Pour le génocide de 1972 il faut crever l’abcès. 42 ans déjà ! Rappel des faits. Par Kazirukanyo Martin

La communauté internationale s’est toujours invitée dans nos affaires pas nécessairement pour notre bien. Dans l’ouvrage Burundi 1972, au bord des génocides pp 410 – 413, nous lisons que « sur le plan militaire, l’embarras est plus grand, Paris a toujours accepté d’assurer l’approvisionnement de l’armée burundaise en minutions,… les deux hélicoptères Alouettes III, gracieusement offerts (sic) par la France au Burundi, ont arrosé de mitrailles des dizaines de villages hutu ». Au moment venu, le rôle de la France dans cette affaire devra être tiré au clair.

Le porte-parole des Nations unies Stéphane Dujarric a déploré jeudi la décision du Burundi d’expulser un de ses diplomates qui avait, selon Bujumbura, accusé sans preuves le Gouvernement d’armer un mouvement de jeunesse du parti au pouvoir. Mais Monsieur le porte-parole où sont les preuves de ces accusations graves que votre diplomate a émises contre une partie du peuple burundais? Nous les attendons tous. Nous sommes d’avis qu’il est temps que les institutions internationales travaillent avec équité quel que soit le peuple concerné ; en Europe aucun gouvernement ne serait resté, non plus, sans réagir face à une telle accusation grave de préparation d’un génocide, surtout que jusque maintenant cette accusation ne fournit toujours pas les éléments matériels pour l’appuyer. Messieurs il y a eu bel et bien un génocide au Burundi rappelez-vous et soyez justes.

C’était à partir du 28 avril 1972, sous le régime dictatorial qu’incarnait fièrement le parti-Etat « UPRONA » que le drame se jouait, l’hécatombe. Tout a été dit, néanmoins les membres actuels de ce parti devraient moralement reconnaître et assumer la responsabilité qui est la leur quant aux conséquences de ce drame qui a fait plus de 300.000 morts hutu en 1972. Ce massacre n’a toutefois pas encore été qualifié formellement de «génocide». Le minimum comme un geste de grandeur ce parti pourrait, d’ores et déjà, sortir une déclaration en vue de présenter ses excuses et ses condoléances aux familles des victimes. Il faut crever l’abcès.
Mais si il y a excuses, il faut n’oublier personne, que la lumière soit faite sur le massacre, tout étaler et dire toutes les vérités, et ce ne sera pas facile, il y a encore des blessures ouvertes, de part et d’autre .
« Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l’ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n’est pas éclairée. » Albert Camus.

Les blessures du génocide n’ont pas été cicatrisées. Même si cette déclaration ne serait pas suffisante, cette étape est nécessaire car elle constituerait un désaveu pour le clan des menteurs et un gage de paix pour tous et la guérison des esprits, car la banalisation par laquelle certains évoquent encore aujourd’hui ce génocide et s’en font la caisse de résonance pour les négationnistes, ne cesse d’aviver les rancœurs et les souffrances pour les rescapés et pour les familles éprouvées.

Depuis son indépendance en 1962, le Burundi regorge de responsables de crimes divers et jusqu’à ce jour, ils n’ont jamais été inquiétés, ce qui perpétue le culte de l’impunité et renforce les frustrations des victimes. Néanmoins, sans préjudice des résultats des travaux de la CVR ou de la Commission d’enquête judiciaire internationale qui devra établir les responsabilités individuelles en application du Chapitre II du Protocole en la matière et afin de faire la lumière sur le passé, les parties signataires de l’accord d’Arusha ont reconnu que des actes de génocide, des crimes de guerre et d’autres crimes contre l’humanité ont été perpétrés depuis l’indépendance jusqu’à nos jours au Burundi.

Ce n’est qu’en 1968 que Micombero commença à dévoiler quelques coins de son plan, lors de son discours du 1er juillet 1968, il expliqua sa tactique en disant que quand on a un fagot à brûler, il vaut mieux s’y prendre arbuste par arbuste (kuvuna rumwe rumwe), sinon on se complique la vie,…. A ce propos il faut lire le plaidoyer de Monsieur Mpozagara à l’endroit de la politique menée à cette époque dans son ouvrage publié en 1971 intitulé « La République du Burundi » dans l’encyclopédie politique et constitutionnelle, série Afrique, de l’Institut International d’Administration Publique.

