Le Burundais Libérat Mfumukeko dresse une sorte de bilan de ses neuf mois au secrétariat général de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC). Réalisation-phare : la réduction des coûts et dépenses liés aux déplacements du personnel. Il s’exprime sur l’accord de partenariat économique UE et l’EAC, sur le rail tanzanien, un projet dont le Burundi tirera grand profit. Le secrétaire général s’exprime aussi sur bien d’autres questions comme les perspectives de l’EAC, le souhait exprimé mais non encore formalisé de la RDC d’intégrer l’EAC et même sur l’attaque qui viserait à ternir son nom.
Libérat Mfumukeko, le secrétariat général de l’EAC
Après neuf mois de fonction, quelles sont vos impressions?
Mes impressions sont positives. Dès ma prise de fonction à la fin du mois d’avril 2016, j’ai pu passer en revue le dossier qui m’a été remis par mon prédécesseur et j’ai réalisé que beaucoup a été fait. L’EAC agit dans plusieurs secteurs, comporte plusieurs projets dans des domaines variés et bien réussis. L’union douanière aujourd’hui au niveau de l’EAC est un exemple qui est devenu mondial. Plusieurs communautés économiques d’Afrique et même des communautés en dehors du continent africain viennent voir le modèle de l’EAC pour s’en inspirer. Cela étant, j’ai eu aussi l’occasion de constater qu’il y avait beaucoup de défis en matière de gestion de la communauté mais aussi au niveau de plusieurs secteurs dans lesquels la communauté pourrait réagir. C’est notamment l’agriculture, l’énergie et d’autres secteurs qui pourraient finalement améliorer la vie des citoyens de l’Afrique de l’Est. Ces secteurs demandent à être appuyés et exigent beaucoup d’activités au niveau de l’EAC.
Comparativement aux pratiques de votre prédécesseur, vous avez drastiquement réduit les coûts et les dépenses liés aux déplacements du personnel du secrétariat. Est-ce que cela n’a pas nui aux performances de votre bureau?
Effectivement, dès ma prise de fonction, j’ai eu un message assez clair du sommet des chefs d’États de l’EAC. Le premier à m’avertir de ce que je devrais faire a été le Président du Sommet, Son Excellence le président John Pombe Magufuli de la République Unie de la Tanzanie. C’est lui qui m’a fait comprendre clairement que l’EAC devait changer au niveau de sa gestion financière mais aussi au niveau de certaines habitudes. Des employés de la Communauté Est Africaine ont eu l’habitude de se déplacer, parce qu’ils doivent accomplir des activités dans tous les pays membres. Mais il y avait comme un excès de voyages. Il fallait absolument freiner cette tendance-là et faire en sorte que les personnes ne se déplacent que lorsqu’elles ont une activité impérative à accomplir dans un pays. Et puis aussi, il fallait faire en sorte que les délégations envoyées comportent uniquement des personnes qui ont un travail à faire pendant ce déplacement, et non du monde qui se déplaçait alors que la moitié des personnes pouvait faire le travail concerné.
Quelle stratégie avez-vous alors mise en œuvre ?
Il a fallu qu’on réduise les délégations, mais aussi la fréquence des voyages. Cela ne handicape pas les activités de la communauté. Bien au contraire, cela permet à la plupart des gens d’être présents à Arusha, au siège et puis d’accomplir plusieurs travaux qui demandent qu’ils soient dans leurs bureaux. Cela permet aussi de réduire les coûts au niveau des frais de voyage. L’argent qui n’est pas ainsi dépensé est mis dans d’autres activités. L’orientation c’est que pour la première année on vise une réduction des coûts d’environ 6 millions de dollars, en espérant faire mieux dans les années qui vont suivre.
Compte tenu des positions tranchées du Kenya et de la Tanzanie sur la signature d’un accord de partenariat économique avec l’UE, l’EAC risque de ne pas signer l’accord comme bloc. Est-ce que le secrétariat le regrette ?
