Le rêve d’un marché unique africain du Cap au Caire commence à prendre forme avec la signature prévue mercredi en Egypte d’un traité de libre-échange englobant trois blocs régionaux qui couvrent toute la moitié orientale du continent.

Contrairement à l’Asie et à l’Europe, dont la majorité des pays commercent majoritairement entre eux, les pays africains souffrent toujours de lenteurs aux frontières, formalités de douane et coûts de commerce plus importants qu’ailleurs.

En outre, le manque d’industries locales – plus de 80% de la main d’œuvre en Afrique travaille dans l’agriculture vivrière et le secteur informel – limitent souvent les possibilités d’import-export.

Mais, assure la commissaire au Commerce de l’Union africaine (UA), la Tchadienne Fatima Haram Acyl, « l’Afrique va surprendre le monde ». « Nous allons avoir notre marché commun continental », a-t-elle affirmé lors du Forum économique régional, le « Davos africain » organisé la semaine dernière au Cap.

Couronnant cinq ans de négociations, un peu plus longues que prévu, le sommet de Charm-El-Cheikh du 7 au 10 juin sera l’acte de naissance de la « Tripartite », un grand marché commun unissant 26 des 54 pays africains et créant un cadre pour aller vers des tarifs douaniers préférentiels.

L’ensemble regroupera le Marché commun des États d’Afrique australe et de l’Est (Comesa), la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) et la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), soit plus de 625 millions d’habitants et plus de 1.000 milliards de dollars de PIB.

Très hétérogènes, ces trois blocs se chevauchent en partie.

Du Cap au Caire, selon le mot de l’homme politique et magnat minier britannique Cecil Rhodes au 19e siècle, la « Tripartite » englobera l’Afrique du Sud et l’Égypte, les deux économies les plus développées du continent, mais aussi des pays dynamiques comme l’Éthiopie ou le Kenya.

A noter cependant que le Nigeria, premier PIB d’Afrique notamment grâce au pétrole, ne fait pas partie de cet ensemble.

 ‘Épaisseur des frontières’ –

« Le lancement de la zone de libre-échange tripartite est une étape majeure pour le continent africain qui remonte au plan de Lagos de l’Union africaine et au traité d’Abuja visant à créer une communauté économique africaine », s’est félicité par avance le gouvernement sud-africain.

« C’est un message fort, montrant que l’Afrique travaille à son intégration économique, et à créer un environnement favorable au commerce et à l’investissement », a-t-il ajouté, alors que le projet continuer d’inspirer un certain scepticisme.

De fait, seuls 12% environ des échanges commerciaux en Afrique ont lieu entre pays du continent (contre 55% en Asie et 70% en Europe).

C’est la conséquence de ce que les économistes appellent « l’épaisseur » des frontières et qui se mesure au nombre de documents qu’il faut produire pour l’importation et l’exportation (sept à huit papiers de douane en moyenne en Afrique, contre quatre ou cinq en Europe) et qui tient compte aussi de délais et coûts de franchissement des frontières.

Il faut ainsi compter en moyenne une trentaine de jours en Afrique pour dédouaner une marchandise (sauf au Maghreb), contre une dizaine dans l’Union européenne, selon le rapport 2015 de l’OCDE et du PNUD, « Perspectives économiques de l’Afrique ».

« Les pays africains, surtout s’ils sont enclavés, cumulent des coûts du commerce supérieurs et des frontières plus épaisses qu’ailleurs », souligne ce rapport qui chiffre à 61 milliards de dollars environ les exportations intra-africaines en 2013 (+50% par rapport à 2010).

« L’accord de libre-échange tripartite est vraiment important, c’est une première étape pour l’Afrique qui va pouvoir ainsi parler avec l’Union européenne, et d’autres, sur une base globale », a salué au Cap le patron de British Telecom Michael Rake, qui co-présidait le « Davos africain ».

Outre les obstacles institutionnels, d’autres facteurs expliquent que le commerce intra-africain demeure embryonnaire bien qu’en expansion, et notamment la faible industrialisation, a souligné pour sa part le président de la Banque africaine d’Import-Export, Jean-Louis Ekra.

Si les grands pays producteurs de cacao, qui ne peuvent évidemment pas se vendre des fèves entre eux, pouvaient produire eux-mêmes du chocolat, ils en vendraient sur tout le continent, dit-il.