Trois petits partis rwandais, proches du pouvoir, ont lancé le débat sur le maintien à la tête de l’Etat après 2017 du président Paul Kagame, en réclamant un référendum pour modifier la Constitution et lui permettre de briguer un nouveau mandat.
L’actuel texte, adopté en 2003, limite à deux le nombre de mandats présidentiels et interdit donc en l’état à M. Kagame, élu en 2003 et 2010, de se présenter une troisième fois.
Mais dans un récent article du journal progouvernemental en ligne Ighie, les dirigeants des Parti démocratique idéal (PDI), Parti pour la solidarité et le progrès (PSP) et PS-Imberakuri ont prôné l’abolition de cette limitation.
“La limitation du nombre de mandats (…) ce n’est pas la démocratie, la démocratie c’est laisser le choix au peuple”, explique à l’AFP le président du PDI Musa Fazil Harerimana, également ministre de l’Intérieur. Christine Mukabunani, présidente du PS-Imberakuri appelle elle à donner “la parole à la population” sur le sujet.
Le minuscule PDI faisait partie, lors des dernières législatives en 2013, de la coalition menée par l’hégémonique Front patriotique rwandais (FPR) de M. Kagame, au pouvoir depuis la fin du génocide de 1994. Le PSP faisait partie de la même coalition en 2008 et le PS-Imberakuri fut un virulent parti d’opposition, mais des partisans du gouvernement en ont pris le contrôle selon les observateurs.
“Ces partis disent tout haut ce que le FPR pense tout bas. Ce sont des porte-parole du FPR. Ce sont des partis qui ont fait allégeance au FPR”, estime l’opposant et ex-président du PS-Imberakuri Bernard Ntaganda, tout juste sorti de quatre ans de prison pour “divisionnisme” et “atteinte à la sûreté de l’Etat”.
Paul Kagame, homme fort du Rwanda depuis 1994 et crédité du spectaculaire redressement de son pays, exsangue après les massacres qui firent environ 800.000 morts majoritairement au sein de la minorité tutsi, a “uni les Rwandais et développé le pays”, souligne M. Harerimana. “Il faut continuer avec un président (…) à même de protéger” le Rwanda, affirme le ministre de l’Intérieur, qui dans le récent article d’Igihe estimait que M. Kagame devait rester au pouvoir “pour éviter que des loups n’interfèrent dans la politique rwandaise”.
Des déclarations semblant faire référence à la récente arrestation de trois gradés et ex-gradés rwandais, membres du cénacle du pouvoir, qui a suscité toutes sortes de spéculations sur de possibles tensions à la tête du régime, avancées par certains observateurs mais que Kigali a démenties.
“Les loups” peuvent aussi désigner ceux que Kigali qualifie de “traîtres” et de “terroristes”, d’anciens très proches de M. Kagame ayant fait défection en Afrique du Sud, d’où ils multiplient les critiques de plus en plus sévères à son égard.
Selon un universitaire occidental, spécialiste du Rwanda, cette “accélération du calendrier politique” est imposée par “une montée des dangers” autour du régime et par la contestation “en interne et externe” du président Kagame.
Schéma régional –
Si la question de la succession de Paul Kagame est dans toutes les têtes, dans un pays où il incarne personnellement le pouvoir depuis 20 ans, elle est rarement abordée publiquement.
Paul Kagame lui-même reste sibyllin. En avril, il assurait à l’hebdomadaire qu’il respecterait la Constitution, tout en ajoutant: “je ne connais pas un seul pays où la Constitution soit immuable”.
Au Burundi et en République démocratique du Congo (RDC) voisins, les camps présidentiels font peu de mystère de leur volonté de faire sauter les verrous constitutionnels pour permettre aux présidents Pierre Nkurunziza et Joseph Kabila de se représenter en 2015 et 2016.
Dans ces deux pays, “on voit que le président et le régime ont tendance à rester silencieux aussi longtemps que possible sur leur décision finale. Entretemps, il y a des ballons d’essai lancés par des gens de second rang (…) pour voir comment l’opinion publique nationale et internationale réagit” estime Kris Berwouts, analyste indépendant, spécialiste de l’Afrique centrale. “J’imagine que c’est ce qui se passe aussi” au Rwanda.
A Kigali, seul le petit Parti démocratique vert, tout juste enregistré et dont la voix porte peu dans un pays sans véritable opposition, se dit ouvertement contre la réforme constitutionnelle. “La limitation du nombre de mandats permet le transfert pacifique du pouvoir et d’éviter le scénario d’un président à la vie”, dit son président, Frank Habineza.
Le véritable débat se déroulera de toute façon au sein du FPR, rappellent les observateurs.
Restera le risque de froisser un peu plus les partenaires de Kigali, notamment l’allié américain qui a déjà pris ses distances depuis deux ans.
Lors du Sommet Etats-Unis-Afrique en août à Washington, le secrétaire d’Etat américain John Kerry avait appelé les dirigeants africains à ne pas modifier leur Constitution pour des “bénéfices personnels ou politiques”.