Pour l’instant, il n’y a aucun regret parce que la position des pays n’est pas encore définitive. Pendant le Sommet des chefs d’Etat du mois de septembre 2016, on a pu remarquer que certains pays avaient déjà signé. C’est notamment le cas du Rwanda et du Kenya. Mais il y avait trois autres pays qui n’avaient pas encore signé dont le Burundi, la Tanzanie et l’Ouganda. Pendant ce sommet-là, les chefs d’État ont décidé de prendre un peu plus de temps pour réfléchir et essayer de résoudre les divergences affichées pendant la discussion.
Comment est-ce que vous procédez pour résoudre des différends?
Au niveau du secrétariat général de l’EAC, ce que nous faisons depuis le mois de septembre dernier, c’est d’essayer de comprendre ces divergences et faire en sorte que tous les participants à nos réunions sur la question puissent avoir vraiment leurs inquiétudes adressées. Il y a eu beaucoup de réunions techniques, nous avons embauché des consultants très outillés en la matière pour voir si les inquiétudes des uns et des autres sont fondées. C’est ce travail qui est en cours aujourd’hui. Le prochain Sommet des chefs d’État va pouvoir résoudre la question à un niveau politique. La matière sur le plan technique sera disponible et il appartiendra aux chefs d’État de prendre des décisions par rapport à la signature de cet accord.
Quand prévoyez-vous les premiers voyages en train au sein de l’EAC, notamment avec le projet de chemin de fer tanzanien ?
L’EAC est très ambitieuse au niveau des infrastructures. Vous me parlez du train mais vous avez oublié de me parler des autoroutes régionales qui sont en cours de construction. Certaines sont achevées, et concernent le Burundi aussi. Le premier grand chantier du chemin de fer déjà en cours, le Standard Gage Railway qui concerne le train rapide régional dont le premier tronçon est achevé. Il va de Mombasa à Nairobi. Il y a maintenant une deuxième phase qui est en train d’être négociée, de Nairobi à Naivasha, pas très loin de la frontière avec l’Ouganda. Ce train va continuer jusqu’à Kampala.
Avez-vous des moyens financiers pour pouvoir débuter les travaux de construction du chemin de fer tanzanien ?
Il y a des financements déjà sur la table pour commencer la construction du chemin de fer rapide entre Dar-es-Salam et Kigoma, pas très loin de la frontière avec le Burundi. Il y aura des branchements de cette ligne. L’un partira au Rwanda et l’autre ira au Burundi. Les pays où va passer ce chemin de fer sont très engagés. L’EAC mobilise des fonds et nous avons plusieurs pays, plusieurs bailleurs qui sont intéressés par ce projet-là. Donc, nous sommes optimistes.
Comment accueillez-vous les propos du facilitateur Mkapa sur la légitimité du président Nkurunziza?
Le facilitateur qui est l’ex-président tanzanien Mkapa a une tâche très difficile et sensible. Je crois qu’il ne faut pas vraiment s’arrêter à des phrases qui ont été prononcées par le facilitateur ici et là. Je crois que ce qu’il a traité est très profond. Il s’agit pour ce qui le concerne de faire en sorte que les Burundais puissent se parler pour résoudre leurs divergences, et à la fin du processus, qu’ils puissent construire leur pays. Je pense que ça c’est plus important qu’une phrase qui aurait été prononcée lors d’une conférence de presse. Pour moi, c’est ce qui compte. Notre travail en tant que EAC est de faire en sorte que ce dialogue, ce contact entre Burundais puisse se faire. Je me garde de faire des commentaires sur ce que Mkapa aurait dit ici et là.
Vous avez été attaqués pendant un certain temps par l’opposition burundaise comme étant derrière Mkapa pour téléguider le dialogue externe. Est-ce que l’opposition a finalement compris votre rôle?
Je crois qu’avec le temps, tout le monde a compris le rôle de l’EAC. En fait, l’EAC fait partie du dispositif. Lorsque vous vous référez aux différentes résolutions qui ont été prises par le conseil de sécurité des Nations Unies, ce processus de dialogue aujourd’hui est un processus qui est dirigé par l’EAC. C’est un processus qui a été défini et mis un place par le Sommet des chefs d’Etat de l’EAC. Et dans ce cadre, chacun a son rôle.
Quel est le rôle du secrétariat général de l’EAC par rapport au dialogue inter-burundais ?
