Pierre Nkurunziza, président du Burundi. Le N°1 burundais s’exprime depuis Paris sur les sujets brûlants de l’actualité
Au Burundi, un an avant la présidentielle de 2015, la communauté internationale tire la sonnette d’alarme « sur les entraves aux activités de l’opposition et sur les atteintes aux libertés ». Or, ce jeudi 5 juin, le président du Burundi est de passage à Paris, au siège de l’Unesco, où il reçoit un prix pour la contribution de son pays aux missions des soldats de la paix dans le monde. Pierre Nkurunziza est l’invité de RFI.
RFI : Le week-end dernier, vous avez reçu la visite à Bujumbura de quatre hauts représentants de la communauté internationale qui s’alarment des entraves aux libertés à quelques mois de l’élection présidentielle de 2015. Est-ce que vous avez entendu leur message ?
Pierre Nkurunziza : D’abord ces représentants spéciaux avaient apprécié les progrès réalisés de ces derniers temps au Burundi avec les rencontres régulières entre les partis politiques, mais aussi la promulgation du nouveau code électoral, mais aussi le forum des jeunes des partis politiques. Et ce que j’ai toujours gardé de notre entretien, c’est que juste après, ils ont fait une conférence de presse, pour dire qu’ils avaient apprécié positivement ce qui a été fait pour la préparation des élections l’année prochaine.
C’est vrai qu’il y a des réformes pour préparer ce grand rendez-vous électoral de 2015, mais ce que dénoncent les représentants de la communauté internationale, ce sont des manœuvres qui intimident et fragilisent certains leaders de l’opposition. Pourquoi votre gouvernement ne reconnaît-il pas Agathon Rwasa comme le président des Forces nationales de libération (FNL) et Charles Nditije comme celui de l’Union pour le progrès national (Uprona) ?
En tout cas, pour ce qui est de la gestion des partis politiques, c’est conformément à la loi sur les partis politiques. Ce n’est pas le gouvernement qui doit prendre les destinées des partis politiques, c’est de l’organisation interne. Puis les problèmes qui ont été observés au niveau du FNL mais aussi au niveau de l’Uprona, ce ne sont pas des problèmes qui datent d’aujourd’hui. Ce sont des problèmes qui datent de plusieurs années. Ce n’est pas uniquement aussi des problèmes du FNL, mais le CNDD-FDD connaît des dissensions.
Mais ce que disent les observateurs, c’est que les dissensions à l’intérieur de ces deux partis sont suscitées par le pouvoir ?
Est-ce que le pouvoir organise des congrès ? Pourquoi aussi le parti au pouvoir aurait connu les mêmes problèmes ? C’est ça la question qu’on pourrait se poser. Si non, nous disons que les problèmes liés aux dissensions internes dans cette lutte interne pour les positionnements, surtout pour les élections.
Donc Agathon Rwasa et Charles Nditije sont libres de faire campagne s’ils le veulent pour la présidentielle de 2015 ?
Selon la Constitution burundaise, toute personne et donc tout Burundais a droit de se faire élire. L’essentiel c’est qu’il soit en conformité avec la loi et avec la Constitution, c’est tout.
Autre parti d’opposition en difficulté, le Mouvement pour la paix et le développement (MSD) d’Alexis Sinduhije. En mars dernier à la suite d’affrontements avec les forces de l’ordre, une vingtaine de militants de ce parti ont été condamnés à la prison à perpétuité. Est-ce que la justice n’a pas eu la main très lourde ?
Je ne pense pas que la justice a eu la main lourde parce que c’est un processus qui continue. Il y a un jugement au premier degré mais il y a aussi le recours. Il y a un appel, c’est-à-dire qu’aujourd’hui avec les avocats qui ont défendu ceux qui avaient fait des infractions, ils ont donc fait un recours pour l’instance supérieure. Donc il faut attendre alors le jugement au second degré.
Du côté de la société civile, le dossier qui suscite beaucoup d’émotion notamment à Washington et à New York aux Nations unies, c’est l’arrestation, il y a deux semaines, du président de l’Association burundaise pour la protection des droits humains (Aprod), la principale association burundaise de défense des droits de l’homme. Pierre-Claver Mbonimpa est une personnalité très connue, très respectée dans votre pays. Quelles que soient les déclarations qui lui sont reprochées, est-ce que cela valait qu’il aille en prison ?
C’est une question d’appréciation : d’abord on n’est pas ce qu’on était, on est ce qu’on devient. Mais nous disons la fragilité de notre pays. C’est quelque chose à prendre au sérieux, quand un pays se trouve donc en situation de difficulté avec son voisin. Disons, le pays ami, frère d’à côté, héberge des gens qui vont attaquer le Burundi. Mais la liberté d’expression a ses limites. C’est pourquoi nous disons que ce qui est très important, c’est que la justice fasse son travail.
Ce qui est reproché à Pierre-Claver Mbonimpa, c’est d’avoir déclaré que de jeunes Burundais, proches du parti au pouvoir, s’entraînaient au maniement des armes dans un camp à la frontière Burundi-Congo Kinshasa. Mais est-ce que vous êtes certain que chez les Imbonerakure, les jeunes du parti au pouvoir CNDD-FDD, il n’y a pas des initiatives en faveur de la création d’une milice armée ?
Cela est faux, archi faux. Mais ce qui est très important pour nous, c’est de vous signaler que la mobilisation de toute notre énergie pour construire notre pays, depuis que le Burundi est indépendant, on n’a jamais vu une jeunesse active aussi engagée à construire le pays. En moins de sept ans, nous venons de construire des milliers d’écoles, des centres de santé, des petits stades, des bureaux pour les administratifs, pour les gouverneurs, voire même des universités communautaires, en travaux communautaires. Ça a été fait par la jeunesse. Comment se fait-il que cette jeunesse qui a construit avec cette énergie pourrait encore penser à venir détruire ce qu’elle a construit ? Pas de milice armée. Nous avons au Burundi une commission de désarmement des civils. En moins de six ans, nous venons de collecter autour de 100 000 armes, remises volontairement par la population civile, toute ethnie confondue.
Au début de l’an prochain, ce sera l’élection présidentielle. Vous avez déjà fait deux mandats. Si le CNDD-FDD vous désigne, est-ce que vous serez candidat à un troisième mandat ?
Pour ce qui est des mandats aujourd’hui, c’est prématuré. Les partis politiques doivent présenter aussi les candidatures qui sont conformes à la loi, la loi électorale, mais aussi à la Constitution burundaise. Je ne suis pas un indépendant. Chaque fois que j’ai été présenté pour les élections, j’ai été présenté par leur parti politique, c’est-à-dire que si le parti décide de choisir celui qui va le représenter au niveau de la compétition présidentielle, il doit choisir quelqu’un qui est en conformité avec la Constitution et la loi burundaise.
Est-ce que vous estimez que si le parti vous désigne, vous serez en conformité avec la Constitution ?
Si la Cour constitutionnelle et la Céni [Commission électorale nationale indépendante] voient que la candidature est en conformité, je pense qu’il n’y a pas de problème.
En fait, vous vous déterminerez en fonction de la décision de la Cour constitutionnelle ?
Normalement, le parti qui présente la candidature, ils ont des juristes. Ils doivent bien mesurer la décision de leur congrès. La réponse finale viendra de la Cour constitutionnelle et de la Céni.
Dans Afrique midi, à 12H30 TU, 14H30 heure de Paris, Pierre Nkurunziza s’exprimera sur la candidature de son prédécesseur Pierre Buyoya à la tête de la Francophonie.
Christophe Boisbouvier