[bleu ciel]PPBDI[/bleu ciel]. Malgré le blocage face à l’entrepreneuriat au Burundi notamment la mentalité et l’accès limité au financement, quelques jeunes burundais ont déjà compris que l’Etat à lui seul ne peut pas offrir de l’emploi à tous les nécessiteux. Selon le Burundi business incubator (BBIN), soixante quatre entreprises fonctionnaient déjà avec la fin de l’année 2014 à Bujumbura. L’Agence burundaise pour l’emploi des jeunes pour sa part, a misé sur les formations et le plaidoyer pour contourner les obstacles susmentionnés.
L’Agence burundaise pour l’emploi des jeunes (Abej) est une institution du ministère de la Jeunesse, des sports et de la culture qui s’occupe essentiellement de la jeunesse. Selon l’Administrateur directeur général de cette institution, Dieudonné Gasore, l’agence offre des formations aux jeunes dans plusieurs domaines notamment la rédaction d’un plan d’affaires et fait des plaidoyers auprès des bailleurs. Il a souligné que l’agence n’a pas de budget pour appuyer les jeunes financièrement mais qu’avec l’impact de l’Abej sur la jeunesse, il y aura beaucoup de bailleurs qui seront intéressés à appuyer les entreprises des jeunes. « Par exemple, les jeunes lauréats de nos formations, s’ils sont regroupés en associations et qu’ils créent une micro-entreprise, le Prodefi promet de les avaliser auprès des micro-finances pour qu’ils aient un crédit et travailler dans le domaine choisi. De notre part, nous sommes là essentiellement pour faire un plaidoyer auprès des bailleurs pour qu’ils puissent octroyer des microcrédits aux jeunes.
Pousser les jeunes à travailler en associations
A propos de l’exigence des bailleurs pour que les jeunes soient regroupés en association pour être soutenus, Dieudonné Gasore a souligné que jusqu’alors, une association de jeunes de Gashikanwa en province de Ngozi est déjà opérationnelle. Pour encourager le travail en association, l’Abej a prévu un festival national de la jeunesse qui va regrouper autour des activités sportives et culturelles tous les jeunes qui ont bénéficié d’une formation ou d’un stage de l’agence. « Nous allons profiter de cette occasion pour lancer des messages qui incitent ces jeunes à se constituer en associations pour que nous puissions à la fin, faire un plaidoyer de l’octroi des microcrédits.», a-t-il dit.
Les jeunes qui peuvent être appuyés dans le cadre du programme de l’Abej sont des gens dont l’âge est compris entre 14 et 35 ans. Il a déploré le fait que les jeunes qui sollicitent le soutien de cette institution ne soient pas tous servis. « Nous avons différents partenaires. Pour le programme de l’Etat du Burundi par exemple, nous pouvons accueillir 250 jeunes par an. Et quand nous faisons des appels d’offres, nous avons plus de 1 000 jeunes postulants. Nous ne parvenons pas à satisfaire tous mais, dans les plaidoyers que nous faisons, nous appelons le gouvernement à examiner l’impact de ce programme pour que dans les années à venir, il puisse revoir à la hausse le budget y consacré et par conséquent augmenter l’effectif des bénéficiaires. Dans ma vision, je voudrais aller jusqu’à 1 500 jeunes par an mais, des fois les moyens ne le permettent pas », a-t-il indiqué.
Changer la mentalité des jeunes scolarisés
En suivant le mouvement des jeunes burundais en entrepreneuriat, le constat de M. Gasore est que surtout les jeunes diplômés sont trop ambitieux. « On leur dit, vous avez suivi une formation en entrepreneuriat, on vous a appris comment rédiger un plan d’affaire. Faites votre plan d’affaire. Ils ne veulent pas démarrer petit. Ils veulent des budgets de 30 millions, de 50 voire de 60 millions. Qui est ce financier qui va accorder ce budget et sous quelle garantie de remboursement ? C’est le problème avec les jeunes diplômés, ils veulent démarrer de très gros projets qui ont des difficultés à être financés par les bailleurs.», a-t-il dit. A ce propos, il a conseillé aux jeunes entrepreneurs de démarrer un petit projet afin de progresser petit à petit. « Par contre, les jeunes non scolarisés sont capables de rentabiliser un petit crédit de 100 000 FBu car, ils acceptent d’entreprendre de petites activités.», a salué notre interlocuteur. Selon lui, le grand défi est de pouvoir changer la mentalité des jeunes scolarisés.