Dans l’Accord d’Arusha, est prévue la création d’une Commission nationale pour la Vérité et la Réconciliation chargée, entre autres, d’enquêter. Cette mission est spécifiée de la façon suivante: «La Commission fait la lumière et établit la vérité sur les actes de violences graves commis au cours des conflits cycliques qui ont endeuillé le Burundi depuis l’indépendance (le 1er juillet 1962), qualifie les crimes et établit les responsabilités ainsi que l’identité des coupables et des victimes.

L e18 septembre 1969, Michel MICOMBERO, conseillé par Simbananiye et Mpozagara, fit procéder à des arrestations de certains officiers de l’armée pour débuter sa purification ainsi que des civils et religieux Hutu. Les moyens de torture appliqués aux détenus furent multiples et variés, relevant de l’imagination diabolique la plus prodigieuse. Les témoins affirment qu’à côté de cela les nazis n’avaient aucune imagination ! Ces tortures brutales et cruelles menèrent à trépas plusieurs détenus. Les plus illustres de ces victimes sont le docteur Cyprien Henehene ancien ministre de la santé, les officiers Karolero, Katariho et Bazayuwundi. Lorsque les accusés de 1969 sont arrêtés, Mpozagara ne mentionne pas qui les a dénoncés. Nous savons par contre que  » l’interrogatoire » est rondement mené, elle est musclée puisque Mpoazagara a l’habitude. Le soir Mpozagara se trouve chez Micombero entouré de son ami Ntungumburanye alors chef de la sûreté et le ministre de la justice pour confectionner le questionnaire du lendemain. Il en sera ainsi jusqu’à la fin de l’instruction. Le verdict est donc prononcé au cours de ces soirées bachiques. On le donnera au tribunal pour le prononcer la plupart des fois les juges en ignorent jusqu’à la dernière minute le contenu. Sur 80 personnes interpellées, 25 furent condamnées à mort dont 19 militaires et 6 civils.

L’histoire nationale n’a pas encore mesuré la gravité de l’hécatombe de 1972. Les familles brisées, décimées ou meurtries encore crient mais seul l’opprobre leur répond. On reste confondu et scandalisé par l’indifférence de cette société civile burundaise qui jusque maintenant est seulement zélée quand il s’agit d’embêter le gouvernement mais qui, sommes toutes, quand il s’agit des crimes d’ampleur nationale commis par les dignitaires des anciens régimes et touchant les simples citoyens dont les plaies sont encore ouvertes à ce jour, se désintéresse complètement à se demander quels droits de l’homme elle défend, jusqu’à passer outre le génocide d’avril 1972.

Tout commença dans la nuit du samedi 29 avril 1972, alors qu’à midi, le président Micombero venait de révoquer son équipe ministérielle afin de réaliser en toute quiétude son plan d’extermination. Toutefois, il avait gardé à ses côtés un seul ministre Monsieur Arthémon Simbananiye. Certains se demandent même si Simbananiye n’était pas le véritable Président du Burundi en collaboration avec d’autres compères notamment André Yanda, Shibura et autres acolytes. Le Burundi allait être vidé, martyrisé, endeuillé pour longtemps….pour toujours ? Le 30 avril 1972 à 8 heures du matin, on apprend que le roi Charles Ndizeye a été tué vers minuit. Officiellement, il avait été tué lors de combats contre des mulelistes. Pour justifier cet assassinat, les autorités prétendirent que la victime voulait rétablir la monarchie. Il fallait donc massacrer cette masse de Hutu qui vénérait le monarque.

Le 1er mai 1972, la radio de Bujumbura annonce que de sérieux combats se déroulent dans le sud du pays et qu’il s’agit de mulelistes venus du Zaïre aidés par les Inyenzi (monarchistes Rwandais) et des Burundais monarchistes…Dans tout le pays, les arrestations et les exécutions sommaires sont organisées au nom du parti UPRONA et du président Michel MICOMBERO. Le massacre se poursuit et encouragé par les messages officiels diffusés par la radio, la voix de la révolution : « les forces vives de la nation doivent s’impliquer à débusquer les ennemis du peuple ». A la redoutable prison de Bujumbura, les personnes arrêtées sont exposées au soleil, torturés jusqu’à ce que mort s’en suive… Mworoha Emile alors secrétaire général, tel Joseph Goebbels, pendant cette période mobilisait la JRR organisée en milice pour appliquer les consignes données à ces prétendues forces vives de la nation, par sa propagande en raison de ses talents d’orateur et de rhétoricien. Son rôle était très important dans la mise en place du dispositif d’extermination et de diffusion des mots d’ordre. Pour lui, l’essentiel était que la JRR soit organisée avec une telle finesse pour qu’elle soit en quelque sorte l’avant garde de l’appareil répressif et d’extermination des bamenja et autres inyankaburundi, comme on les appelait avant de les tuer (voir document infra).

