Résolution du Parlement européen sur le Burundi: le cas de Bob Rugurika

Résolution du Parlement européen sur le Burundi: Le cas de Bob Rugurika (2015/….(RSP)) Parlement-europeen-MPILe Parlement européen,

– vu ses résolutions antérieures sur le Burundi, notamment celle du 16 septembre 2014 concernant en particulier le cas de Pierre Claver Mbonimpa(1),

– vu l’accord de Cotonou,

– vu la déclaration du Conseil de sécurité des Nations unies du 10 avril 2014 sur la situation au Burundi,

– vu l’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation,

– vu les conclusions du Conseil du 22 juillet 2014 sur la région des Grands Lacs,

– vu les rapports du Bureau des Nations unies au Burundi (BNUB),

– vu les orientations de l’Union européenne sur les défenseurs des droits de l’homme et la liberté d’expression, et les conclusions du Conseil de juin 2014, dans lesquelles celui‑ci s’engage à intensifier les travaux en faveur des défenseurs des droits de l’homme,

– vu la déclaration universelle des droits de l’homme,

– vu la charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance,

– vu l’avis rendu le 25 avril 2013 par la commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH),

– vu la déclaration de la délégation de l’Union européenne au Burundi du 10 septembre 2014,

– vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques,

– vu la charte africaine des droits de l’homme et des peuples,

– vu l’article 135, paragraphe 5, et l’article 123, paragraphe 4, de son règlement,

A. considérant que les autorités burundaises ont arrêté et détenu, le 20 janvier 2015, le défenseur des droits de l’homme Bob Rugurika, directeur de la Radio publique africaine (RPA), au motif que celui‑ci a refusé de révéler ses sources quelques jours après la diffusion sur son antenne d’une série de reportages d’investigation sur le meurtre, en septembre 2014, de trois religieuses âgées italiennes, Lucia Pulici, Olga Raschietti et Bernadetta Boggian, dans la commune de Kamenge, au nord de Bujumbura;

B. considérant que les reportages évoquaient l’implication, dans ce meurtre, de hauts responsables des services de renseignement, à qui avait été donnée la possibilité de présenter leurs observations avant la diffusion des reportages;

C. considérant que les autorités burundaises n’ont produit aucun élément de preuve pour justifier la détention de M. Rugurika, arrêté pour « manquement à la solidarité publique, violation du secret de l’instruction, recel de malfaiteur et complicité d’assassinat »; que cette arrestation s’inscrit dans une approche du gouvernement visant à porter atteinte à la liberté d’expression, en prenant pour cibles les journalistes, les activistes et les membres des partis politiques; que ces atteintes se sont multipliées à l’approche des élections qui auront lieu au Burundi en mai et en juin 2015;

D. considérant que le droit international des droits de l’homme, notamment la charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui ont été ratifiés par le Burundi, dispose clairement que la détention provisoire doit s’appuyer sur des charges crédibles juridiquement fondées; que les autorités burundaises n’ont produit aucun élément de preuve démontrant la nécessité de placer M. Rugurika en détention;

E. considérant que ce n’est pas la première fois que le gouvernement burundais tente d’empêcher des médias ou des groupes de défense des droits de l’homme de publier des informations sensibles et de dénoncer des abus de pouvoir que le gouvernement aurait commis; que, malgré cet acharnement persistant, les journalistes ne se sont pas abstenus de récolter et de publier des informations sur des sujets controversés, notamment sur l’affaire Pierre Claver Mbonimpa, figure de premier plan de la défense des droits de l’homme, qui a été arrêté en mai 2014 pour des déclarations qu’il a faites sur la Radio Publique Africaine et libéré seulement quelque temps après, sans que les poursuites à son encontre n’aient été abandonnées;

F. considérant que le Burundi a adopté, en juin 2013, une loi sur la presse, qui restreint la liberté des médias, limite le nombre de sujets pouvant être abordés par les journalistes et pourrait ériger en infraction la diffusion d’informations sur des sujets tels que l’ordre public et la sécurité; que l’union des journalistes du Burundi a saisi la Cour de justice de l’Afrique de l’Est;

G. considérant que l’adoption d’une série de lois restrictives à l’approche des élections de 2015, notamment la loi sur les médias d’avril 2013, a accentué l’acharnement et les menaces dont font l’objet, depuis 2010, les journalistes et les autres personnes qui dénoncent les assassinats politiques, la corruption et la mauvaise gestion du pays;

