« Les 27 citoyens du 22 août » : Des Voix de la Vérité au Burundi – Pour un Devoir de Mémoire National

Politique, Sécurité, Société

Il y a 37 ans, un groupe de 27 citoyens burundais – intellectuels, fonctionnaires, étudiants, enseignants, journalistes – ont risqué leur vie pour dénoncer l’injustice, la violence et l’exclusion systémique qui frappaient une partie du peuple burundais. Le 22 août 1988, dans un geste rare de courage et d’intégrité, ces femmes et ces hommes ont signé une lettre ouverte adressée au Président de la République d’alors M. BUYOYA Pierre, Major de son armée, dénonçant les massacres en cours à Ntega et Marangara, dans un contexte de dérives autoritaires, et les plans d’exclusion ethnique [1].

 La violence dont furent victimes tous ceux qui, de près ou de loin ont trouvé juste l’esprit de la lettre ouverte témoigne, si besoin il en est, du plan préétabli comme en 1972 (Provocation-Réaction-Répression) de réprimer une pseudo rébellion dont l’existence n’a jamais été prouvée. L’on se souviendra des tortures infligées aux signataires appréhendés dont Déo HAKIZIMANA mais aussi de l’emprisonnement de M. NDADAYE et SENDEGEYA, pour avoir osé souligner l’importance du contenu de la lettre ouverte.

 Dans un pays où la minorité avait le droit d’exiger et où la majorité pouvait juste demander la permission d’exister ; un grand nombre de victimes de cette politique de l’Omerta s’est emmuré dans un mutisme frisant une amnésie teint du syndrome de Stockholm, jusqu’au moment où le mauvais génie a bondi de lui-même ; les soupapes ont lâché suite l’assassinat de la démocratie en 1993, incarnée par ce même NDADAYE qui défendit naguère la lettre ouverte.

Aujourd’hui, les victimes et les bourreaux avancent inexorablement vers un âge où les souvenirs s’effritent et bientôt on parlera d’eux au passé « ils furent… on aurait dû… » pour autant qu’on s’en rappelle !

Appelant au DEVOIR MÉMOIRE, dans son article[2] du 21/08/2022, M. Masabo JM s’interroge : « Qu’en est-il trente-quatre après » ?

La « Lettre des 27 » fut un acte de bravoure héroïque. Rédigée et signée spontanément dans un moment de haute tension et de suspicions, elle dénonçait publiquement la manipulation de l’information officielle, la répression sanglante contre les Hutus, et la reproduction d’un système d’oppression ethnique dans la continuité du génocide de 1972. En pleine période de terreur, ces voix se sont levées non pas pour inciter à la haine, mais pour appeler au dialogue, à la justice et à la cohabitation pacifique entre les Burundais.

Certains de ces signataires ont été arrêtés, emprisonnés, torturés. D’autres ont été contraints à l’exil, ou ont vu leur avenir professionnel anéanti. Mais leur engagement a posé les premières pierres de ce qui, plus tard, allait devenir le fondement du dialogue inter-burundais.

Le Burundi ne peut construire un avenir solide sans reconnaître les actes de bravoure de son passé. Le geste des 27 du 22 août 1988 ne doit plus rester dans l’ombre. Il doit être inscrit dans la mémoire nationale comme un acte fondateur d’un Burundi plus juste, plus humain, et définitivement engagé dans la voie du « Plus jamais ça ».

Pour que le peuple burundais puisse se réconcilier avec lui-même et avec son histoire, il y a lieu entre autres de planter les piliers de cette mémoire collective suivants :

Un devoir de mémoire : une Journée Nationale

La mémoire collective n’est pas seulement un héritage ; elle est la colonne vertébrale de toute société. Oublier, c’est s’exposer au risque de reproduire les mêmes erreurs, mais aussi de perdre ce qui fonde notre identité. La mémoire n’est pas un poids qui nous retient dans le passé, mais une boussole qui nous guide vers l’avenir. Elle éclaire nos choix, nourrit notre résilience et inspire nos idéaux. Sans elle, l’histoire s’efface, et l’avenir devient incertain.

Le courage de ces 27 Burundais nous rappelle que l’engagement pour la justice n’est pas un luxe, mais une nécessité. C’est pourquoi, dans une démarche de réconciliation et de mémoire vivante, nous appelons : à l’inclusion de la Lettre du 22 août 1988 dans les manuels scolaires.

Nous appelons également solennellement à l’instauration d’une Journée nationale de commémoration du 22 août, dédiée à la mémoire toutes les victimes de la répression de 1988. Ce jour doit devenir un moment de réflexion nationale, d’éducation à la paix, et d’engagement pour la réconciliation véritable.

Un monument national : « Plus jamais ça »

Il est temps pour le Burundi d’ériger à Bujumbura un monument public intitulé « Plus jamais ça », en mémoire des massacres de Ntega-Marangara et de ceux qui ont osé dire non. Ce lieu de mémoire serait non seulement un hommage aux victimes, mais aussi un symbole d’engagement contre toute forme d’exclusion, de haine ou de violence politique. Il incarnera le refus collectif de voir l’histoire se répéter.

Héros de la nation

Reconnaître ses héros de leur vivant, c’est construire la mémoire collective au présent.
Dans le conscient collectif, il est normal d’attendre la disparition des bâtisseurs de notre société pour les célébrer. Pourtant, ils sont là, aujourd’hui, à façonner notre histoire, à incarner nos valeurs, à inspirer nos enfants. Reconnaître ses héros aujourd’hui, c’est refuser que la mémoire collective ne soit qu’un cimetière de gloires passées
Les honorer maintenant, c’est leur donner la force de continuer, c’est inscrire leurs actes dans la mémoire commune, et c’est rappeler à tous que l’héroïsme n’est pas un mythe du passé, mais une réalité vivante. Un peuple qui célèbre ses héros vivants construit un futur solide. Il ne serait que justice faite que27 signataires soient officiellement reconnus comme « Héros de la nation », au même titre que les grandes figures qui ont façonné la conscience civique du Burundi. Parmi eux, certains vivent encore aujourd’hui au Burundi, d’autres sont en exil, d’autres encore sont décédés. Il est de notre responsabilité collective de faire vivre leur mémoire, de leur rendre justice, et d’enseigner leur courage aux générations futures.

Bruxelles, le 19 août 2025

Abel NTIMPIRANTIJE

[1] Le 22 août 1988, une lettre ouverte adressée au président du Burundi dénonce les massacres en cours dans le Nord, perçus comme une répétition du génocide de 1972. Les signataires accusent le pouvoir de manipuler l’opinion et de désigner les Hutu comme « ennemis de la Nation » pour justifier une répression sanglante. Ils évoquent l’inaction de l’armée, l’exécution d’intellectuels hutu et la censure des médias. La communauté internationale, l’OUA et les pays voisins sont appelés à intervenir d’urgence. Enfin, la lettre réclame l’arrêt des violences, la création d’une commission nationale multiethnique et l’intégration des Hutu dans la vie politique et la défense du pays.

[2] Quelle mémoire 34 après les massacres de Ntega Marangara ? par Joseph MASABO, signataire de la lettre ouverte. Lausanne, 22 Août 2022 : « je garde en mémoire l’horreur d’août 1988 : des villages entiers détruits, des milliers de morts et des réfugiés fuyant sous les bombes. Avec 26 autres, j’ai signé la lettre ouverte adressée au président Buyoya pour dénoncer ces massacres et exiger des réformes démocratiques. Aujourd’hui, je témoigne pour rappeler que la mémoire est notre seule arme contre la répétition de l’histoire ».