Antiracisme: les dix actes pris chez d’anciennes puissances coloniales

Depuis la mort de George Floyd le 25 mai et les manifestations Black Lives Matter de début juin, le vent nouveau d’un antiracisme global souffle sur les ex-puissances coloniales. Dix actes ont été posés en Europe ces dernières semaines.  

 

« Profonds regrets » du roi Philippe de Belgique

« Je tiens à exprimer mes plus profonds regrets pour ces blessures du passé dont la douleur est aujourd’hui ravivée par les discriminations encore présentes dans nos sociétés. » Pour avoir écrit ces lignes au président congolais Félix Tshisekedi, le 30 juin, à la date anniversaire de l’Indépendance de l’ancien Congo belge, le roi Philippe restera dans les annales pour avoir été le premier à reconnaître les « actes de cruauté » commis sous le règne de son aïeul Léopold II au Congo. Un vaste territoire dont il avait fait sa propriété privée, et où d’innombrables exactions ont été perpétrées  ce qui vaut aux statues à son effigie d’être maculées de peinture rouge depuis les manifestations globales Black Lives Matter. Le monarque n’a pas présenté d’excuses officielles, comme l’a pourtant recommandé en février 2019 une groupe d’experts des Nations unies sur les personnes d’origine africaine. Sa déclaration a cependant été saluée en Belgique comme un pas important. Jusqu’à présent, l’omerta régnait au sein de la famille royale sur ce passé, un motif de fierté et de nostalgie pour de nombreux « anciens » du Congo.

« Commission vérité et réconciliation » au Parlement belge

Patrick Dewal, le président libéral de l’Assemblée fédérale, a annoncé le 12 juin qu’une commission d’experts sera mise sur pied pour « faire la paix avec le passé colonial ». Dénommée « Commission vérité et réconciliation », à la manière de l’ancienne TRC sud-africaine, elle n’aura pas le même mandat et ne fera pas défiler les victimes pour qu’elles racontent leur histoire. Il est cependant question de se pencher sur d’éventuelles « indemnités financières », le mot choisi pour ne pas dire « réparations ». Sa composition n’a pas encore été annoncée qu’elle fait déjà polémique. David van Reybrouck, auteur du best-seller Congo, une histoire (Actes Sud, 2008), estime qu’il faut inclure les membres de la société civile directement concernés. Or, les députés ont demandé à l’ancien Musée royal d’Afrique central (MRAC), rebaptisé Africa Museum, et aux services des Archives de l’État (AE) « un avis détaillé sur la faisabilité d’une telle mission, sur les différents aspects (historiques, sociologiques, etc.) qu’une telle mission devrait comporter, ainsi que sur l’expertise multidisciplinaire (belge et africaine) nécessaire pour la mener à bien ». Un rapport préliminaire doit être rendu le 15 septembre par un groupe de 20 experts, en majorité des historiens, composé de douze hommes et huit femmes, huit néerlandophones et douze francophones, issus de Belgique, du Congo, du Rwanda et du Burundi.

 

Débat sur la suppression du mot « race » dans la Constitution allemande

« Nul ne doit être discriminé ni privilégié en raison de son sexe, de son ascendance, de sa race, de sa langue, de sa patrie et de son origine, de sa croyance, de ses opinions religieuses ou politiques », stipule la Constitution de 1949. En 2008, l’Institut allemand des droits de l’homme avait estimé que la loi fondamentale devait être expurgée du mot « race », un terme « utilisé depuis la fin du XVIIe siècle pour catégoriser et hiérarchiser des groupes de personnes ». L’association Initiative des personnes noires en Allemagne milite depuis 2015 pour le retrait d’un mot qui renvoie à « l’esclavage, l’oppression coloniale et les persécutions du régime nazi ». Relancé en mars par les Verts, après des fusillades contre deux bars à chicha dans la ville de Hanau, le débat fait tache d’huile depuis la mort de George Floyd, désormais porté par plusieurs partis politiques.

Le Parlement européen déclare la traite « crime contre l’humanité »

Dans une résolution adoptée le 19 juin, le Parlement européen a déclaré que la traite des esclaves est un crime contre l’humanité. Adoptée par 493 voix pour, 104 contre et 67 abstentions, cette résolution intervient clairement dans le cadre des manifestations Black Lives Matter ayant suivi la mort de George Floyd. Le même texte condamne en effet les « meurtres similaires ailleurs dans le monde », de même que la « rhétorique incendiaire du président Donald Trump ».

Le Premier ministre des Pays-Bas change d’avis sur « Pierrot le Noir »

Alors qu’il avait défendu la tradition, le Premier ministre Mark Rutte déclare aujourd’hui « comprendre les gens de couleur de peau sombre avec des enfants » qu’il a rencontrés, et qui se disent « incroyablement discriminés parce que Pierrot est Noir ». Le chef du gouvernement a fait part le 4 juin au Parlement de son « changement de position » sur la tradition du Swarte Piet, ce « Pierrot le Noir » qui accompagne les festivités de la Saint-Nicolas tous les 5 décembre. Cette manifestation populaire de blackface voit des Néerlandais se grimer en Noirs stéréotypés – bouches rouges et grosses boucles d’oreilles. La prise de parole de Mark Rutte est une grande première dans un débat lancinant, qui oppose une majorité de Néerlandais à des activistes noirs qui peinent à se faire entendre. Pas question cependant d’interdire la tradition, que les autorités espèrent voir disparaître d’elle-même.

