Kagame instrumentalise le génocide pour se maintenir au pouvoir Le Figaro, 08/04/2014
Génocide rwandais : pourquoi le vrai coupable n’est pas la France, mais Kagame
Par Jacques Hogard
Jacques Hogard, militaire français qui a vécu le génocide rwandais de l’intérieur, s’insurge contre les accusations portées contre la France par Paul Kagame. Selon lui, le président rwandais a souhaité les massacres pour mieux installer sa dictature.
Le Colonel Jacques Hogard a été commandant du groupement de Légion Étrangère lors de l’opération Turquoise au Rwanda, en 1994. À ce titre, il est membre fondateur de l’association France-Turquoise, dont l’objet principal est le «rétablissement de la vérité sur l’action de l’armée française et des militaires français au Rwanda» suite aux allégations concernant ceux-ci durant le génocide au Rwanda.
Le 6 avril 1994 à la nuit tombante, l’avion transportant Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira, respectivement présidents hutus du Rwanda et du Burundi, de retour d’un sommet régional qui venait de se tenir à Arusha en Tanzanie, était abattu par un missile sol-air alors qu’il se présentait pour atterrir à Kigali, la capitale rwandaise.
Trois heures plus tard, dans le nord est du Rwanda, les colonnes en armes du FPR, la rébellion tutsie, se mettaient en marche pour la dernière étape de leur conquête guerrière du pays. A leur tête, un redoutable stratège et chef de guerre, Paul Kagame, Tutsi issu de l’émigration aristocratique rwandaise en Ouganda et colonel des renseignements de l’armée ougandaise, formé dans les écoles américaines.
A Kigali, au même moment, le bataillon du FPR stationné dans l’ancien parlement rwandais au titre des accords d’Arusha d’octobre 1993, se mettait également aussitôt en mouvement dans la capitale.
Le lendemain, débutaient des massacres d’une horreur indescriptible qui allaient ensanglanter le pays des mille collines pendant une centaine de jours, des habitants hutus tuant sans relâche leurs compatriotes tutsis dans des conditions abominables.
Le génocide des Tutsis commençait et avec lui, le malheur de ce petit pays des Grands Lacs qui, vingt après, vit sous un régime totalitaire où la démocratie et les libertés élémentaires sont un rêve pour le moment inaccessible.
Ce génocide ne restera pas seul. Aux 800 000 victimes tutsies de 1994, succéderont hélas entre 1995 et 1997 quelques 400 000 victimes hutues, pourchassées et décimées dans les forêts orientales de l’actuelle RDC, sans parler des centaines de milliers de Congolais de toutes ethnies, massacrés eux aussi dans des combats et des tueries qui durent encore de nos jours.
Il y a quelques jours, à la veille du vingtième anniversaire du génocide, le président Kagame dans un violent discours s’en prenait une fois encore à la France qu’il accuse avec persévérance depuis vint ans de complicité de génocide, quand il ne dit pas tout simplement qu’elle en est quasiment l’unique responsable!
Devant le caractère intolérable de telles accusations énoncées en dépit des faits et de l’Histoire, hier 6 avril, la France a donc renoncé à déléguer un ministre de son Gouvernement aux cérémonies officielles organisées à Kigali.
En rétorsion, le président Kagame a alors décidé d’interdire à notre ambassadeur au Rwanda d’assister à ces cérémonies auxquelles cependant était présent un ex-ministre français en la personne du controversé Bernard Kouchner, ami de longue date du potentat rwandais.
Comment expliquer une telle impasse entre la France et le Rwanda d’aujourd’hui?
Certes il y a l’Histoire. L’Histoire contemporaine commencée dès l’établissement d’une coopération militaire entre le Rwanda et la France au début du septennat de Valery Giscard d’Estaing alors que Juvénal Habyarimana était depuis quelques années au pouvoir au Rwanda.
C’est en effet au nom de ces accords que le même président Habyarimana en octobre 1990 décide de faire appel à la France pour contrer les éléments armés en tenue ougandaise et dotés de matériels militaires ougandais qui pénètrent dans le nord du pays. C’est l’époque de l’opération Noroit qui consiste avec deux ou trois compagnies d’infanterie à protéger nos ressortissants et assurer la stabilité de la capitale. C’est aussi l’époque où la coopération militaire française va assurer la remise à niveau des FAR (Forces armées rwandaises) face au FPR.