Le médiateur, c’est le président Museveni. La facilitation, c’est l’ex- président Mkapa. Il a son bureau. Il a des conseillers qui travaillent avec lui qui ont été nommés par des chefs d’Etat. Au niveau du secrétariat général, nous sommes là pour appuyer tout le processus. Jusqu’aujourd’hui, les financements proviennent de l’EAC. Tous les rounds de dialogue ont été financés par l’EAC. Tous les arrangements logistiques, les billets d’avion, les hôtels et tout le reste sont arrangés par nos services. Et nous avons aussi une division au niveau de l’EAC qui s’occupe de la politique. Tout le monde au niveau de l’EAC est mobilisé pour faire en sorte que le processus puisse réussir. Donc, notre rôle est celui-là. Ce n’est pas pour nous immiscer dans le travail difficile du facilitateur, absolument pas. C’est faire en sorte que le facilitateur, tout le monde puisse vraiment travailler dans les meilleures conditions possibles.
L’année prochaine, le Kenya et le Rwanda font face à des rendez-vous électoraux présidentiels. Quels mécanismes de prévention de troubles pour la stabilité régionale avez-vous mis en place?
Vous savez, au niveau de l’EAC depuis plusieurs années, lorsqu’il y a des élections, nous avons le devoir d’appuyer et d’assister les pays pour que les élections puissent se dérouler dans les meilleures conditions. Maintenant, les élections se déroulent dans les pays et non dans nos bureaux à Arusha. Nous apportons un appui technique, nous envoyons des équipes d’observation sur terrain et des équipes sont disponibles aujourd’hui pour que nous puissions suivre de très près les élections au Rwanda et au Kenya.
En termes de coopération et de liens diplomatiques, comment le secrétariat de l’EAC perçoit-il l’arrivée d’une administration républicaine aux USA?
Au niveau de l’EAC, il ne s’agit pas d’administration comme vous l’avez bien mentionné dans votre question. Il s’agit de coopération. Nous sommes aujourd’hui en très bons termes avec nos interlocuteurs américains. Il y a un ambassadeur des États-Unis qui est accrédité auprès de l’EAC avec qui nous avons des échanges et des contacts plutôt chaleureux. En 2016, j’ai pu signer le plus grand engagement financier qui soit fait par les Américains au niveau de l’EAC, qui engage 194 millions de dollars. C’est la première fois que des États-Unis accordent un montant aussi important à la communauté. Donc, pour l’instant les choses se déroulent très bien. Nos programmes de coopération sont en cours et ne rencontrent aucun obstacle au niveau de l’administration américaine. Nous sommes optimistes quant à notre avenir avec l’administration américaine.
Dans une récente tribune, le président Museveni impute la réussite des visées néo-colonialistes à travers l’Afrique aux faiblesses et divisions des africains. Pensez-vous que l’EAC participe à renforcer de façon effective la capacité des africains à résoudre leurs problèmes alors que vous dépendez en grande partie des budgets européens, américains et chinois?
L’EAC est un projet panafricain. C’est un projet entre peuples et pays différents d’Afrique de l’Est. Je crois que déjà c’est un message très important, un message d’unité. Nous citoyens d’Afrique de l’Est avons décidé d’unir nos destins. Nous avons commencé par l’union douanière qui est presque achevée aujourd’hui, qui est fonctionnelle. Nous travaillons sur le marché commun. Nous travaillons sur l’union monétaire et sur la fédération politique. La décision a été prise par les créateurs de l’EAC et ce projet d’unité, ce projet-même de fédération politique aujourd’hui est porté par les chefs d’Etat. Donc, ce qui symbolise vraiment notre projet aujourd’hui c’est la solidarité, c’est l’unité entre Africains et plus particulièrement africains de l’Afrique de l’Est. C’est pour vous dire que la conscience est là, la sensibilisation est déjà faite et c’est un projet aujourd’hui qui est irréversible. Nous sommes décidés à avancer vers un avenir commun.
Y aurait-il des efforts de l’EAC pour assurer son indépendance financière ?