Un autre conseil qu’il a prodigué aux jeunes qui veulent se lancer en entrepreneuriat est d’être créatif. « N’allez pas faire ce que l’autre a fait. C’est aussi une lutte permanente mais, on commence à avoir des jeunes très créatifs. J’ai été impressionné par un jeune qui a inventé une méthode de conservation de la tomate en utilisant une boîte en bois et de la cendre et qui parvient à conserver la tomate durant 6 mois.», a-t-il dit. Il a également découragé des jeunes qui pensent qu’on va leur faire des dons. «Non! Qui va vous donner et pourquoi? On va vous prêter pour que vous puissiez travailler mais, avec un gage de garantie. Et le premier gage de garantie, c’est un budget acceptable par ce financier.», a-t-il souligné.
Le plan d’affaires, un élément de base
D’après Aimé Igiraneza, responsable du département des formations, le Burundi business incubator (BBIN) contribue dans l’entrepreneuriat des jeunes par deux phases à savoir la phase de pré-incubation et la phase d’incubation.
Pour la première phase, le jeune entre à la BBIN avec ou sans idée d’affaires. Avec les entretiens du test entrepreneurial, on constate les lacunes et c’est par là que le jeune est soumis à des sessions de formations. Après ces dernières, le jeune est coaché dans l’élaboration de son plan d’affaires et au bout de trois mois, il est supposé l’avoir terminé. C’est ainsi que son plan d’affaires est soumis à une institution de microfinance ou aux autres investisseurs pour financement.
La période d’incubation suppose que le jeune a eu son financement et a déjà démarré son affaire. Le BBIN offre des formations et des séances de coaching dans des domaines variés (comptabilité, gestion des ressources humaines, recherche des clients identification des marchés, etc). Cette période dure de six à huit mois et cela dépend du client, c’est-à-dire que cette période d’incubation est soumise au client qui désire ce service volontairement.
Aimé Igiraneza a insisté sur le plan d’affaires car c’est un élément de base pour démarrer une affaire. S’il y a un investisseur qui veut s’associer à un entrepreneur quelconque, le plan d’affaires est un élément qui montre comment les affaires vont se dérouler, le sérieux d’une affaire. « Une affaire ne se décrit pas verbalement, il faut un document pour la décrire ».
Soixante quatre entreprises fonctionnelles avec la fin de 2014
Depuis sa création en 2010, le BBIN a accueilli beaucoup de jeunes. Pour cela, soixante quatre entreprises fonctionnaient déjà à la fin de l’année 2014 à Bujumbura. L’intérieur du pays comme Bubanza et Ngozi, des entreprises fonctionnent déjà et « nous attendons de voir celles qui parviendront à résister et à survivre », a indiqué le responsable du département des formations.
Le concours d’affaires Shika est organisé chaque année. Ce concours s’organise entre les plans d’affaires : les jeunes ayant suivi des formations au BBIN et qui possèdent des plans d’affaires les soumettent pour concours. A cet effet, trois meilleurs plans d’affaires sont sélectionnés. Le jury est indépendant et les membres sont des parties prenantes qui ne sont pas nécessairement internes au BBIN.
Les problèmes ne manquent pas
Pour lui, les jeunes sont très motivés mais, ils se heurtent à pas mal d’obstacles. Pour démarrer une affaire, cela demande un capital (montant) et la plupart de nos jeunes n’en disposent pas. Aussi, les microfinances ou les banques demandent une certaine forme de garantie et cette dernière leur cause beaucoup d’ennuis.
L’autre problème s’observe lors du concours Shika où le prix va constituer un capital. Mais, l’entrepreneur gagnant prend ce montant et part avec. Pour palier à ce problème, le BBIN, au lieu de primer par de l’argent liquide, achète des équipements pour les entrepreneurs.