Ceci on s’en doute, ne nous attire guère les faveurs du guerillero tutsi!
Mais ce soutien de la France au Président Habyarimana ne se fait pas sans contrepartie. Nous sommes quelques mois après le Discours de La Baule et cette contrepartie, exigée et obtenue par la France, est la démocratisation du régime, l’abandon du monopartisme, l’adoption du multipartisme et l’ouverture du dialogue tant avec l’opposition intérieure qu’avec la rébellion armée du FPR.
Au point que Habyarimana doit ainsi entrer dans une période de cohabitation où sa position devient difficile.
Les Accords d’Arusha signés en octobre 1993 consacrent cette évolution tout en mettant officiellement un terme au soutien militaire de la France qui retire donc toutes ses unités militaires du Rwanda, laissant la place à une force de l’ONU, la MINUAR commandée par le général canadien Roméo Dallaire.
C’est donc cette force de plus de 2000 hommes qui, par décision de l’ONU, sera amputée des 9/10èmes de ses effectifs, dix jours seulement après le déclenchement du génocide début avril 1994!
C’est donc cette force, et derrière elle, l’ONU, mais plus encore la Communauté internationale qui assistent sans intervenir, comme impuissants, au déroulement du génocide de 800 000 Tutsis, en ce sinistre printemps de 1994.
Or, c’est bien la France qui par la bouche de son ministre des affaires étrangères de l’époque, Alain Juppé, est la première à appeler le génocide par son nom, pour le dénoncer et demander l’envoi d’une force internationale qui mette fin aux massacres.
Mais les Etats-Unis notamment, par la bouche de Madeleine Albright, s’y opposent de tout leur poids.
Il faudra donc attendre fin juin pour qu’à force de pressions, l’ONU vote la résolution autorisant la France à mener une opération limitée à deux mois au Rwanda, afin d’y mettre un terme au génocide.
C’est l’opération Turquoise (22 juin/22 août 1994) pendant laquelle moins de 2000 hommes s’emploieront à rétablir ordre et sécurité pour tous dans le sud-ouest du Rwanda, tandis que s’effondre le régime hutu radical qui a succédé au président Habyarimana et à son gouvernement d’opposition. Cette opération s’effectue dans un contexte de grande tension avivée par la débandade du gouvernement intérimaire et de l’administration et le délitement des FAR soumises depuis des mois à un strict embargo des armes et des munitions. En face se déploie alors la force militaire d’un FPR puissamment armé et soutenu par l’Ouganda au moins. En quelques semaines le pays est conquis, à l’exception de cette zone humanitaire sûre (ZHS) constituée par la France avec l’aval de l’ONU dans le sud-ouest du pays.
A l’époque il faut se souvenir que Kagame, depuis des semaines, menace la France de ses foudres si elle s’avise d’intervenir au Rwanda et de perturber ainsi la conquête du territoire.
En ce mois de juillet 1994, on connaît déjà bien, par ailleurs, la nature totalitaire du FPR et ses pratiques et c’est donc avec une posture très militaire, et dotée de moyens de combats significatifs que la Force Turquoise s’installe au Rwanda.
La fureur de Kagame qui n’a jamais porté dans son cœur la France et les Français, est grande.
Après quelques escarmouches, le général tutsi renoncera cependant, malgré ses rodomontades, à affronter les troupes françaises. Lesquelles pourront ainsi faire leur travail et sauver alors quelques milliers de Tutsis encore cachés dans les campagnes rwandaises.
Fin août 1994, Turquoise passe la main aux unités africaines, notamment éthiopiennes de la MINUAR II.
Les Français quittent définitivement le Rwanda après deux mois d’un mandat intense où ils n’auront pas ménagé leur peine pour pacifier une région grande comme un département français, et de convaincre d’y rester des centaines de milliers de Hutus tentés par l’exil dans les pays voisins, Burundi et Zaïre.
Dès lors, la propagande de Kagame se déchaîne contre les forces françaises accusées d’avoir protégé les génocidaires, d’avoir favorisé les milices hutues et pourquoi pas d’avoir participé elles même aux massacres!
