Courte biographie de Feu Président Cyprien Ntaryamira

Cyprien NtaryamiraPrésident de la République du Burundi pendant tout juste deux mois, du 5 février au 6 avril 1994, Cyprien NTARYAMIRA, après avoir connu une mort violente, délibérément provoquée, dérange toujours ceux qui, de peur d’être démasqués, s’efforcent de la plonger dans l’oubli. En ce mois d’avril, deux ans après sa disparition tragique, l’opinion burundaise, vivant le drame au quotidien, ne cesse de se mobiliser pour réclamer que toute la lumière soit faite sur l’attentat, survenu à Kigali le 6 avril 1994, contre l’avion du président rwandais dans lequel se trouvaient notamment Cyprien NTARYAMIRA, et les ministres Bernard CIZA et Cyriaque SIMBIZI ; Le long silence des plus hautes autorités du Burundi après la mort du numéro un du pays et ses compagnons du FRODEBU n’est-il pas le signe d’une volonté d’oubli, voire de dissimilation ?

Notre homme est le second président burundais assassiné en l’espace de cinq mois. Tout comme S.E. Melchior NDADAYE, premier président démocratiquement élu, assassiné lors du putsch déclenché le 21 octobre 1993 contre les toutes nouvelles institutions démocratiques du Burundi, issues des élections présidentielles et législatives de juin 1993, l’assassinat de Cyprien NTARYAMIRA s’inscrit objectivement dans les logique de renversement du courant démocratique que les deux présidents incarnaient.

Au plan personnel, Cyprien NTARYAMIRA était un homme de conviction, très fidèle en amitié, grand travailleur, un véritable « bulldozer » au boulot, mais très discret et n’aimant pas se mettre en évidence. Il laisse derrière lui sa femme, Sylvana et trois jeunes enfants.

Une courte biographie

Né le 6 mars 1955 sur le colline Gitwe, dans la zone Mageyo, commune de Mubimbi, province de Bujumbura Rural, Cyprien NTARYAMIRA suit l’école primaire à Rushubi jusqu’en 1968, puis le cycle d’orientation du Collège du Saint-Esprit de Bujumbura.

En 1972 (!) il doit se réfugier au Rwanda où il reprend ses humanités de 1973 à 1976, en section scientifique au Collège de Rilima, dans le préfecture de Kigali. C’est à l’Université Nationale du Rwanda qu’il obtient son diplôme de Bachelier ès sciences (1979) ainsi que celui d’Ingénieur Agronome (1982).

Co-fondateur, au Rwanda du Mouvement des Etudiants Progressistes Barundi (BAMPERE, une branche du MEPROBA, dont le siège est à Bruxelles), il y occupe la fonction de responsable du département de l’information. En décembre 1979, il fonde avec MM Salvator BUYAGU[1], Melchior NDADAYE, Jérôme NDIHO, Festus NTANYUNGU, Jean NDIKUMANA, Sylvestre NTIBANTUNGANYA et d’autres, le Parti des Travailleurs Barundi (UBU), de tendance socialiste, où il est chargé de la formation politique et idéologique.

En mars 1983, il rentre au Burundi comme précurseur de Melchior NDADAYE et travaille d’abord comme conseiller à la Direction Générale de la Planification Agricole. Puis, en janvier 1984, il dirige le région cotonnière nord à la COGERCO.

Cependant, en mai 1985, il est incarcéré à la prison de Mpimba pendant une année, pour des motifs strictement politiques, sans avoir bénéficié de la moindre forme de procès. En fait, il lui était reproché de diriger un réseau d’opposition politique clandestin (l’UBU en l’occurrence) au régime de BAGAZA, qui ne le tolérait pas. Pour la petite histoire, il semblerait que ce soit sur l’intervention personnelle de Madame BAGAZA, une amie d’enfance, qu’il ait été mis en liberté.

C’est l’époque de la création, clandestine, du parti Sahwanya-FRODEBU, fondé par “les douze”, dont MM C. NTARYAMIRA, M. NDADAYE et L. NYANGOMA, en août 1986 dans un quartier populaire de Gitega. Là-même où furent jetées les bases du parti UPRONA par MM Paul MIREREKANO, Thaddée SIRYUYUMUNSI, NUGU et quelques autres, avant même les accords de Bugarama scellant l’alliance avec le Prince Louis RWAGASORE, qui, contrairement à ce qu’écrit Jean-Pierre Chrétien, n’est pas le père fondateur de l’UPRONA[2].

Cyprien NTARYAMIRA, tout comme Melchior NDADAYE fait partie de l’aile, devenue majoritaire au sein de l’UBU, favorable à un adaptation idéologique, une “perestroïka”, répondant au nouveau courant perceptible dans les relations internationales qui culminera avec la chute du mur de Berlin. Avec la création du Front pour la Démocratie au Burundi, c’est désormais l’option de la voie pacifique, légale et électoraliste pour la transition démocratique qui l’emporte au détriment de la voie révolutionnaire originelle. L’essor du FRODEBU s’appuie notamment sur l’alliance avec d’autres formations, y compris celles d’inspiration non-socialiste, d’où le sens du mot “front”. Cyprien NTARYAMIRA devient membre du Bureau politique et responsable chargé des questions économiques du FRODEBU.

Après avoir été Directeur Général de l’Agriculture et de l’Elevage à partir de décembre 1987, il est nommé Ministre de l’Agriculture et de l’Elevage en juillet 1993, dans le Gouvernement de Madame Sylvie KINIGI, sous la présidence de S.E. Melchior NDADAYE.