Possible boycott de Facebook par les annonceurs

KPN, l’opérateur télécom historique des Pays-Bas, a engagé des discussions avec Facebook pour retirer ses publicités de la plateforme, en raison de la « polarisation des messages » depuis la mort de George Floyd. KPN ne veut pas voir son logo apparaître aux côtés de discours de haine. La décision n’est pas prise, mais l’association des annonceurs des Pays-Bas discute d’un boycott de Facebook, dans la foulée de la campagne « Stop Hate for Profit », à l’appel d’associations américaines de défense des droits civils. Cet appel a été entendu par Unilever, Coca-Cola et 160 sociétés dans le monde, qui ont suspendu toute publicité sur les réseaux sociaux jusqu’à la fin juillet.

Le groupe français L’Oréal retire les termes « blancs » et « blanchiment » de ses produits cosmétiques

Aux États-Unis, la multinationale Mars reconnaît que l’image de l’Oncle Ben’s sur les paquets de riz relève d’un autre temps. Dans la foulée d’une décision prise par un autre groupe américain, Johnson & Johnson, de ne plus vendre des produits d’éclaircissement de la peau sous la dénomination Clean and FairnessL’Oréal va retirer les mots « blancs » et « blanchiment » de ses produits cosmétiques. Des décisions que certains jugent hypocrites, comme la mannequin noire Munroe Bergdof, licenciée en 2017 par L’Oréal pour avoir dénoncé le racisme aux États-Unis. De grandes marques contraintes de retirer certains produits en raison de leurs connotations racistes seront-elles plus conscientes désormais ? Le groupe suédois H&M avait provoqué un tollé en janvier 2018, avec une photo d’un enfant noir portant un T-shirt avec ce message : « Le singe le plus cool de la jungle .» La maison française Mariage Frères avait dû retirer en 2017 un thé dénommé « Exposition coloniale ».

La Banque d’Angleterre présente des excuses pour son lien avec l’esclavagisme

En Grande-Bretagne, le plus vaste des anciens empires coloniaux, de grandes sociétés marquent leurs distances avec leur propre passé, parfois peu reluisant. La Banque d’Angleterre a ainsi présenté le 18 juin des excuses pour « le rôle de certains des anciens gouverneurs et directeurs » dans l’esclavage et la traite transatlantique. Pas moins de 25 d’entre eux ont détenu des esclaves ou été liés à la traite, aux XVIIIe et XIXe siècles. La Banque centrale a promis de retirer de son siège londonien des statues et œuvres d’art rappelant ces figures du passé.

« Profonds regrets » de Lloyds of London et Green King

Dans la même veine, deux grands groupes cotés en Bourse, les assurances Lloyds of London et les brasseries Green King ont annoncé le 18 juin leur intention de verser non pas des réparations au titre de l’esclavage, mais d’engager plus de personnes issues de la diversité, et de soutenir financièrement les associations et fondations qui les défendent. Ces deux sociétés y ont été quelque peu contraintes  : des chercheurs de l’University College de Londres ont documenté la manière dont leurs anciens directeurs, des esclavagistes, avaient été dédommagés pour leurs « pertes » après l’abolition de l’esclavage en 1833.

Statues vandalisées à Milan et Lisbonne

Aucun acte de contrition ni de déclaration à portée symbolique n’a fait couler de l’encre en Europe du Sud. Le ministre espagnol des Affaires étrangères a au contraire manifesté le 25 juin son inquiétude au sujet des statues de figures espagnoles (l’explorateur Christophe Colomb et l’évangéliste Friar Junipero Serra) qui tombent aux États-Unis. Lacasa, un confiseur espagnol visé par une pétition, a annoncé qu’il changerait sa mascotte noire aux grosses lèvres rouges de ses boîtes de chocolat Conguitos.

En Italie, une statue du journaliste Indro Montanelli, qui se vantait dans les années 1960 à la télévision d’avoir acheté une « femme » érythréenne de 12 ans dans les années 1930, qu’il avait ensuite « passée » à un ami, a été maculée de rouge à Milan.

De même, au Portugal, une statue de José Antonio Vieira, missionnaire jésuite du XVIIe siècle, a été maculée le 12 juin de peinture rouge devant l’église Sao Roque, à Lisbonne. L’œuvre, inaugurée en 2017, montre l’évangélisateur entouré de trois enfants amérindiens du Brésil. Considéré comme un grand auteur dans la littérature portugaise, cet homme est décrié pour n’avoir jamais condamné l’esclavage des peuples africains. Réponse de la mairie de Lisbonne : nettoyage et enquête policière sur un acte de vandalisme jugé « inadmissible ».  Près d’un millier de personnes ont manifesté à Lisbonne le 27 juin à l’appel d’un parti d’extrême-droite pour nier les accusations de racisme au Portugal.

Sabine CessouSuivre|Sabine Cessou