En mai 2015, le peuple Burundais repartira aux urnes pour renouveler sa classe politique en choisissant les formations politiques et les dirigeants à qui il confiera la responsabilité de conduire sa destinée pour les cinq prochaines années. Ce faisant, le Burundi ouvrira un cycle électoral auquel d’autres pays africains, notamment ceux de la région des Grands Lacs, devront à leur tour s’engager.
Ce sera la troisième fois que les Burundais iront aux urnes depuis qu’en 2005 le pays a renoué avec l’expérience démocratique, qui avait été brutalement suspendue en 1993 avec l’assassinat du premier Président démocratiquement élu, Melchior Ndadaye.
L’ouverture du prochain cycle électoral burundais devrait permettre de consolider la paix et la stabilité au Burundi, ce pays qui a été meurtri par de nombreuses années de conflits fratricides récurrents. Il est indéniable que la paix au Burundi n’a été rendue possible qu’au terme de négociations ardues qui ont abouti, en août 2000, à la signature de l’Accord historique d’Arusha pour la paix et la réconciliation nationale, accord consolidé par ses protocoles de 2003 et 2006. Cet accord reste dans l’imaginaire populaire le fondement même de la paix et de la stabilité au Burundi. Cependant, si ces élections ne sont pas organisées avec le plus grand soin, elles pourraient au contraire exacerber les tensions. Plus qu’un simple exercice technique, les prochaines échéances électorales burundaises vont tester à vif tant la solidité de la cohésion nationale que les fondements de la paix et de la stabilité du pays. C’est pourquoi la classe politique burundaise devrait mettre l’intérêt national avant toute préoccupation personnelle ou partisane.
Déjà mis à mal en 2010 avec le boycott des plus grands partis de l’opposition burundaise, le processus électoral fait face a de multiples défis qu’il faudra relever pour transformer les élections de 2015 en une opportunité de consolider les acquis de la démocratie multipartite au Burundi et se consacrer au vaste chantier de la réconciliation nationale.
Il est fort réconfortant que l’élite politique burundaise soit unanime pour reconnaître que les principaux maux qui ont, des décennies durant, miné leur pays ont essentiellement été la gestion exclusive du pouvoir et de ses attributs, accentuée par une manipulation dangereuse des différences identitaires(i) ayant servi de justification aux crimes les plus abominables et dont les profondes blessures restent pour une large part béantes. La mise en place prochaine de la Commission Vérité et Réconciliation, que nous espérons tous inclusive et répondant aux aspirations de la population et notamment des victimes, permettra au Burundi de revisiter son passé trouble afin de bâtir son future sur des bases plus solides.
Cependant, le consensus dans le diagnostic n’a pas encore suscité l’adhésion à une vision partagée et non complaisante pour une gestion plus inclusive de l’espace politique. Certes des efforts louables ont déjà été déployés dans un contexte difficile et ont produits des résultats remarquables, telle que la réforme des forces de défense nationale qui fait aujourd’hui du Burundi un contributeur net de troupes aux missions de paix à travers le monde ; ou encore l’élaboration du cadre stratégique de lutte contre la pauvreté et pour la croissance (CSLP II), en cours d’exécution. Mais, les dissensions incessantes sur un grand nombre de sujets d’intérêt national et l’absence d’un véritable dialogue politique, dans une société au demeurant polarisée, freinent la réalisation des priorités nationales.
Des avancées positives malgré la méfiance
Nulle part ailleurs qu’au Burundi est-il impératif de renoncer à une approche réductrice de la politique et de redonner à la consultation populaire sa double vocation vitale de régulation d’une saine compétition politique et d’enracinement d’une culture démocratique qui favorise l’inclusion, la jouissance des libertés fondamentales et promeut la redevabilité. Cela doit valoir tant pour les relations entre la majorité au pouvoir et l’opposition que pour la vie interne de toutes les formations politiques, encore trop marquées par l’intolérance et la personnalisation du pouvoir, ce qui complique souvent le renouvellement de la classe politique.