La surprise est alors immense pour le soldat que je suis, immense parce que je suis de retour en France parmi les miens au terme d’une opération à laquelle je suis particulièrement fier d’avoir participé, estimant en effet y avoir fait de mon mieux, de même que chacun de mes hommes, de mes pairs et de mes chefs, pour ramener un peu d’ordre, de stabilité et de paix dans ce pays dévasté par la haine et la barbarie.
Mais ma surprise est d’autant plus grande que je découvre aussi des lobbies français et européens, disposant de solides moyens médiatiques et financiers, qui relaient alors sans vergogne, pour quels intérêts?, les accusations abominables contre la France et son armée proférées depuis Kigali par le FPR vainqueur au Rwanda.
En vingt ans, les choses se sont beaucoup décantées.
Et personne de bonne foi ne peut aujourd’hui ignorer la sombre réalité du FPR au pouvoir au Rwanda depuis 1994: disparitions, assassinats, emprisonnements, jugements sommaires, exécutions, tortures, humiliations, contraintes morales et psychologiques, camps de rééducation et d’autocritiques…etc.
Comment ne pas citer par exemple les noms de l’héroïque Victoire Ingabire Umuhoza, l’ «Aung San Suu Kyi rwandaise», opposante démocratique à Kagame et comme telle condamnée après tortures de toutes sortes à la prison à vie, et celui de Théodore Munyangabe, sous-préfet, «Juste parmi les Justes», Hutu sauveur de Tutsis au péril de son existence, condamné lui aussi à la prison à vie pour seul crime d’avoir été mon ami et collaborateur le plus engagé et courageux à Cyangugu durant l’été 1994?
Kagame a provoqué le génocide de 1994. Il le souhaitait, car les massacres à grande ampleur des Tutsis de l’intérieur, étaient pour lui le seul moyen d’échapper à la démocratie qui ne lui aurait définitivement laissé qu’un second rôle, le seul moyen de reprendre la lutte armée et de légitimer cette dernière, le seul moyen de prendre le contrôle du Rwanda et d’asseoir son régime d’une main de fer pour des décennies.
Lâché aujourd’hui visiblement par ses alliés américains, certainement du fait de ses frasques guerrières trop visibles en RDC et de son trop évident mépris pour les valeurs démocratiques, l’instrumentalisation du génocide est aujourd’hui la seule et dernière carte qui lui reste pour se maintenir au pouvoir.
Voilà pourquoi il fallait cet incident subit avec la France.
Ce n’est pas moi qui le dit mais ses frères d’armes tutsis, anciens déçus du FPR qui ont fui le Rwanda lorsqu’ils en ont constaté la dérive totalitaire, le général Kayumba Niamwasa, le docteur Théogène Rudasingwa, le procureur Gerald Gahima, le major Jean-Marie Micombero; ces mêmes Tutsis courageux poursuivis par la haine de Kagame où qu’ils se trouvent dans le monde et cela parfois jusqu’au sacrifice de leur vie comme le colonel Patrice Karegeya assassiné le 1er janvier dernier en Afrique du Sud.
Ce sont ces mêmes hauts dignitaires tutsis en exil qui accusent formellement Kagame avec luxe de détails et de témoignages de l’assassinat programmé de son prédécesseur.
Ce sont ces mêmes hauts dignitaires tutsis en exil qui accusent formellement Kagame d’avoir cyniquement bâti sa stratégie de conquête du pouvoir sur le sang de ses compatriotes.
Ce sont ces mêmes haut dignitaires tutsis qui lui prédisent comme à tous les dictateurs de l’Histoire, une fin prochaine et terrible.
Alors devant tout cela, il ne reste à Kagame que la fuite en avant, que les accusations outrancières, que les méthodes les moins démocratiques…
Ses déclarations aussi violentes que mensongères, réitérées la semaine dernière à la veille des commémorations du génocide de 1994, n’avaient pour but que d’éviter à tout prix tout contact avec la France: c’est qu’il peut être dangereux à terme pour un potentat de trop fréquenter les démocraties et de trop s’habituer par capillarité aux valeurs de l’Esprit!
Colonel (er) Jacques Hogard
Ancien commandant du Groupement Sud de l’Opération Turquoise