Le BBIN fait le suivi pendant la période d’incubation. Il suit également l’entrepreneur pendant sa période de paiement du crédit. Egalement, s’il a besoin de tel ou tel autre service, cette entreprise essaie de l’approcher et de l’aider. Le BBIN cherche aussi des mentors pour le suivre techniquement. Aimé Igiraneza a précisé que le BBIN est satisfait du travail déjà accompli : « Je pense que nous pouvons nous en féliciter ».
Parmi les jeunes formés par le BBIN, il y a ceux qui ont réussi à agrandir ou créer leurs propres entreprises grâce au concours organisé par le BBIN. L’exemple est de la Chalk Chain Entreprise (CCE), une entreprise qui fabrique des craies de bonne qualité et qui s’occupe elle-même de la livraison. Cette entreprise a commencé ses activités en 2012. Il s’agit d’une initiative de trois jeunes entrepreneurs dont l’un d’entre eux, Aimé Ndizeye, directeur général de la CCE. Il a fait la faculté de droit et plus tard, il a reçu une formation en entrepreneuriat à l’Université Lumière de Bujumbura. Aimé Ndizeye a aussi travaillé dans le secteur privé.
La CCE a réussi grâce au concours Shika
Selon Aimé Ndizeye, ils ont débuté par pas mal d’idées et ils se sont fixés sur un marché de craie. « Nous avons estimé que les craies constituent un grand marché, surtout qu’il n’y avait aucune usine qui en produit localement ». Il a aussi ajouté qu’ils ont commencé seuls au début avec des actionnaires. Mais, ils ont voulu par après agrandir leur entreprise en participant au concours Shika, organisé en 2014 par le BBIN. Ainsi, Ils ont été classés premier et ont reçu un prix. « Grâce à cette compétition, nous avons pu avoir accès à un crédit de 20 millions. Mais, ce n’est pas facile dans la mesure où jusqu’aujourd’hui, nous n’avons pu avoir qu’une partie de ce crédit. Mais, on espère toucher l’autre partie ». Il est difficile de démarrer une usine mais, en travaillant beaucoup, on peut y arriver, a-t-il poursuivi.
La CCE dispose de dix employés permanents mais dans une période où cette entreprise a plus de commandes, elle engage jusqu’à 50 employés. Les marchés d’écoulement de leurs produits sont principalement les écoles. Cette entreprise travaille dans huit provinces du pays. Aussi, il y a des ONGs comme l’Unicef dont la CCE dispose actuellement le marché.
Le jeune entrepreneur n’a pas d’accès au financement
D’après M. Ndizeye, le principal défi auquel ils font face est l’accès au financement. « Nous avons un petit capital pour commencer et avons envie de l’augmenter pour bien travailler. C’est un problème fondamental pour nous ». L’obstacle majeur est le manque du premier financement dans la mesure où un jeune qui termine ses études n’a pas d’argent.
La matière première utilisée est acheté à l’étranger, au Kenya ou en Ouganda. Au Burundi, cette matière existe (calcaire) mais elle n’est pas bien traitée. Pour Aimé Ndizeye, plus c’est loin, plus c’est difficile à acheminer au niveau du transport et surtout au niveau du temps. « Mais, on s’est habitué et on joue avec cela ».
Cette entreprise manque aussi de l’espace pour le séchage des craies fabriquées. « Si on avait une machine de séchage, cela nous faciliterait la tâche ». La CCE peut produire 400 000 craies par jour et plus de 500 écoles et organisations nationales et internationales constituent leurs marchés d’écoulement.
La crise que traverse notre pays a secoué cette entreprise car pas mal d’écoles surtout celles de Bujumbura ont dû fermer leurs portes. « Cela nous a beaucoup affecté, mais nous avons eu la chance d’avoir le marché de l’Unicef. Ainsi, il y a eu une compensation », souligne le directeur général de la CCE.
Choisir un domaine mieux connu
Notre interlocuteur a conseillé aux autres jeunes de se lancer dans l’entrepreneuriat en choisissant des domaines qui leur semblent mieux connus. Les difficultés ne manquent pas au début, mais grâce au BBIN, ils bénéficient des formations et c’est très important. Egalement, le BBIN les aide à avoir l’accès au crédit. « En ayant cette chance, les affaires peuvent marcher. Pour gagner la confiance des banques, il faut éviter des pénalités », a-t-il indiqué.