Dans le cadre de la mission de consolidation de la paix des Nations Unies au Burundi, le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a, au mois de mars 2013, invité la classe politique burundaise à privilégier le dialogue et la bonne gouvernance afin de pérenniser les acquis démocratiques et consolider la paix au Burundi. Dans cette foulée, le Gouvernement du Burundi et le Bureau des Nations Unies au Burundi (BNUB) ont lancé un processus de concertation inclusive visant à créer les conditions propices à la tenue d’élections transparentes, libres et paisibles en 2015.
Ces efforts concertés ont rendu possible un certain nombre d’avancées positives, notamment, le retour au Burundi des principaux opposants politiques partis en exil après leur boycott des élections de 2010; l’adoption d’une feuille de route consensuelle appelée à baliser la voie vers les élections de 2015 ; ainsi que l’émergence du consensus dit de Kayanza qui permit de parvenir à un large consensus sur les éléments essentiels du projet de Code électoral qui sera plus tard adopté par consensus par les parlementaires burundais avant d’être promulgué, le 3 juin dernier, par le Président de la République Pierre Nkurunziza. Le 18 juillet 2014, le Président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) a rendu public le calendrier des élections de 2015, lançant ainsi officiellement le processus électoral.
Mais, aussi réconfortantes qu’elles soient, ces avancées ne traduisent pas pour autant l’avènement d’une ère de concertation politique pourtant indispensable au renforcement du délicat équilibre socio-politique existant et qui reste, au demeurant, tributaire d’un consensus national fragile. Ces avancées ne témoignent non plus d’un recul de la méfiance et des tensions politiques sur la scène politique nationale. Le projet avorté de révision constitutionnelle, les évènements violents du 8 mars 2014 entre la police nationale et des militants du parti MSD, les profondes divisions au sein du parti UPRONA, qui ont failli conduire à une crise gouvernementale, la fragmentation de nombreux partis politiques, ainsi que le climat de violence larvée impliquant les jeunes affiliés aux partis politiques, tout comme la controverse relative à l’éligibilité des candidats aux différents scrutins, constituent autant de signaux préoccupants. Il convient de souligner que ces différents points névralgiques ne sont eux-mêmes que le reflet des profondes divergences d’opinion et d’approche ainsi que de l’absence entre la classe politique d’une réelle volonté de rechercher, de manière concertée, des solutions durables aux questions majeures auxquelles le pays fait face. Ce constat vaut aussi bien pour la mise en place de la future Commission Vérité et Réconciliation ou encore de la délicate et récurrente question de la gestion des terres et autres biens.
L’Accord d’Arusha est un atout pour le Burundi
Pourtant, contrairement à beaucoup d’autres pays sortis de conflits, le Burundi dispose d’un atout fondamental indispensable à tout effort de consolidation de la paix et de construction et d’appropriation d’une culture démocratique: l’existence d’un accord politique inclusif sur le partage du pouvoir, l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation nationale, conclu grâce à l’implication personnelle des Présidents Nyerere et Mandela. Des voix se sont exprimées pour demander que cet accord, vieux d’une quinzaine d’années maintenant, soit rafraichi pour prendre en compte les mutations socio-politiques que le pays a depuis connu. , Néanmoins il existe un consensus qu’il serait imprudent et prématuré de remettre en cause les trois principes fondamentaux du contrat social burundais que sont le refus de l’exclusion, le respect des minorités politiques et identitaires et, enfin, la protection des droits de l’homme et des valeurs démocratiques. De plus, il ne faut jamais perdre de vue le fait que le consensus politique burundais scellé à Arusha est avant tout un accord de paix qui a permis au pays de mettre fin à de longues années d’un conflit cyclique et désastreux.