H. considérant que le Burundi se place au 142e rang sur 180 dans l’indice annuel 2014 de la liberté de la presse de Reporters sans frontières;

I. considérant que Reine Alapini-Gansou, rapporteure spéciale sur les défenseurs des droits de l’homme en Afrique, a condamné cette arrestation, réclamé la libération immédiate de Bob Rugurika et appelé les autorités burundaises à assumer leurs responsabilités en vertu de la déclaration de principes sur la liberté d’expression en Afrique et des déclarations de Kigali et de Grand Baie;

J. considérant que le droit à la liberté d’expression est garanti par la Constitution du Burundi ainsi que par les traités internationaux et régionaux ratifiés par le pays, qu’il est également inscrit dans la stratégie nationale de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption et qu’il est essentiel pour la tenue d’élections libres et équitables en 2015 et pour que les résultats soient acceptés par l’ensemble des participants;

K. considérant qu’un processus électoral libre, équitable, transparent et pacifique permettra au pays, qui se trouve toujours dans une situation d’après-conflit, de sortir de l’impasse politique créée par le processus électoral de 2010;

L. considérant que, depuis la publication de sa résolution du 18 septembre 2014, et notamment de sa référence à l’article 96 de l’accord de Cotonou, les représentants de l’Union européenne insistent sur la nécessité d’ouvrir le processus électoral à toutes les forces politiques du pays, conformément à la feuille de route et au code de conduite;

M. considérant que le gouvernement burundais a confirmé qu’il s’engagerait à mener les négociations avec l’ensemble des forces politiques du pays en conformité avec les deux documents susmentionnés, et a demandé, une nouvelle fois, à l’Union européenne et à ses États membres d’apporter un soutien matériel et financier au processus électoral en cours et d’organiser des missions d’observation au Burundi avant, pendant et après les élections;

N. considérant que l’Union européenne a récemment alloué 432 millions d’euros au Burundi dans le cadre du Fonds européen de développement 2014‑2020, notamment dans le but de favoriser l’amélioration de la gouvernance et de la société civile dans le pays;

O. considérant que le Burundi reste confronté à sa pire crise politique depuis 2005, date à laquelle le pays est sorti de 12 années de guerre civile; qu’une fois encore, cette situation menace non seulement la stabilité intérieure du pays, mais aussi celle de ses voisins dans cette région déjà instable du continent africain;

1. condamne la détention injustifiée de Bob Rugurika et réclame sa libération immédiate et inconditionnelle; demande, en outre, aux autorités de continuer d’enquêter sur le meurtre tragique des trois religieuses italiennes et de traduire les responsables en justice; demande également que ce crime fasse l’objet d’une enquête indépendante;

2. dénonce toutes les violations des droits de l’homme commises au Burundi ainsi que l’adoption de lois restrictives à l’approche des élections présidentielles et législatives qui auront lieu dans le pays en 2015, notamment les lois qui portent préjudice à l’opposition, aux médias et à la société civile, du fait qu’elles entravent les libertés d’expression, d’association et de réunion;

3. invite les autorités burundaises à assurer un équilibre approprié et juste entre la liberté des médias, qui inclut la liberté des journalistes de chercher et de relayer des informations sur les crimes, et la nécessité de garantir l’intégrité des enquêtes judiciaires;

4. demande au gouvernement burundais de permettre un véritable débat politique ouvert à l’approche des élections de 2015 et de respecter la feuille de route et le code de conduite négociés sous l’égide des Nations unies et signés par l’ensemble des dirigeants politiques burundais; attire l’attention sur le texte suivant issu de la Constitution burundaise: « Le Président de la République est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels »;

5. demande au gouvernement burundais de respecter le calendrier électoral et d’associer les partis de l’opposition à la surveillance des élections, notamment dans la phase d’inscription partielle des nouveaux électeurs, comme convenu entre la commission électorale nationale indépendante (CENI) et les partis politiques au cours de la réunion d’évaluation de l’inscription des électeurs, qui s’est tenue les 29 et 30 janvier 2015;

6. est fortement préoccupé par l’ingérence du gouvernement dans la gestion interne des partis de l’opposition, l’impossibilité pour ces partis de faire campagne et la tendance croissante du pouvoir judiciaire à exclure les dirigeants de l’opposition du processus électoral;

