Dossier Suguru, acte V : l’homme-aux-cent-mains et liaisons dangereuses, ou la tentation d’ubiquité

Société, Opinion, Politique

Suite de notre série d’enquêtes exclusives sur le pouvoir tentaculaire d’Olivier Suguru, figure clé du paysage politique et économique burundais. Après avoir exploré ses influences dans les sphères parlementaires, financières et diplomatiques, cet acte V est consacré à la voix du peuple : nos lecteurs prennent la plume, entre étonnement, fascination et inquiétude, pour commenter le « phénomène Suguru ».

« Nul ne peut servir deux maîtres : car, ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. »

Évangile selon Matthieu, 6:24

Au Burundi,on ne l’écrira jamais assez, un nom s’impose comme une devise : Olivier Suguru. À la manière d’un Janus moderne, il regarde à la fois vers l’Assemblée nationale et vers l’exécutif, un pied dans la loi, l’autre dans sa mise en œuvre. Homo politicus, homo economicus, homo strategicus : un homme polymorphe qui semble avoir compris avant tout le monde que la clé du pouvoir réside dans sa multiplication.

📝 Zoom mythologique : Janus et l’ubiquité

Janus, dans la mythologie romaine, est le dieu des portes, des passages et des commencements. Il est souvent représenté avec deux visages, l’un tourné vers le passé, l’autre vers l’avenir. Symbole de double vision et de transition, Janus permet de voir simultanément plusieurs perspectives d’une situation.

Dans notre article, comparer Olivier Suguru à un Janus moderne signifie qu’il apparaît à la fois dans la législation et dans son exécution, comme quelqu’un capable de naviguer entre plusieurs sphères d’influence à la fois. Cette image souligne sa « tentation d’ubiquité » : le désir d’être présent partout, un pouvoir fascinant mais qui peut comporter des risques.

 

Nos lecteurs n’en finissent plus de nous écrire, avec un étonnement quasi mystique : comment cet homme parvient-il à être partout à la fois ? Dans les arcanes du Parlement, dans les bureaux feutrés de l’Agence pour le Développement du Burundi (ADB), dans les réseaux diplomatiques où se trament les équilibres invisibles ?« Suguru a quel sorcier pour être partout comme ça ? », s’interroge un fidèle lecteur. OmniprésentiaSuguriana, pourrait-on dire en latin : la présence de Suguru partout et nulle part, tel un parfum d’influence qui se glisse jusque dans les chancelleries occidentales.

Car ce pouvoir n’est pas que visible, il est aussi vaporisé. Il ne s’impose pas, il s’infiltre.Dans nos éditions précédentes, on parlait déjà d’un « cumul de pouvoirs qui tue l’innovation », d’un Deus ex machina qui tire les ficelles d’un théâtre politico-financier il serait acteur et metteur en scène en même temps.

Et voici qu’un autre lecteur, dans un courrier brûlant, vient jeter une lumière nouvelle sur cette galaxie Suguru. Il y évoque le cas de Fred Ngoga, beau-frère de l’homme fort, dont les récentes sorties sur les réseaux sociaux où il accusait à tort et à travers les autorités burundaises de « ne pas délivrer des passeports aux Tutsi » ont fait frémir la toile.Le message a suscité une onde de réactions immédiates dans la communauté en ligne, provoquant une mise au point officielle de l’ambassadeur du Burundi en Éthiopie, Son Excellence Willy Nyamitwe qui a tenu à « rétablir les faits » en rappelant que le message de Ngoga était de mauvaise foi et visait à semer la zizanie entre les Barundi.

Echanges sur X(Twitter) entre Fred Ngoga et Amb. Willy Nyamitwe sur les accusations dangereuses et mensongères du beau-frère de Suguru

Qui plus est, Ngoga Fred et son beau-frère Olivier Suguru ont des passeports à gogo. Une demande d’explication lui aurait égalementété transmise par la Commission de l’Union Africaine (UA), selon plusieurs sources diplomatiques. Et il a dû s’excuser publiquement avant de fermer son compte X (Twitter) au public. 

Excuses publiques qu’il a présentées à Son Excellence le Président de la République burundaise et au peuple burundais

Même si en droit pénal , le crime est personnel, « les mauvaises fréquentations corrompent les bonnes mœurs », dit l’Apôtre Paul dans la première lettre aux Corinthiens (15:33). L’écho biblique est saisissant : à trop s’entourer de voix discordantes comme Ngoga Fred, l’opinion sait très bien qu’ils ont la même idéologie.

Soit ! Laissons les affaires de liaisons familiales à côté. Le plus fascinant dans ce feuilleton politico-moral, c’est peut-être la manière dont Suguru s’est transformé en symbole. Il n’est plus seulement un homme — il est devenu une figure, presque un archétype. Celui du décideur tentaculaire, du tisserand qui relie les fils de l’État, de l’économie et de la diplomatie dans une toile si dense que même l’araignée d’Ésope en perdrait la tête.

Au Burundi, certains parlent déjà du « phénomène Suguru » comme d’un cas d’école, digne d’une thèse de doctorat en science politique : comment un seul homme, en moins d’une décennie, a pu tisser autant de réseaux et d’alliances que d’autres en une vie entière ? Est-ce là un génie d’organisation, ou le symptôme d’un système où le pouvoir ne se divise pas, mais se concentre ?

Quoi qu’il en soit, tempusfugit. Le temps file, et l’histoire, elle, observe. Le Burundi a déjà connu des figures tutélaires qui, croyant incarner la stabilité, ont fini par personnifier l’immobilisme. Suguru saura-t-il éviter cet écueil ? Ou, comme Icare dans la mythologie grecque — qui, grisé par l’ivresse du vol, monta trop près du soleil et vit ses ailes fondre avant de tomber dans la mer — finira-t-il victime de sa propre ascension vers le sommet du pouvoir, victime de la tentation d’ubiquité ?

📝 Zoom mythologique : Icare et la leçon du vol

Pour les amoureux de la mythologie grecque, voici l’histoire d’Icare, cité dans notre article :

Pour s’échapper du labyrinthe de Crète, Dédale, son père inventif, fabrique des ailes avec des plumes et de la cire. Il avertit son fils :

« Icare, ne vole ni trop bas, sinon la mer mouillera tes ailes, ni trop haut, sinon le soleil fera fondre la cire. Suis mon conseil et tu t’envoleras vers la liberté. »

Mais grisé par la sensation de voler, Icare monte trop près du soleil. La chaleur fait fondre la cire, les plumes se détachent, et il tombe dans la mer où il se noie.

Depuis, cette mer est appelée la mer Icarienne, et son histoire symbolise un message universel : l’excès d’ambition ou de confiance peut conduire à la chute.

 

 

Ambassadeur Fred Ngoga, beau-frère d’Olivier Suguru

Les Saintes Écritures nous rappellent encore : « Celui qui veut sauver sa vie la perdra. »  Peut-être, au fond, que le véritable pouvoir n’est pas d’être partout, mais de savoir où s’arrêter.

 

Veritas lucet, etiam in tenebris (« La vérité brille, même dans les ténèbres ») —Burundi Forum, fidèle à sa devise, continuera de scruter, d’interroger et de raconter ce théâtre du réel où les hommes, parfois, se prennent pour des mythes.

A bon entendeur…

Par Jean Solès RURIKUNZIRA.-