Aujourd’hui, si la discrimination identitaire n’est plus la principale source de tension, la gestion exclusive du pouvoir, même sur une base légale, peut nourrir de profonds ressentiments et menacer le fragile équilibre socio-politique du pays. La « politique du bras de fer » longtemps la règle doit céder le pas à une « politique de la main tendue » parce que plus respectueuse de l’aspiration de la majorité de la population à une existence paisible et décente. Ne pas l’accepter c’est prendre le risque de maintenir le pays en sursis, dans la peur et l’incertitude.
Un effort tout particulier devrait être fait pour, d’une part, créer les conditions d’une saine compétition électorale dont l’intégrité est reconnue par toutes les parties prenantes et l’électorat et, d’autre part, s’assurer que les futurs gagnants gouverneront d’une manière constructive et responsable.
Par ailleurs, au Burundi comme ailleurs, les institutions chargées de l’organisation des élections constituent des piliers centraux de la gouvernance des nations. Leurs décisions ont un impact direct sur la paix et la stabilité des Etats. Au Burundi, ce rôle incombe à la Commission Nationale Electoral Indépendante (CENI). Pour mériter la confiance et le respect de tous, qui sont absolument nécessaire à l’accomplissement de sa difficile mission, la CENI doit être perçue comme légitime, et cette légitimité sera tributaire de la justesse de ses décisions et de son aptitude à privilégier une approche inclusive, qui soit le reflet du processus du dialogue inclusif mené conjointement par le Gouvernement et le BNUB, tel que reflété dans la Feuille de route et le Code de bonne conduite.
L’engagement pris par la classe politique nationale dans la Feuille de route en mars 2013 et dans le Code de bonne conduite en juin 2014, y compris de renoncer à la violence, est un pas dans la bonne direction et doit être respecté de bonne foi. Il incombe au gouvernement de créer un environnement propice à des élections inclusives, libres et paisibles. Pour sa part, l’opposition doit se garder de boycotter les élections comme moyen de protester contre les irrégularités du scrutin. Elle devrait plutôt recourir à tous les moyens légaux pour régler les différends et contentieux pré et post électoraux.
Concertation et engagement de la communauté internationale
Acteur de premier plan dans la consolidation de la paix et l’appui au processus démocratique burundais, la communauté internationale doit demeurer unie et engagée au Burundi, notamment pour encourager au respect des nobles engagements pris par la classe politique, mais aussi en apportant l’indispensable appui technique et financier tout au long du processus électoral, tout en aidant le pays à relever ses immenses défis de développement.
L’action concertée de l’ONU, de l’Union africaine et des institutions régionales, telles que la Communauté Est-Africaine et de partenaires-clés comme l’Union européenne, continuera d’être vitale. Car, pout autant que les élections sont fondamentalement une expression de la souveraineté même des nations, un processus électoral mal mené peut avoir des répercussions négatives pour toute une région.
L’invitation par le Gouvernement du Burundi de plusieurs observateurs internationaux institutionnels est une mesure susceptible d’accroitre la confiance dans le processus électoral qui mérite d’être saluée. Le Conseil de sécurité de l’ONU, notamment, y a répondu favorablement et les préparatifs sont en cours pour assurer un appui tant technique que matériel de cette importante entreprise. Bien entendue, comme lors des précédents scrutins, le rôle des medias et des acteurs de la société civile nationale burundais sera tout aussi déterminant et mérite d’être soutenu.
Car, quelle que soit l’importance des appuis multiformes octroyés au Burundi par ses partenaires, il ne saurait y avoir de substitut à une volonté politique forte des Burundais eux-mêmes, en premier lieu le Gouvernement, pour inscrire les prochains scrutins de 2015 dans le prolongement de l’œuvre, toujours inachevée, de construction d’un Burundi plus stable, réconcilié et déterminé à rompre avec les politiques de gestion exclusive du pouvoir qui ont miné, dès ses premiers pas à la souveraineté internationale, la marche de ce pays vers plus de paix et de prospérité partagée. Réussir une telle œuvre exigera des Burundais une pratique scrupuleuse d’un dialogue constructif et inclusif avec le soutien bien compté des Nations Unies, de la région et de tous leurs amis.