Un nouveau départ pour le Burundi.
En 2024, les autorités burundaises ont adopté une vision à long terme intitulée « Burundi, pays émergent en 2040 et pays développé en 2060 ». Cette vision définit un avenir où le pays sera paisible, doté d’une économie compétitive basée sur une agriculture et une industrie à haute valeur ajoutée et sur l’exploitation raisonnée des ressources minières, dans un environnement naturel préservé et en respectant l’égalité des genres. Pour que ce programme ambitieux voie le jour, les Burundais sont appelés à changer de mentalité et à devenir eux‑mêmes des acteurs du développement. Le président Évariste Ndayishimiye l’a confirmé en juillet 2025 lors de la Semaine de la diaspora 2025 : il a exhorté les intellectuels burundais à rompre avec les mentalités héritées du passé, à augmenter leur productivité et à mettre leurs talents au service de la nation. L’appel à la mobilisation citoyenne est donc au cœur du processus menant à l’émergence en 2040.
De la vision à l’action collective
L’idée d’« Émergence 2040 » n’est pas seulement un slogan gouvernemental ; elle repose sur des engagements concrets. Le Plan national de développement 2018‑2027 demande déjà à la population de s’approprier le projet de société et de se mobiliser comme un seul homme pour atteindre le bien‑être commun. Lors d’un voyage à Washington en février 2024, le chef de l’État a rappelé que le Burundi est désormais « un pays réconcilié » où la paix règne, et il a souligné le potentiel du pays : une population jeune et travailleuse, des terres fertiles et un sous‑sol riche. Il a demandé à de nouveaux partenaires de contribuer à la réalisation de la vision, estimant que les efforts actuels d’investissement peuvent mener le pays vers l’émergence.
En décembre 2024, la tenue d’une table ronde à Bujumbura a confirmé cette volonté d’ouverture. Le gouvernement y a invité des investisseurs afin de mobiliser des ressources pour transformer l’économie. Le Président de la République a insisté sur un partenariat équilibré pour développer une économie industrielle tout en protégeant l’environnement. Cependant, des économistes ont rappelé que de nombreux défis persistent : faible croissance économique et forte inflation qui érode le pouvoir d’achat. Le président de l’organisation anticorruption OLUCOME, Gabriel Rufyiri, a souligné que la corruption annihile tous les efforts de développement et a plaidé pour des réformes de gouvernance et une gestion publique plus rigoureuse grâce à la numérisation des finances.
Mobiliser la diaspora et les investisseurs
Le rôle de la diaspora est central. Au cours de la Semaine de la diaspora 2025, le Président de la République a appelé les Burundais vivant à l’étranger à s’engager davantage. Il a annoncé la création d’un service spécial au sein de la Présidence dédié aux questions de diaspora et la mise en place prochaine d’une Agence de lutte contre la corruption et le détournement. Les transferts financiers de la diaspora représentaient déjà 2,57 % du PIB en 2023, et le pays ambitionne de porter ce chiffre à 5 % en 2040 et à 10 % en 2060. Pour atteindre ces objectifs, les transferts devront être mieux canalisés et investis dans des projets productifs.
En février 2025, en marge de la réunion annuelle du National Prayer Breakfast à Washington D.C., le Président de la République a rencontré de nombreux investisseurs internationaux et a présenté la vision 2040‑2060 comme une opportunité de partenariat gagnant‑gagnant. Des entreprises spécialisées dans l’aviation (JAG – Jones Aviation Group), les hôpitaux privés, l’énergie et la gestion des déchets ont manifesté leur intérêt. Le chef de l’État les a encouragés à venir explorer les opportunités créées par le nouveau code minier burundais. Ces échanges montrent que la réalisation de la vision repose aussi sur l’investissement privé et la diversification économique.
Pourquoi un appel citoyen pour 2040 ?