Les second et troisième hommes de la République, MM Pontien KARIBWAMI et Gilles BIMAZUBUTE, respectivement président et vice-président de l’Assemblée Nationale, ayant aussi été tués lors de la première phase du putsch d’octobre 1993, le succession à la présidence de la République se trouvait délibérément compliquée. Cela arrangeait bien les putschistes qu’il ait vacances aux plus hauts échelons de l’Etat. Un vide à ce niveau devait permettre d’affaiblir les autorités légitimes (celles issues des élections démocratiques), entretenir le chaos et la désolation dans le pays et tenter de justifier une reprise en main par la nomenklatura se voyant écartée par la vague démocratique.

C’est dans ce contexte de terreur, ponctué par des opérations dites de ville-morte montées par l’UPRONA et quelques formations satellites que se déroule la bataille autour de l’article 85 de la Constitution, qui prévoit que le président de l’Assemblée Nationale devient président de la République ad intérim en cas d’empêchement de ce dernier. Kigobe-Kajaga-Novotel en sont le théâtre, fort clos somme toute.

Au sein du FRODEBU, grand vainqueur des élections démocratiques mais déstabilisé par le coup d’Etat, deux hommes se profilent pour remplacer Melchior NDADAYE. MM Sylvestre NTIBANTUNGANYA et Léonard NYANGOMA. Le Bureau politique, dont Cyprien NTARYAMIRA fait partie, se prononce majoritairement en faveur de Sylvestre NTIBANTUNGANYA à la présidence de la République, Léonard NYANGOMA à la présidence de l’Assemblée Nationale et charge, en outre, ce dernier d’organiser la résistance populaire contre l’usurpation du pouvoir par les putschistes. Cependant, Sylvestre NTIBANTUNGANYA, à ce moment, préfère se désister en faveur de Cyprien NTARYAMIRA, qui accepte, plus par le sens du devoir que par ambition, malgré les lourdes menaces qui pèsent sur celui qui occupe cette fonction.

Un accord avec les forces d’opposition ayant été obtenu, M. Cyprien NTARYAMIRA accède à la magistrature suprême le 5 février 1994. Pour y parvenir, il aura fallu faire une concession, parmi d’autres, à l’opposition : celle d’écarter Madame Sylvie KINIGI, pourtant membre de l’UPRONA, au poste de premier ministre, au profit de M. KANYENKIKO. C’est un premier revers. Il n’en demeure pas moins que la proposition, même avortée, de reconduire Madame KINIGI, déjà premier ministre sous NDADAYE, traduit, dans le chef de Cyprien NTARYAMIRA, la volonté de continuité politique avec la ligne tracée par Melchior NDADAYE.

Cependant, même le gouvernement KANYENKIKO I est mort-né. Endéans les 24 heures il est profondément remanié, épuré de certaines personnalités du FRODEBU jugées indésirables par l’opposition qui, répétons-le, fait régner la terreur.

Faire un bilan de la présidence de NTARYAMIRA n’est pas chose aisée ; surtout en raison de sa courte durée. Les maîtres-mots sont néanmoins clairs : restaurer la ligne politique incarnée par NDADAYE, s’adapter aux conditions précaires d’exercice du pouvoir imposées par la violence des putschistes et ramener le calmer et la sécurité dans le pays.

Au niveau du renforcement de la sécurité, il faut noter ses efforts pour réorganiser la Documentation et les services des Migrations, en tant que postes des résistance aux forfaits de l’armée putschiste. En comblant le vide laissé par l’élimination physique du premier président élu démocratiquement au Burundi, il a rendu confiance à la population et a permis aux députés et militants démocrates de se réorganiser, de dresser des plans à moyens terme et de mieux résister aux assauts tant politique que guerriers des putschistes. Cyprien NTARYAMIRA a également tenté de réformer les polices municipales dans le sens de rassurer les populations. Il était, en outre, très actif sur le terrain de la pacification des campagnes, confrontées aux exactions de l’armée et livrées à la manipulation et à l’exacerbation des tensions ethniques par des groupes tribalistes.

Sur le plan économique, est à mettre à son actif la stimulation d’une économie adaptée à la situation de guerre pour éviter une famine bien pire qui eût pu sévir en raison des combats et de la rareté des pluies en cette saison, n’eussent été les mesures d’encouragement à la population de cultiver tantôt le jour, tantôt la nuit, selon les circonstances, et surtout de tolérer le partage des produits alimentaires selon les besoins. C’est-à-dire, permettre aune mobilité accrue des personnes par une alternance entre les lieux de consommation et de production des denrées alimentaires afin de s’adapter aux variations de la situation sécuritaire.

Enfin, sur le plan diplomatique, rappelons ses relations soutenues, au plus hauts niveau, avec la Tanzanie et le Zaïre voisins, dont les rencontres entre chefs d’Etat à Kigoma, avec le président MWINYI, et à Gbadolite, avec le président MOBUTU, avec pour enjeu le retour à la paix et la sécurité au pays. Les résultats diplomatiques qu’il obtint alors ont peut-être précipité sa perte dans la mesure où la possibilité d’une intervention militaire étrangère se faisait de plus en plus précise et menaçait les intérêts des putschistes.

Xavier WAEGENAERE


[1] Il a été assassiné au Rwanda en 1990 sur ordre du président BUYOYA, le même jour que Rémy GAHUTU en Tanzanie.

[2] Voir notamment La vérité sur le Burundi, par Boniface KIRARANGANYA.