Un martyr de la souveraineté nationale dans le rang des héros méconnus
Ancien compagnon du prince Louis Rwagasore dans la lutte pour l’indépendance du Burundi, le premier ministre Pierre Ngendandumwe a été assassiné le 15 Janvier 1965 devant l’hôpital clinique prince Louis Rwagasore où il venait de rendre visite à son épouse qui venait d’avoir son quatrième enfant. Les mobiles de son assassinat restent jusqu’aujourd’hui obscurs et cela suscite beaucoup d’inquiétudes au sein de l’opinion nationale. La rédaction du quotidien « Le Renouveau » a préféré parler de cette grande personnalité dont on parle peu dans l’histoire du Burundi et surtout des avis des uns et des autres sur son dossier.
Le Premier ministre Pierre Ngendandumwe est né à Ngozi en 1930. Vers les années 50, il est parti à Kinshasa en République démocratique du Congo pour poursuivre ses études à l’Université de Lovanium et il décrocha un diplôme de licence en sciences administratives et politiques. Il devint ainsi l’un des premiers universitaires burundais. Pierre Ngendandumwe travailla alors dans l’administration coloniale comme adjoint à l’Administrateur territorial tout en luttant clandestinement au sein du parti Uprona. Selon les dires de feu Léon Manwangari, Pierre Ngendandumwe fut aux côtés de Paul Mirerekano, parmi les premiers lieutenants fidèles du prince Louis Rwagasore, pour la recherche de l’indépendance.
A Kinshasa, il commença les fiançailles avec Mlle Thérèse en 1958 qui y suivait ses études d’infirmière. La jeune demoiselle était issue d’une famille du grand chef Coya, du nord du Burundi. Ainsi, en 1961, les jeunes gens se marient. Lors du premier gouvernement d’union nationale de 1961, Pierre Ngendandumwe détenait le portefeuille des Finances. En juin 1963, il devient Premier ministre jusqu’à sa révocation par le roi Mwambutsa en avril 1964. Il lui reprochait notamment d’avoir établi des relations diplomatiques avec la Chine communiste. Début janvier 1965, il lui fut demandé de former un nouveau gouvernement. Après mille et une hésitations, Pierre Ngendandumwe accepte de former le nouveau gouvernement et il forma, le 7 Janvier 1965, un gouvernement de 13 membres dont 7 tutsi et 6 hutu. Ainsi, le Roi Mwambutsa se réserve les secrétariats d’Etat à l’armée et à la gendarmerie à la tête desquels se trouvaient déjà respectivement Michel Micombero et Pascal Magenge.
Le 15 janvier à midi ce gouvernement est rendu public et quatre heures plus tard, c’est-à-dire à 16 heures, il y eut des manifestations de protestation contre le nouveau gouvernement. Ainsi, le Premier ministre Pierre Ngendandumwe est abattu à vingt heures quarante cinq minutes devant l’hôpital Prince Louis Rwagasore alors qu’il venait de rendre visite à sa femme qui venait d’avoir son quatrième enfant. Selon différentes sources, le tireur était un employé de l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique à Bujumbura. Les commanditaires de cet assassinat de Pierre Ngendandumwe ne furent jamais jugés en bonne et due forme.
Un assassinat non justifiable
Selon certains écrits, après l’assassinat du prince Louis Rwagasore, le Premier ministre Pierre Ngendandumwe n’a jamais trahi l’idéal de son parti. Le programme de son gouvernement le montre clairement. Il s’articule sur un certain nombre de points dont l’amélioration économique, fidélité aux principes énoncés par le Prince Louis Rwagasore, fidélité au parti Uprona, réconciliation nationale que l’Uprona s’était assigné comme objectif depuis son congrès historique de Gitega, non alignement et neutralité positive au niveau de la politique internationale.
Sa non appartenance à l’un ou l’autre groupe politique (Monronvia et Casablanca) en compétition n’explique rien non plus. La véritable appartenance du premier ministre Pierre Ngendandumwe est peut-être à lire dans son programme notamment en matière diplomatique. Il s’était en effet prononcé pour le non alignement et la neutralité positive, ce qui implique la non-appartenance à l’un ou l’autre groupe. Une position qu’avaient définie les panafricanistes du groupe de Brazzaville, ceux-là même qui initièrent la création de l’Union africaine et malgache, qui deviendra plus tard l’Organisation de l’Unité Africaine et l’actuelle Union Africaine.
