique.

Ces commerçants épinglent la complicité de certains agents de l’OBR qui ferment les yeux face à la fraude. Pour ces commerçants, l’OBR devrait sanctionner tous ceux qui facilitent ou pratiquent la fraude fiscale. Et de renchérir : « Nous considérons les faudeurs comme de malfaiteurs. Ce sont des ennemis du développement. Il faut qu’ils soient punis conformément à la loi. »

Par ailleurs, ces commerçants dénoncent aussi certains de leurs collègues qui ne délivrent pas la facture aux acheteurs comme l’exige l’OBR. Ils qualifient cela de fraude fiscale. « A chaque facture, il faut payer des taxes, et ne pas la donner aux acheteurs constitue une évasion fiscale », font-ils remarquer. Ils recommandent aux agents de l’OBR de passer à la vérification pour traquer les contrevenants.

Certains employés de l’OBR indexés

« Nous nous sommes entretenus avec les employés de l’OBR pour leur montrer les différentes formes de fraude qui sont actuellement identifiées et qui ternissent l’image de l’OBR malgré que ce dernier fait un bon travail », a fait savoir Audace Niyonzima, ministre des Finances, au cours d’une réunion tenue mardi 31 octobre à l’endroit du personnel de l’OBR.

Le ministre des Finances a évoqué des tricheries au niveau de la facturation, de la vérification et dans l’octroi des marchés. « Il y a encore des employés qui sont complices de la fraude au niveau des douanes, des taxes internes et de la comptabilité », a-t-il déploré.

Il a mis en garde ces employés qui se livrent à la fraude tout en précisant que les institutions de l’Etat, telles que le ministère de la Sécurité publique, de la Justice, des Finances et l’administration décentralisée, ont pris des mesures coercitives pour combattre la fraude.

Interrogé sur la persistance de la fraude malgré les mesures prises dont la digitalisation, M. Niyonzima a fait savoir que la facturation électronique a apporté une plus-value tout en se félicitant que la collecte de la TVA et la conformité fiscale s’améliorent.

Cependant, a-t-il regretté, il y a encore des commerçants qui ne veulent pas respecter cette facture électronique. « Ils continuent à minorer les prix sur la facture pour déclarer moins de taxes. On va continuer à lutter contre ces actes-là pour que les contribuables améliorent leur conformité fiscale en payant tous les taxes et impôts ».

Quant à la gestion des marchandises saisies dans une situation de fraude, le ministre des Finances indique que la loi permet de les vendre aux enchères : « Actuellement la première mesure qui est pratiquée est de saisir et confisquer les marchandises qui sont attrapées et de les vendre aux enchères. Le produit de la vente est versé au trésor public. »

Comme 2e mesure, le ministre Audace Niyonzima prévoit d’appliquer les dispositions pénales réprimant la fraude : « Nous allons punir les fraudeurs et les employés de l’OBR qui seront complices de fraude en appliquant les dispositions pénales qui sanctionnent les actes d’instabilisation de l’économie ou de vol. »

Signalons que la rencontre du ministre des Finances avec le personnel de l’OBR a fait suite à une déclaration du chef de l’Etat, lors de l’investiture du nouveau gouverneur de la province de Muramvya, mercredi 25 octobre.

Le président Ndayishimiye a révélé qu’« au moins 3 fraudeurs démasqués tous les 2 jours au Burundi, certains en complicité avec des employés de l’OBR et 50 jugements sont rendus en un mois ».

Il a déploré le comportement des personnes dont certains cadres de l’administration publique qui s’enrichissent illicitement suite aux mauvaises pratiques liées à la fraude et à la corruption.

« La digitalisation ne suffit pas »

Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (Olucome), déplore qu’il y ait encore essai et erreur dans la digitalisation. Toutefois, reconnaît-il, la digitalisation est un des facteurs qui va renflouer les caisses de l’Etat mais aussi à lutter contre la corruption et la fraude.

Mais, fait-t-il observer, la digitalisation, à elle seule, ne suffit pas. Et pour cause, tient-il à préciser, il n’y a pas eu d’efficacité des mesures prises en matière de lutte contre la corruption. Et de rappeler que la fraude est l’une des infractions connexes à la corruption.

Pour cet activiste de la société civile, il y a persistance de la fraude parce qu’il n’y a pas de système d’intégrité nationale qui fonctionne normalement. Un système, explique-t-il, qui doit comprendre l’exécutif, l’administration publique, le judiciaire, le législatif, les partis politiques de l’opposition, la société civile et les médias.

Aujourd’hui, regrette M. Rufyiri, il n’y a pas par exemple du journalisme d’investigation sur des dossiers brûlants, des enquêtes fouillées encore moins du côté de la société civile.

Il faut des stratégies

Gabriel Rufyiri : « Il y a persistance de la fraude parce qu’il n’y a pas de système d’intégrité nationale »

Gabriel Rufyiri épingle une faiblesse notoire du système d’intégrité national, surtout au niveau de la justice et l’administration. Il propose des réformes profondes dans tous les secteurs, à l’instar des pays comme l’Ile Maurice, le Ghana et le Botswana ayant réussi à instaurer un système d’intégrité nationale consolidé.

« Si le Burundi veut réellement que les choses changent au niveau de la lutte contre la fraude, il faut qu’il opère des réformes profondes en vue d’instaurer un système d’intégrité national », avant d’enchaîner : « C’est à ce niveau que la digitalisation, l’efficacité de l’administration et une justice indépendante seront une réalité. »

Ce pionnier dans la lutte contre la corruption indexe certains mandataires publics qui, selon lui, ne veulent pas que ce système d’intégrité national soit instauré parce qu’ils tirent quelques avantages dans leur position.

« Il faut des mesures préventives et répressives »

Rufyiri recommande la lutte contre la fraude en commençant par traquer les « gros poissons » et non par les petits commerçants qui le font souvent pour question de survie : « On nous montre les pagnes fraudés en provenance de la RDC, du Rwanda. Des Burundais qui font la fraude du haricot vers le Rwanda. Des marchandises qui n’apportent pas des sommes colossales. Mais on ne montre pas des camions de sucre fraudés. Des gens qui fraudent les minerais en termes de tonnes mais qui ne sont pas combattus. »

Il fait savoir qu’il existe trois catégories de gens qui participent dans la fraude, à savoir les commerçants, les cadres de l’Etat et les passeurs.

Pour lui, ces gens ne peuvent pas être combattus sans qu’il n’y ait pas des mesures de prévention. « Parmi ces mesures, il y a la déclaration du patrimoine par les mandataires politiques, la mise en place de la haute cour de justice qui est absente jusqu’ici aujourd’hui », souligne-t-il. Et de conclure : « Tant qu’il n’y a pas de lutte contre la corruption, il sera difficile de lutter contre la fraude. »   

Par Felix Haburiyakira (Iwacu)