A la radio, dans la presse, les voix se multiplient au Rwanda en faveur d’une réforme constitutionnelle permettant le maintien à la tête de l’Etat de Paul Kagame après 2017: pour les observateurs, dans un pays où le débat politique est verrouillé, le pouvoir est à la manoeuvre.

Tribunes et commentaires se succèdent dans le journal pro-gouvernemental anglophone New Times. Toutes louent un président « actif et efficace », artisan des succès économiques du Rwanda et protecteur de la population.

Paul Kagame est au pouvoir depuis que sa rébellion du Front patriotique rwandais (FPR, aujourd’hui parti au pouvoir) a mis fin au génocide de 1994 qui, selon l’ONU, a fait environ 800.000 morts, essentiellement parmi la minorité tutsi.

Vice-président et ministre de la Défense après le génocide, il est alors déjà celui qui tient les rênes du pays, avant d’être élu président en 2003 avec 95% des voix et réélu tout aussi triomphalement (93%) en 2010.

La Constitution rwandaise lui interdit un troisième mandat. Mais à l’instar de plusieurs chefs d’Etat africains, comme le burundais Pierre Nkurunziza, celui de République démocratique du Congo (RDC) Joseph Kabila, ou l’ex-président burkinabè Blaise Compaoré, il est soupçonné de vouloir modifier les règles pour se maintenir.

Au Burkina Faso, la population a réagi en chassant du pouvoir le président. Au Burundi et en RDC, cette volonté de rempiler rencontre une opposition de plus en plus ouverte.

Mais au Rwanda, les voix qui s’élèvent affichent une quasi-unanimité: sans Kagame, c’est l’inconnu, potentiellement le chaos.

« La majorité de la communauté rwandaise vit dans l’anxiété, la peur et l’incertitude de ce qui peut se passer après 2017 », a écrit Fred Mufulukye, un fonctionnaire, dans l’une des tribunes.

Manasseh Nshuti, un ancien ministre des Finances, a implicitement érigé Paul Kagame comme le seul rempart aux « ennemis jurés » du pays, tels que les rebelles hutu des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).

Les FDLR, actifs depuis deux décennies dans l’est de la RDC voisine et dont des chefs sont accusés d’avoir participé au génocide de 1994, restent selon Kigali une menace à la sécurité nationale.

« Est-il temps pour Paul Kagame de quitter ses fonctions en 2017? La réponse est non », a renchéri Joseph Karemera, haut cadre du FPR.

 Référendum? –

Des émissions de radio ont également été consacrées à la question d’un maintien au pouvoir de M. Kagame.

Selon Albert Rudatsimburwa, patron de Radio Contact FM, le feu vert au débat a été donné lors du bureau politique du FPR de décembre: « Parlez-en » était le mot d’ordre, dit-il, « cela a libéré les gens ».

En régions, des cadres du FPR préparent aussi le terrain, expliquant dans des réunions locales qu’il n’y a aucun problème à changer la Constitution, si l’initiative vient du peuple.

Le FPR « essaie d’habituer les gens à l’idée du 3e mandat », estime Robert Mugabe, un journaliste rwandais. Lui-même en a débattu à la radio avec le ministre de l’Intérieur, Sheikh Musa Fazil Harerimana, partisan d’un référendum sur un changement constitutionnel.

Le parti au pouvoir dément pourtant toute manipulation. Ces prises de parole sont des « initiatives individuelles », explique un cadre du FPR. « Il faut commencer à débattre, c’est tout à fait normal que les gens en parlent ».

Paul Kagame reste lui évasif sur la question, mais dit aussi, comme dans une interview le week-end dernier à France 24, que c’est au « peuple rwandais qu’il faut demander s’il serait prêt à changer » la Constitution.

Pour Kris Berwouts, expert indépendant des Grands Lacs, ces prises de positions sont pourtant clairement un « ballon d’essai » lancé par le régime pour tester « l’opinion publique nationale ou internationale ».

Selon lui, la suite logique serait, via un référendum, « un plébiscite populaire qui devra proclamer la volonté unanime des Rwandais que leur président reste en fonction ».

« C’est une stratégie habile », juge René Mugenzi, militant rwandais des droits de l’Homme exilé au Royaume-Uni.

Pour lui, « ce jeu » n’est pourtant « pas à destination d’une audience rwandaise » peu prompte à la contestation publique, mais « de la communauté internationale » qui, Washington en tête, exhorte les chefs d’Etat africains à ne pas s’accrocher au pouvoir.

Et Kigali ne veut « pas d’une pression internationale comme celle que subit Kabila ou encore Nkurunziza », poursuit le militant. Elle veut pouvoir dire « que le peuple à parlé ».