Le Burundi a aussi son Raspoutine, il suffit de bien observer
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Raspoutine, l’homme qui murmurait à l’oreille des Romanov, était grand et fort, une lueur flamboyante dans les yeux, chantait Boney M. Chez la plupart des gens, il inspirait la terreur et la crainte.” Le tube planétaire a résumé, en quelques mots, tout le mythe Raspoutine.

Pour l’élite de la capitale, il était presque un chamane. On venait le trouver pour ses conseils et pour sa sagacité à ourdir les intrigues de cour, il valait mieux être de son côté que du contraire, le nôtre ne fait pas exception.

Le nôtre endetté jusqu’au cou, à vérifier auprès d’une banque du coin, est impliqué dans tous les dossiers lucratifs, on le retrouve dans les pouvoirs législatif et exécutif mais plus actif dans le secteur privé où rien ne peut lui échapper, rien ne peut tourner sans sa bénédiction. Le réseau auquel il appartient ne lésine pas sur les moyens à utiliser, pour cela dans certains milieux on l’a surnommé « la planche à billets », quand il s’agit de défendre ses intérêts ou ceux du réseau, il se montre toujours très généreux.

Socialement très impliqué et dévoué, il compte dans son escarcelle beaucoup de parrainages de mariages, de baptêmes, de naissances, etc… pourvu que les parrainés soient de très bonnes familles ou potentiellement, autrement à quoi bon la peine ? Le réseau en cas de besoin offre la protection requise, encore une fois rien n’est laissé au hasard. Les dossiers sont connus et de notoriété publique.

Dans les Etats de droit, la bonne gouvernance rime avec le principe de la séparation des pouvoirs, avec la notion d’incompatibilité de fonctions afin d’éviter l’affairisme et avec l’interdiction de situations de conflits d’intérêts. Où en est-t-on au Burundi ? Des avancées majeures sont observables mais des efforts d’améliorations sont encore à fournir.

Dès lors, l’Etat est organisé suivant le principe politique, selon lequel, les fonctions des institutions publiques sont divisées entre le pouvoir législatif qui fait les lois, l’exécutif qui les met en œuvre et les fait appliquer, et le pouvoir judiciaire qui les interprète et les fait respecter.

  1. Pourquoi respecter le principe de la séparation des pouvoirs ?

Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. Il faut donc une séparation stricte des pouvoirs pour que chacun puisse surveiller et contrebalancer les autres. Les pouvoirs ne sont pas alors indépendants l’un de l’autre. Partant du constat que seul, dans le régime de la monarchie absolue, ces trois fonctions sont le plus souvent confondues et détenues par une seule et même personne, la théorie de séparation des pouvoirs plaide pour que chacune d’entre elles soit exercée par des organes distincts, indépendants les uns des autres, tant par leur mode de désignation que par leur fonctionnement. Chacun de ces organes devient ainsi l’un des trois pouvoirs : le pouvoir législatif est exercé par des assemblées représentatives, le pouvoir exécutif est détenu par le chef de l’État et les membres du Gouvernement, le pouvoir judiciaire, enfin, revient aux juridictions.

L’objectif est d’aboutir à l’équilibre des différents pouvoirs : “Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir.”

  1. L’incompatibilité.

L’incompatibilité entre le statut de fonctionnaire et la fonction parlementaire illustre à merveille les complexités.

L’incompatibilité est la règle qui interdit à un parlementaire d’exercer certaines occupations en même temps que son mandat. Comme l’inéligibilité, elle tend à dégager les parlementaires de la dépendance dans laquelle ils peuvent se trouver vis-à-vis des pouvoirs publics ou, le cas échéant, des intérêts privés. Mais elle agit d’une façon moins brutale : en général, elle n’empêche pas d’être candidat et ne fait pas obstacle à la validité de l’élection.

