Plus d’universalité, moins d’extraterritorialité (Par Marie-France Cros)
Les menaces proférées lundi à Washington par le conseiller de Donald Trump à la Sécurité nationale, John Bolton (voir La Libre Belgique du 12 septembre), annonçant des sanctions contre les juges et procureurs de la Cour pénale internationale (CPI) qui oseraient juger des Américains ou des Israéliens et contre les pays qui livreraient un Américain à la CPI, ouvrent des réflexions sur la justice internationale et sur la politique extérieure américaine.
Ces menaces confirment en effet la faiblesse intrinsèque de la CPI à exprimer l’universalité de la justice internationale, dès lors que cette cour n’est reconnue que par une partie du monde seulement, essentiellement l’Europe, l’Amérique latine, l’Afrique et une partie de l’Asie. Ni les États Unis, ni la Chine, ni la Russie ne reconnaissent son autorité.
L’Afrique s’est insurgée contre l’obstination de la CPI, pendant quatorze ans, à ne poursuivre que des Africains. Alors qu’elle pourrait cette fois entamer des poursuites contre des Américains accusés de crimes de guerre en Afghanistan et qu’Israël craint de subir le même sort pour sa politique envers les Palestiniens, les menaces de John Bolton disent clairement: un tribunal financé essentiellement par l’Union européenne et le Japon peut juger des Africains, pas des Américains ou des Israéliens.
Si la CPI se soumet, elle perdra toute crédibilité. Si elle ouvre des dossiers contre des Américains et des Israéliens, des sanctions américaines risquent de mettre à mal sa capacité, déjà faible, à rendre une vraie justice internationale. Les menaces de M. Bolton rappellent en outre un autre problème: la tendance de plus en plus affirmée des États-Unis à imposer l’extraterritorialité de leur politique. Le conseiller à la Sécurité nationale de M. Trump promet des sanctions contre un pays qui livrerait un Américain à la CPI, ce que de nombreuses capitales ont promis de faire en signant et ratifiant le statut de Rome qui créa la cour. Sous cet angle, un accord international deviendrait moins important qu’une décision de l’administration Trump – ce qui est contraire aux principes généraux du droit. Mais pourquoi M. Bolton se gênerait-il, puisque de nombreux pays – y compris ceux de l’Union européenne – se soumettent au diktat américain qui menace de sanctionner les entreprises étrangères qui travailleraient avec l’Iran que Washington, en désaccord avec d’autres pays, veut sanctionner?
Plusieurs capitales ont protesté mais ont quand même fini par courber l’échine. L’imposition aux autres nations des choix de politique étrangère des États-Unis n’est pas neuve: depuis 1996, la loi Helms Burton étend l’application territoriale de l’embargo américain contre Cuba aux compagnies étrangères qui commercent avec l’île. Il ne s’agissait alors “que” d’un petit pays de 10millions d’habitants, pas d’un puissant producteur d’or noir – et cette extraterritorialisation des lois américaines
n’avait guère fait de remous dans le monde à l’époque.
Celle imposée au sujet de l’Iran en a fait plus, mais sans réaction crédible de la part des autres puissances: pas de contre sanctions, pas d’imposition des multinationales américaines… L’avenir compromis de la CPI fera-t-il plus réagir?
Par Marie-France Cros