Les perspectives de cette entreprise sont entre autres de conquérir tout le marché national, et même arriver au niveau de la sous-région. A cet effet, des contacts ont été déjà établis par la CCE. En plus des craies, cette entreprise compte fabriquer d’autres matériels scolaires comme les frotoirs, les lattes en bois, les tableaux. Et même une usine de cahiers est un autre projet de cette entreprise.
Avoir le courage de débuter avec peu de moyens
Alexis Harimenshi est directeur général de Society for food technology (Sofotec), une entreprise qui fabrique et commercialise des suppléments diététiques naturels à base de produits locaux ou importés. «Nous fabriquons les suppléments d’une manière améliorée au sein de notre laboratoire sous forme de gélules. Par exemple, nous pouvons prendre la betterave, la réduire en jus qui sera ensuite transformé en poudre qui à son tour est mise dans des gélules. C’est une façon améliorée de transformation des produits agro-alimentaires», a-t-il expliqué.
Il a fait savoir que cette initiative a vu le jour en 2000. C’est en 2012 qu’il a fait la connaissance de la BBIN et grâce à cette organisation, il a bénéficié d’une formation en entrepreneuriat. « Après la formation, nous avons bénéficié d’un appui financier de BBIN spark qui nous a aidé à acheter des machines à l’étranger pour équiper notre petit laboratoire, ce qui nous permet aujourd’hui d’améliorer la production et l’obtention des produits appréciés par le public.», a-t-il dit. Il a fait savoir qu’il a été sélectionné par le bailleur parmi les quatre premiers entre les 60 entreprises demanderesses de financement. Il a souligné qu’il n’avait pas d’autre lien avec le bailleur, que si son projet a été financé c’est qu’il avait un caractère innovant.
Le DG de Sofotec a fait savoir que le financement que le BBIN lui a accordé s’élevait à 30 millions de franc burundais. Selon lui, ce financement n’était pas exagéré car il avait déjà une entreprise fonctionnelle, visible sur terrain. « Je n’étais pas débutant. J’ai commencé la fabrication et la commercialisation des produits agro-alimentaire bien avant que je ne trouve un appui financier. J’ai débuté avec un capital de 450 000 FBu y compris le loyer du bureau où je travaillais. Progressivement, au fur et à mesure que je continuais les activités, j’augmentais le capital et j’ajoutais d’autres produits supplémentaires jusqu’à ce que je sois apprécié par des organisations susceptibles de m’accorder un appui financier. Ce n’est pas en une seule journée que j’ai atterris à ce stade.», a-t-il indiqué.
Selon Alexis Harimenshi, s’engager en entrepreneuriat, c’est aussi lié à la personnalité. « J’apprécie beaucoup l’idée d’être autonome. Je n’avais jamais voulu être employé, je voulais être créateur d’emploi pour les gens qui sont désœuvrés.», a-t-il mentionné. Selon lui, l’entrepreneuriat présente des avantages de pouvoir se développer. « Si j’avais demandé du travail dans une entreprise qui n’aurait donné 250 000 FBu par mois, comment aurais-je pu avoir un laboratoire de plus de 40 millions et dans combien d’années ? Il vaut mieux créer quelque chose et participer au développement du pays.», a-t-il dit. Il est d’avis que, si un jeune initie une entreprise et que cette dernière prospère, c’est un grand apport pour la jeunesse et pour tout le pays. «Le premier apport est la création de l’emploi durable, vous engagez des gens qui n’avaient pas d’emploi. Nous payons des impôts, nous luttons contre le chômage et la pauvreté».
S’agissant des blocages de la jeunesse burundaise face à l’entrepreneuriat, M. Harimenshi a soulevé la croyance qu’il faut avoir des millions pour débuter. « Les jeunes ne veulent pas s’engager à suer en utilisant le peu de moyen qu’on peut avoir. C’est une illusion car, quand on commence avec beaucoup d’argent qu’on n’a pas gagné à sa propre sueur, il peut s’avérer difficile de le gérer, tandis que quand on évolue du petit au grand échellon, on saura comment l’entretenir pour le fructifier davantage.», a-t-il dit. Il a conseillé aux jeunes d’avoir le courage de se lancer avec peu de moyens, s’expérimenter et gagner la confiance.