Sur le lac Rweru, le mystère des cadavres ligotés s’épaissit

Sur les berges du lac Rweru, qui sépare le Burundi et le Rwanda, le mystère ne cesse d’enfler. Depuis l’été, des cadavres ont été retrouvés flottant, certains ligotés, mais l’enquête piétine: l’affaire embarrasse Bujumbura, et Kigali ne veut pas en entendre parler.

Officiellement, quatre cadavres ont été retrouvés ligotés dans des sacs de jute à la mi-août. Mais sur place, les pêcheurs affirment avoir vu passer dix fois plus de corps, emportés par le courant.

Fin août, une commission d’enquête mixte burundo-rwandaise a été mise sur pied pour déterminer l’origine des corps. Le porte-parole du président burundais Pierre Nkurunziza, Willy Nyamitwe, a réaffirmé cette semaine sur Radio France Internationale que son pays travaillait « en synergie » avec le Rwanda sur le dossier.

Mais, sur le terrain, peu d’efforts semblent faits pour éclaircir le mystère.

Il n’y a pas de réelle enquête conjointe avec les Rwandais, reconnaît Aline Manirabarusha, gouverneure de la province de Muyinga, qui borde le lac. Mais « de notre côté, nous avons enquêté en demandant aux chefs de collines de la région s’il n’y a pas eu de personnes portées disparues dans leur secteur, et ils nous ont dit que non ».

Les pêcheurs qui ont découvert les corps disent n’avoir jamais été entendus. Un diplomate en poste à Bujumbura affirme même sous couvert d’anonymat que « les cadavres découverts ont été enterrés sans autopsie »: « on n’a même pas ouvert trois des quatre sacs pour voir ce qu’ils contenaient, cela signifie clairement qu’on ne pourra jamais identifier ces gens, ni savoir d’où ils viennent ».

 Le Rwanda désigné à demi-mot –

Sur les deux rives du lac Rweru, à 270 km au nord-est de Bujumbura, les habitants sont pourtant sûrs que les corps ont surgi dans le lac après avoir descendu la rivière Nyabarongo-Kagera, qui prend sa source au Rwanda voisin. Le cours d’eau est tristement célèbre pour avoir charrié de nombreux corps durant le génocide rwandais en 1994.

Le bras tendu, un jeune agriculteur rwandais montre un nouveau chemin que la Kagera s’est frayé jusque dans le lac depuis deux mois. Ce bras de la rivière ne passe normalement pas par là: c’est parce que son cours a dévié que les cadavres sont apparus sur le lac.

« Si ces cadavres n’étaient pas ressortis sur le lac Rweru, s’ils étaient restés sur la rivière Kagera, l’injustice qui a frappé ces gens n’aurait jamais été connue, c’est Dieu qui a voulu que ces crimes ne restent pas impunis », insiste l’agriculteur. Il vit au bord du cours d’eau dans une petite hutte de paille avec sa femme et leurs deux enfants, à cinq minutes de bateau à moteur de la frontière avec le Burundi.

« Je pense avoir vu une vingtaine de sacs contenant des cadavres et qui étaient entraînés par le courant de la rivière », dit-il sous couvert d’anonymat.

Les habitants du coin disent avoir vu les corps émerger à partir de la mi-juillet. Après les avoir découverts, ils les ont systématiquement laissés dans l’eau, de crainte d’être eux-mêmes inquiétés.

La gouverneure de Muyinga assure aussi que « ces corps sont charriés par la rivière Kagera ». Mais pas question de mettre en cause explicitement le voisin rwandais: lorsqu’on lui demande où la Kagera prend sa source, elle est prise d’amnésie.

« Je ne sais pas d’où vient exactement la Kagera, j’ai oublié, il faut demander aux géographes qui ont étudié cela », dit-elle, visiblement embarrassée.

Un haut cadre burundais explique sous couvert d’anonymat que l’affaire risque bien de ne jamais être élucidée, car « le Burundi va sacrifier la vérité sur l’autel de ses relations avec Kigali ». « C’est crucial, le Burundi ne peut pas se permettre de se mettre à dos son puissant voisin du nord », explique-t-il.

Interrogé par l’AFP, le porte-parole de la police rwandaise, Damas Gatera, affirme cependant que cette histoire ne concerne en rien son pays.

« Il n’y a pas de cadavres au Rwanda ou retrouvés au Rwanda, ceux dont nous parlons ont été trouvés au Burundi », dit-il. Et quand on lui demande pourquoi les agriculteurs rwandais ont reçu ordre de ne pas parler aux journalistes burundais, il indique simplement ne pas être « au courant ».