Ainsi, après son assassinat, Pierre Ngendandumwe a été déclaré Héros national et son portrait trônait dans tous les bureaux administratifs de l’Etat burundais jusqu’au début des années 80. En dessous du portrait était écrit en lettre d’or « Pierre Ngendandumwe, Héros national, assassiné le 15 janvier 1965″. Pour certains, il faut raviver le devoir de mémoire qui n’est rien d’autre qu’un devoir moral attribué à tout Etat d’entretenir le souvenir des souffrances subies dans le passé par certaines gens.
Une victime pas comme les autres
Au cours de notre entretien avec le président de l’Association pour la mémoire et la protection de l’humanité contre les crimes internationaux (Amepeci-Girubuntu), Aloys Batungwanayo, il a indiqué qu’au niveau de cette association ils prennent le Premier ministre Pierre Ngendandumwe comme une des centaines des milliers de victimes qui ont eu lieu au Burundi. Mais, selon lui, il n’est pas victime comme les autres parce qu’il a été assassiné d’abord comme une personne physique mais également comme une institution. « C’est-à-dire que les gens qui l’ont fait ont décapité l’institution de la primature au Burundi ».
Selon M. Batungwanayo, Pierre Ngendandumwe a été assassiné alors qu’il venait d’être nommé pour la deuxième fois pour diriger le gouvernement après un échec de ses prédécesseurs. « A l’époque le Burundi était une monarchie constitutionnelle, c’est-à-dire que le premier ministre était considéré comme le chef du gouvernement, c’était lui qui dirigeait le pays parce que le roi régnait mais il ne gouvernait pas. Donc, l’assassinat de Pierre Ngendandumwe, c’est un double assassinat car on l’a tué comme une personne physique mais aussi comme Premier ministre, ce qui est revenu à décapiter le gouvernement de l’époque ».
Une journée dédiée à Pierre Ngendandumwe s’avère nécessaire
Selon notre interlocuteur, au niveau de l’Amepeci-Girubuntu, on reconnaît que Pierre Ngendandumwe a été rehaussé au rang de héros par l’Assemblée nationale en 1965. Malheureusement, a-t-il ajouté, les pouvoirs publics n’ont jamais voulu honorer la mémoire de Pierre Ngendandumwe. « Aujourd’hui nous avons des journées dédiées à la mémoire du prince Louis Rwagasore, à la mémoire de Ndadaye Melchior et à la mémoire de Cyprien Ntaryamira. On se pose alors la question de savoir pourquoi on n’a pas de journée dédiée à la mémoire de quelqu’un qui a été rehaussé au rang de héros de la démocratie au même titre que les autres héros alors que l’Assemblée Nationale qui lui a rehaussé au rang des héros était reconnue et a été élue par la population ».
Cependant, pour M. Batungwanayo, la date du 15 Janvier, c’est une date mémorable parce que l’assassinat de Pierre Ngendandumwe a été un renforcement d’un gouvernement de la dictature, car après son assassinat, c’est là qu’on a décrété le parti Uprona comme parti unique au Burundi. « Après son assassinat, la dictature qui est une violation des droits de l’homme et qui est également une production d’autres victimes, est revenue au Burundi. Donc, pour nous, c’est une journée mémorable parce que c’est une journée où on a eu une victime et une étape qui a enfoncé le Burundi dans un gouffre malheureusement qu’il tente de sortir ».
Ainsi, le fait qu’aujourd’hui, personne ne parle presque plus du Premier ministre Pierre Ngendandumwe, le président de l’Amepeci trouve que c’est absurde parce qu’il a été assassiné dans des conditions particulièrement connues. « C’est aussi absurde que jusqu’aujourd’hui les pouvoirs publics ne cherchent pas la vérité sur son assassinat. Des gens ont été emprisonnés et libérés sans aucun procès. Il y a eu une marche manifestation conduite par des personnes qui, jusqu’ici, sont connues et qui sont toujours vivantes mais on ne cherche pas à mettre la lumière sur ce dossier. « C’est vraiment absurde de voir un Premier ministre, issu d’un parti qui dirigeait le pays, assassiné et qu’on n’a pas cherché la vérité sur son assassinat ».
Mais, notre interlocuteur se réjouit du fait qu’il y a certains partis politiques qui, chaque fois le 15 Janvier, déposent des gerbes de fleur sur sa tombe. Par contre, il déplore le fait que la veuve de Pierre Ngendandumwe vient de mourir sans avoir été honorée par les pouvoir publics comme les veuves des autres présidents. « C’est vrai, le chef de l’Etat actuel l’a honorée une fois mais il n’y pas eu de suite comme les veuves des présidents sont honorées aujourd’hui. C’est vraiment absurde ».