Malgré les progrès politiques, le Burundi fait face à de graves défis socio‑économiques. Le Programme alimentaire mondial note qu’en 2025, une partie non négligeable des Burundais peinent à joindre les deux bouts. Les chocs climatiques, l’instabilité régionale, la dépréciation de la monnaie et l’inflation élevée aggravent l’insécurité alimentaire. Le Burundi reste un pays à faible revenu, enclavé, où 85 % de la population travaille dans l’agriculture, selon la Banque mondiale. Cette dépendance limite la création de richesse et rend l’économie vulnérable aux aléas climatiques.
L’indice de développement humain du pays est très bas, et selon le rapport de la Banque africaine de développement, la croissance du PIB n’a été que de 2,8 % en 2023 alors que l’inflation a atteint 27,1 %, principalement à cause de la hausse des prix alimentaires et de la dépréciation du franc burundais. Bien que des améliorations soient attendues , l’inflation pourrait diminuer à 12,6 % en 2025. Ces chiffres montrent que la stratégie d’émergence doit s’attaquer aux causes profondes de la pauvreté.
Des ambitions à traduire en réalisations concrètes
Le gouvernement a articulé sa vision autour de cinq piliers : engagement de l’État, efficacité économique, équité sociale, écologie durable et patrimoine culturel, et partenariats fructueux. Ces piliers cadrent avec les Objectifs de développement durable et nécessitent une mobilisation de tous les Burundais.
Le Plan stratégique du Programme alimentaire mondial pour 2024‑2027 aligne ses actions sur la vision 2040‑2060 et souligne la nécessité de renforcer les capacités nationales, de moderniser les systèmes alimentaires et de réduire les chocs climatiques. L’objectif est d’améliorer la nutrition, la résilience et l’inclusion sociale grâce à des programmes intégrés. L’alignement des partenaires internationaux montre que l’appel citoyen se situe dans un contexte de coopération globale.
Une culture civique à reconstruire
Les années de conflit ont fragilisé la société civile et créé un climat de méfiance entre les citoyens et les institutions de l’Etat. Pour que la vision devienne réalité, il faut restaurer la confiance au sein de l’appareil étatique, lutter contre l’impunité et promouvoir la participation des jeunes et des femmes. La création d’une Agence de lutte contre la corruption annoncée par le Président de la République est un pas symbolique, mais cette agence devra disposer d’un mandat clair et de ressources pour être efficace.
Mettre la société en marche : pistes d’action
Face à ces défis et opportunités, l’appel citoyen « En marche vers l’émergence » propose des axes d’action pour que chaque Burundais, chaque groupe social et chaque partenaire joue son rôle dans la réussite de la Vision 2040 :
- Renforcer la gouvernance et l’État de droit
- Tolérance zéro pour la corruption : la lutte contre la corruption doit être institutionnalisée. Outre l’agence prévue, des audits publics, la numérisation des finances publiques et l’accessibilité des données budgétaires aux citoyens aideront à rétablir la confiance.
- Décentralisation et participation : rapprocher les services publics des citoyens, encourager la transparence et la reddition de comptes au niveau local. Des comités de suivi citoyens pourraient être créés pour surveiller les projets publics et signaler les dysfonctionnements.
- Justice équitable : renforcer l’indépendance de la justice et la formation des magistrats afin de garantir la protection des droits et l’équité dans la gestion des conflits fonciers ou commerciaux.
- Transformer l’économie et favoriser l’innovation
- Diversification économique : favoriser l’industrialisation légère, l’agro‑industrie et l’exploitation durable des ressources minières. Les contacts pris avec des investisseurs dans les domaines de l’aviation, des hôpitaux et de l’énergie montrent qu’un partenariat privé peut aider à créer des industries nouvelles.
- Modernisation agricole : investir dans des techniques modernes (irrigation, agroforesterie, accès aux intrants) pour augmenter la productivité, réduire les pertes post‑récoltes et créer des chaînes de valeur locales.
- Économie numérique : lancer un programme national de transformation numérique, en construisant des infrastructures de télécommunications et en formant la jeunesse aux technologies de l’information. La numérisation facilitera aussi la gestion administrative et la transparence.