7. demande instamment au gouvernement burundais de prendre des mesures pour contrôler l’aile jeune du parti CNDD-FDD et empêcher ses membres d’intimider et d’attaquer les personnes considérées comme des opposants, et veiller à ce que les responsables de ces abus soient traduits en justice; demande qu’une enquête internationale indépendante soit menée afin de vérifier si le CNDD‑FDD arme et entraîne son aile jeune; exhorte les dirigeants des partis de l’opposition à empêcher les violences perpétrées contre leurs opposants;

8. souligne l’importance de respecter le code de conduite en matière électorale et la feuille de route électorale négociée sous l’égide des Nations unies et signée par les acteurs politiques en 2013, et soutient pleinement les efforts des Nations unies et de la communauté internationale afin d’empêcher une nouvelle montée des actes de violence politique à l’approche des élections de 2015 et de contribuer à restaurer la sécurité et la paix à long terme;

9. invite toutes les parties associées au processus électoral, notamment les organes chargés d’organiser les élections et les services de sécurité, à honorer les engagements pris en vertu de l’accord d’Arusha et rappelle que cet accord a mis un terme à la guerre civile et constitue le fondement de la Constitution burundaise;

10. estime que l’Union européenne devrait jouer un rôle d’observateur de premier plan dans la période pré-électorale, de manière à éviter toute violation des engagements qui pourrait avoir des incidences néfastes non seulement sur le processus de démocratisation, mais aussi sur la paix et la sécurité au Burundi et dans l’ensemble de la région des Grands Lacs;

11. rappelle que le Burundi est lié par la clause sur les droits de l’homme de l’accord de Cotonou, le pacte international relatif aux droits civils et politiques et la charte africaine des droits de l’homme et des peuples, et a par conséquent l’obligation de respecter les droits de l’homme universels, y compris la liberté d’expression; demande au gouvernement burundais de permettre qu’un véritable débat politique ouvert ait lieu en prévision des élections de 2015 sans craintes d’intimidations, en évitant de s’immiscer dans la gestion interne des partis de l’opposition, d’édicter des restrictions de campagne s’appliquant à tous les partis, en particulier dans les régions rurales, et d’abuser du système judiciaire pour exclure les rivaux politiques;

12. invite la Commission, la vice-présidente/haute représentante de l’Union européenne et les États membres à continuer de veiller à l’existence d’une politique européenne claire à l’égard du Burundi, qui repose sur des principes et s’attaque aux violations graves des droits de l’homme observées actuellement, conformément au cadre stratégique de l’Union en matière de droits de l’homme; demande à la Commission d’envisager de lancer des consultations avec le Burundi, conformément à l’article 96 de l’accord de Cotonou, en vue de son retrait éventuel de l’accord, et de prendre des mesures appropriées simultanément à la conduite de ces consultations;

13. invite la vice-présidente/haute représentante de l’Union européenne à mettre à profit le dialogue politique approfondi prévu à l’article 8 de l’accord de partenariat de Cotonou avec le gouvernement burundais afin de trouver des solutions effectives au manque d’ouverture de la sphère politique au Burundi, de définir des critères précis et concrets pour mesurer l’évolution de la situation et d’élaborer une stratégie pour remédier à cette évolution;

14. demande au gouvernement burundais, aux dirigeants de l’opposition et aux militants de la société civile de tout mettre en œuvre pour apporter un soutien démocratique et transparent à la commission pour la paix et la réconciliation afin de régler la question des crimes du passé et de préparer l’avenir;

15. demande à l’Union européenne et à ses États membres de mobiliser les fonds nécessaires pour faire face à la situation humanitaire dans cette région du monde et de collaborer avec les organes des Nations unies, notamment sur la situation de malnutrition chronique;

16. demande à la Commission européenne d’allouer des fonds, pour la période 2014‑2020, en priorité aux ONG et aux organisations internationales qui œuvrent directement auprès des populations et de faire pression sur le gouvernement du Burundi pour qu’il mette en œuvre les réformes nécessaires afin de consolider le pays;

17. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, aux États membres, au gouvernement du Burundi, aux gouvernements des pays de la région des Grands Lacs, à l’Union africaine, au Secrétaire général des Nations unies, aux coprésidents de l’assemblée parlementaire paritaire ACP-UE et au Parlement panafricain.