Un dossier qui ne devrait pas passer par la CVR
A la question de savoir s’il y a l’espoir que la Commission vérité et réconciliation (CVR) va mettre la lumière sur l’assassinat du premier ministre Pierre Ngendandumwe, M. Batungwanayo trouve que c’est une bonne chose que cette commission soit mise en place. Il espère cependant qu’elle va se pencher sur cette question comme sur d’autres questions.
Mais, selon lui, pour l’Amepeci, le dossier du premier ministre Pierre Ngendandumwe tout comme celui du président Melchior Ndadaye sont des événements spéciaux qui ne devraient pas passer par la Commission vérité et réconciliation pour la simple raison que ce ne sont de simples personnes. Selon lui, ce sont plutôt des personnalités publiques qui ont été assassinées dans des conditions et des places bien connues, d’où d’après lui, on n’avait pas besoin de chercher de midi à quatorze heures ou de mettre en place une Commission vérité et réconciliation pour se pencher sur des questions pareilles. « Il y a eu une marche manifestation contre la nomination et la formation du gouvernement par le premier ministre Pierre Ngendandumwe, pourquoi on ne cherche pas de ce côté-là ? »
D’après le président de l’Amepeci, certaines personnalités qui étaient devant les autres lors de cette manifestation sont toujours en vie. Il demande alors pourquoi on ne cherche pas à partir de ces personnes. « A-t-on vraiment besoin de la CVR pour mettre la lumière sur l’assassinat de cette personnalité ? ». Ainsi, comme l’historien de formation et partisan de mémoire transparente, Dieudonné Hakizimana, Aloys Batungwanayo a l’espoir lui aussi que la commission vérité et réconciliation saura trouver la solution à ce dossier.
Pierre Ngendandumwe mérite plus
Selon l’historien de formation et partisan de mémoire transparente, Dieudonné Hakizimana, Pierre Ngendandumwe mérite plus en ce sens qu’il a été rehaussé au rang de héros national. Ainsi, il se demande pourquoi l’ancien premier ministre a pu quitter son statut de héros national pour rejoindre celui du citoyen anonyme. Il rappelle ensuite qu’au lendemain de son assassinat, le premier ministre Ngendandumwe a été hissé au rang de héros national. « Il fut ainsi le deuxième Héros national ». Quant à la question de savoir qui devrait rendre justice à cet homme politique, notre interlocuteur dit que la balle se trouve dans le camp des dirigeants d’aujourd’hui et d’hier.
Cependant, M. Hakizimana parle de feu Ngendandumwe comme un grand visionnaire. Il évoque surtout son discours lors de la formation de son premier gouvernement qui mettait avant tout la justice et l’équité ainsi que de son oraison funèbre prononcée sur la tombe du prince Louis Rwagasore et dont il se rappelle quelques passages. « Majesté, votre fils est mort assassiné, il a perdu la vie au front. Il combattait les ennemis de votre peuple. Il est et reste le grand ennemi de l’injustice, de la bassesse, de la corruption. Il a dit non à l’injustice, montré la voie du peuple murundi. Il est mort parce que qu’il voulait l’unité. Ceux qui l’ont assassiné désiraient la désunion, la haine et au bout du processus le sang des innocents. Le plan nous est familier. On supprime d’abord la personne qui gêne, puis on plonge le peuple dans le sang. Que ces malheurs n’arrivent jamais à votre peuple».
Rendre hommage à Pierre Ngendandumwe
Comme d’autres sources consultées, M. Batungwanayo trouve qu’il faut rendre hommage au Premier ministre Pierre Ngendandumwe. A la question de savoir ce qu’il faut faire, il a indiqué que pour rendre hommage à Pierre Ngendandumwe, la première chose à faire c’est que ses successeurs, comme le chef de l’Etat, puissent fixer la journée du 15 Janvier comme une journée en mémoire de cette illustre personnalité qui a lutté côté à côte avec le prince Louis Rwagasore pour l’indépendance du Burundi.
La deuxième chose, c’est de pouvoir couronner à titre posthume cette personnalité. « Ce sont des choses qui se font et on a besoin de le voir couronné ». Etant donné que Pierre Ngendandumwe a été rehaussé au rang des héros, Aloys Batungwanayo trouve également que la journée du 15 Janvier mérite d’être célébrée comme le 6 Avril, le 13 et le 21 Octobre.
Cependant, d’autres sources indiquent que pour rendre hommage au premier ministre Ngendandumwe, il faut aussi ramener le portrait de Pierre Ngendandumwe dans les bureaux administratifs comme c’était depuis 1965 jusqu’au début des années 80. « Il ne portera nullement ombrage aux portraits actuels ». La deuxième initiative serait de revenir au cérémonial de l’anniversaire de son assassinat.
Astère NDUWAMUNGU & Yolande NINTUNZE, http://www.ppbdi.com/