- Miser sur le capital humain et l’équité sociale
- Éducation et formation professionnelle : garantir l’accès à une éducation de qualité et orienter les programmes vers les métiers d’avenir (industrie, agriculture moderne, numérique). Les jeunes devraient être encouragés à entreprendre et à innover.
- Santé et protection sociale : renforcer les centres de santé, surtout en milieu rural, et développer des programmes de nutrition pour lutter contre le retard de croissance. Les partenariats évoqués avec des ONG de santé (par exemple pour établir des cliniques privées) doivent bénéficier au plus grand nombre.
- Égalité et inclusion : promouvoir l’autonomisation des femmes et l’égalité des sexes dans tous les domaines. Les politiques de développement devraient être sensibles au genre et intégrer la participation des personnes handicapées et des groupes marginalisés.
- Protéger l’environnement et gérer les ressources durablement
- Lutte contre la déforestation : lancer des campagnes nationales de reboisement et promouvoir des pratiques agricoles durables. La population peut participer à des journées de plantation d’arbres et adopter des foyers améliorés pour réduire la consommation de bois.
- Gestion des déchets et énergie propre : encourager l’investissement dans la gestion des déchets et le recyclage, comme l’envisagent les sociétés Jeni‑Eco et Facet Power. Favoriser l’extension des énergies renouvelables (hydroélectricité, solaire) pour réduire la dépendance aux importations et soutenir la croissance.
- Résilience climatique : mettre en place des systèmes d’alerte précoce, investir dans la protection des bassins versants et créer des réserves alimentaires pour faire face aux chocs climatiques.
- Mobiliser la diaspora et les partenaires
- Diaspora : organiser des programmes d’information et d’investissement pour encourager les Burundais de l’étranger à investir dans des projets locaux, transférer des compétences et participer à des initiatives de mentorat. L’objectif de porter les transferts à 5 % du PIB d’ici 2040 nécessite de renforcer la confiance et de fluidifier les envois de fonds.
- Partenariats publics‑privés : attirer des investisseurs nationaux et étrangers dans des secteurs stratégiques et veiller à ce que les accords soient transparents et bénéfiques à la population. La table ronde de décembre 2024 et les rencontres de 2025 montrent que cette démarche est déjà enclenchée.
- Organisations internationales : coordonner l’action des agences de développement (PNUD, BAD, PAM, etc.) autour de la vision nationale. Leur soutien technique et financier est crucial pour renforcer les capacités institutionnelles et développer des programmes intégrés.
Un chemin collectif vers 2040
L’émergence du Burundi en 2040 ne se résumera pas à une proclamation. C’est un chemin exigeant qui requerra l’engagement de chaque citoyen et l’action concertée de l’État, du secteur privé, de la société civile, de la diaspora et des partenaires. Les défis sont immenses : pauvreté, dépendance à l’agriculture, gouvernance imparfaite, infrastructure insuffisante, vulnérabilité aux chocs climatiques et pression démographique. Toutefois, les opportunités sont également réelles : un peuple jeune et dynamique, des ressources naturelles abondantes, une vision claire et une volonté politique affirmée.
L’appel « En marche vers l’émergence » invite chaque Burundais à se projeter dans l’avenir et à se demander : que puis‑je faire pour que mon pays réalise la vision 2040 ? Qu’il s’agisse de lutter contre la corruption, d’enseigner aux enfants, de planter un arbre, de créer une entreprise, d’envoyer un peu d’argent au village ou de défendre les droits des plus vulnérables, chaque action compte. La mobilisation citoyenne est la clé qui transformera la vision en réalité. Comme l’a déclaré le Président Ndayishimiye : « Nous invitons chaque Burundais à parier sur un avenir meilleur et à devenir des agents de changement pour l’émergence de notre pays ». En mettant nos forces ensemble, nous pouvons faire du Burundi un exemple d’émergence inclusive et durable en Afrique.
Par Bazikwankana Edmond