Au niveau de la dépendance ou indépendance financière de la communauté, il y a beaucoup d’évolution aussi. Aujourd’hui, les frais de fonctionnement de l’EAC sont fournis en très grande partie par les Etat membres. Contrairement à certaines communautés qui ont une dépendance très forte qui va jusqu’à 80% au niveau des frais de fonctionnement. Au niveau de l’EAC, 100% de nos frais de fonctionnement proviennent des États membres. Mais depuis quelques années, nos chefs d’Etat ont pris une décision qui était vraiment de faire en sorte que la communauté puisse être auto-suffisante au niveau de toutes ces activités. Il y a un projet aujourd’hui qui sera discuté au prochain sommet qu’on appelle l’EAC Sustainable Financing, (financement durable de l’EAC) et ce projet est déjà formulé. Il y a eu plusieurs réunions techniques. Les ministres se sont rencontrés. Nous attendons aujourd’hui une réunion des ministres des Finances qui va adopter la formule définitive qui sera soumise aux chefs d’Etat pour décision pendant cette année. Il s’agit vraiment de faire en sorte que la communauté puisse s’auto-suffire financièrement et puisse conduire ses activités en comptant d’abord sur elle-même. Cela ne veut pas dire que nous allons annuler les activités avec les bailleurs. Mais nous allons accroître notre participation dans les activités qui concernent notre communauté.
Lors de son récent voyage d’État en Tanzanie, le président Kabila a fait part de son intérêt de voir la RDC intégrer l’EAC. Quels sont les défis et gains d’un tel processus?
Effectivement. Il y a eu une visite officielle du président Kabila de la RDC en République Unie de la Tanzanie l’année dernière. Cela étant dit, il n’y a pas eu de déclaration officielle quant à l’adhésion ou non de la RDC dans l’EAC. Donc pour l’instant, il y a des échos comme quoi la RDC souhaiterait rejoindre la communauté mais on n’a pas de demande ni de déclaration officielle. Mon avis serait effectivement que la RDC puisse éventuellement considérer cette possibilité de rejoindre l’EAC étant donné qu’une grande partie de ce pays se trouve dans la partie Est de l’Afrique. La RDC a des frontières avec le Burundi, avec la Tanzanie, avec le Rwanda. S’il y avait une demande dans ce sens-là, ce serait une très bonne chose pour la communauté, cela agrandirait la communauté et ses ressources, cela agrandirait certainement le pouvoir que la communauté peut acquérir dans l’expansion de son marché et de sa population.
Quelle est votre vision pour l’EAC et celle qui va guider votre action dans les années à venir?
Nous avons commencé depuis l’année dernière à repenser la manière dont l’EAC va fonctionner. C’est une communauté qui est impliquée dans plusieurs activités, peut-être un peu trop d’activités qui demanderaient qu’on puisse réduire un tout petit peu et se concentrer sur quelques secteurs qui sont porteurs et qui peuvent rapporter des résultats assez rapidement et surtout qui peuvent aider nos populations de manière assez tangible et rapide. Ainsi, pour le budget 2017-2018, nous avons vraiment essayé de cibler certains secteurs qui pourront produire des résultats au bénéfice direct de nos populations. C’est par exemple l’accroissement de la production agricole.
Dans le but de faire développer l’EAC, pourriez-vous nous parler de quels secteurs auxquels vous donnez plus de priorité ?
L’agriculture est quelque chose aujourd’hui que nous mettons en avant. Traditionnellement, ce secteur n’a pas joui de beaucoup de soutiens. Quand on regarde les budgets de l’EAC, le domaine agricole avait un tout petit budget. Aujourd’hui, nous avons augmenté le budget du secteur agricole, et nous insistons dessus dans nos négociations avec les bailleurs. Maintenant, il y a d’autres secteurs qui nous tiennent à cœur comme la création d’emplois. Nous avons augmenté nos activités aujourd’hui pour tout ce qui est de l’investissement, l’industrialisation et nos contacts avec le secteur privé, les pays étrangers qui peuvent venir créer des entreprises ou qui peuvent venir investir dans l’EAC afin de pouvoir embaucher tout ce monde-là. Nous savons que nous avons une jeunesse assez importante, qui constitue plus de la moitié de nos populations dans les pays respectifs. La création d’emploi aujourd’hui devient une question centrale.
by Emmanuel Bizindavyi