L’élu est seulement obligé de choisir, dans un délai déterminé – mais généralement bref – entre son mandat et l’occupation jugée incompatible avec ce dernier. Au fil des années, cette notion n’a rien perdu de sa force. L’incompatibilité vise donc en premier lieu à empêcher que l’occupation, publique ou privée, des parlementaires vienne fausser leur rôle en tant que représentant de la Nation.

Ainsi, le principe de la séparation des pouvoirs est à la base des incompatibilités “classiques” qui existent dans la plupart des pays entre le mandat parlementaire et la fonction ministérielle, certaines fonctions publiques et les fonctions judiciaires. Les fonctions privées, en revanche, sont en principe compatibles avec le mandat parlementaire. On veut ainsi éviter que l’exercice du mandat parlementaire devienne une véritable profession et permettre aux divers groupes professionnels d’être représentés au Parlement. Certains scandales ayant fait apparaître une collusion de la politique et de la finance ont cependant conduit à atténuer ce principe et à établir certaines incompatibilités avec des fonctions privées.

  1. Le conflit d’intérêts.

Constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction. 

Le conflit d’intérêts est conçu comme une situation dans laquelle une personne investie de fonctions publiques possède des intérêts personnels susceptibles d’influer ou de paraître influer sur l’exercice de ses fonctions.

Le risque de conflit (et pas seulement une coexistence) entre les intérêts publics et personnels en cause. Il faut constater une interférence de nature à susciter un doute objectivement justifié quant au risque d’influence de l’activité personnelle sur les fonctions publiques.

  1. Le cas du Raspoutine Burundais

En guise d’illustration quant aux efforts à consentir, prenons le cas qui nous occupe, il accumule plusieurs casquettes pratiquement toutes incompatibles, Parlementaire élu (législatif) et siégeant régulièrement à l’Assemblée Nationale ; Patron de la chambre de commerce, Patron de l’Agence de développement du Burundi, Maître des marchés publics, Président du Conseil d’Administration de l’OBR (institutions de l’exécutif), Membre dirigeant de la société privée SAVONOR (intérêt privé) ; Président de la commission de gestion de l’exploitation de l’Or d’un site bien connu et très actif dans tous les dossiers qui sentent le lucre. On n’y voit le non-respect du principe de la séparation des pouvoirs, l’incompatibilité de fonctions et le conflit d’intérêts. Que défend-t-il en premier ?

C’est possible que son cas ne soit pas isolé, il faut les identifier tous et y apporter les corrections voulues conformément à la Constitution et à la Loi burundaises ; afin de toujours mieux faire et arriver à associer durablement la bonne gouvernance et l’Etat de droit. Le chemin est connu car balisé par la Loi burundaise, sa parfaite application est de nature à obvier ces glissements qui favorisent les intérêts privés au détriment de l’intérêt général.

Cela est d’autant vrai que notre Raspoutine se retrouve dans un réseau nébuleux, avec des ramifications menant vers le haut et des connexions en bas, bénéficiant dans ce cadre, de beaucoup de complicités dont l’aboutissement est cet enracinement dans tous les domaines qui présentent un intérêt matériel à son avantage et lui permettant d’avoir toujours une longueur et un coup d’avance et arrive à anticiper efficacement et à esquiver toute action qui serait de nature à mettre un terme à cette situation anticonstitutionnelle.

  1. La Loi rien que la Loi.

La Constitution burundaise consacre le principe de la citoyenneté partagée et de l’égalité de chances à tous les Burundais, il n’est donc pas équitable que certains accumulent des fonctions et des mandats juteux et ultra-lucratifs, jusqu’à se retrouver en position d’outre-loi et plus particulièrement en piétinant le principe sacro-saint de l’égalité de tous les citoyens devant la Loi, en droits et en devoirs.

C’est un fait certain qu’élaguer, pour ce cas précis, tout ce qui est incompatible, tout ce qui relève du conflit d’intérêts mais surtout en se conformant au principe de la séparation des pouvoirs, ne peut qu’aller dans le sens de la bonne gouvernance et dans le renforcement de l’Etat de droit. Je suis certain que l’intéressé se sentirait aussi soulagé !

Kabura Nicodème