Le Dr. Stef Vandeginste s’offusque dans sa réflexion sur la CVR et la qualification des faits : « lorsqu’ils parlent de certaines atrocités commises dans le passé, les Burundais ont souvent tendance à parler d’événements et/ou de la crise. L’utilisation d’un euphémisme n’est ni unique au cas burundais (dans le cas de l’Irlande du Nord, par exemple, il était question de «troubles») ni surprenant (car l’utilisation de certains termes, notamment le mot «génocide», pour décrire certains événements était très souvent automatiquement associée à une prise de position politique et à une appartenance ethnique). A un moment donné, notamment dans le cadre de la recherche de la vérité, les termes événements et crise ne suffisent plus. Un des objectifs communs à toutes les CVR – une quarantaine depuis environ trente-cinq ans – est qu’elles doivent éclairer une société sur son passé. Elles doivent permettre une lecture largement partagée de l’histoire, entre autre afin d’enseigner l’histoire du pays aux futures générations. Pour ce faire, un qualificatif des différents cycles de violences et des souffrances des citoyens s’impose. Le qualificatif permet à la société, notamment à travers le rapport de la CVR, d’exprimer une évaluation, une appréciation, un jugement de valeur, au-delà de la simple description des faits. La vérité et la reconnaissance des victimes et de leurs souffrances exigent à ce que le viol, la torture, le crime de guerre, etc. soient appelés par le nom qui leur convient ».

Des soirées dansantes pour les fonctionnaires et les commerçants avaient été organisées dans tout le pays le 29 avril 1972, la nuit du début de l’hécatombe. Qui avait organisé ces soirées ? Dans tous les cas, le pouvoir était complice car il ne les a pas interdites. Au contraire juste après, par des messages codés et ambigus (voir infra) les mouvements intégrés à l’UPRONA étaient utilisés pour traquer et infliger des châtiments exemplaires aux fauteurs de troubles. Les fausses communes ici et là dans tout le pays donnent quelques indices pour identifier ceux qui devaient être châtiés dans ce contexte.

Dans le dossier « Naufrage au Burundi » de septembre 1972, on lisait : « Dans ce pays sans statistiques et sans informations libres, comment pourrait-on savoir ? Qu’importe… de tels massacres ont déjà eu lieu en territoire décolonisé, mais une tentative de naufrage radical par la suppression de l’élite politique, sociale et culturelle d’une ethnie par l’autre, avait-on jamais vu cela ? Même au Biafra ? Même
Et pourtant, la convention de l’ONU sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité condamne ces crimes, même lorsque ces actes ne constituent pas une violation du droit interne des Etats où ils sont commis. Les familles attendent la mise en place de la Commission Vérité et Réconciliation assortie d’une juridiction internationale. Quarante ans plus tard ? Est-ce au moins le bout du tunnel ? Encore une fois, la communauté internationale est interpellée.

Aujourd’hui plus que jamais au Burundi, beaucoup de victimes des actes de barbarie réclament justice. Et Dieu seul sait combien ils sont nombreux. Dieu et les Burundais savent et mesurent le poids de l’injustice. Quarante ans plus tard, nous attirons toujours l’attention sur les suppliciés de 1972. Quarante ans d’attente ; Quarante ans d’indifférence, de déni de justice. Malgré le foisonnement d’associations de la société civile qui œuvrent au Burundi, la violation de la dignité humaine semble ne causer point d’insomnie aux criminels.

Avec l’hécatombe de 1972, les Hutus et les Ganwas sont minoritaires dans les associations actuelles de la société civile qui élèvent la voix pour revendiquer cyniquement le respect des droits de l’homme, leur composition reflète encore trop l’image des régimes du passé. On peut se tromper mais le scandale crève les yeux. L’opprobre est devenu insupportable après la restauration de la démocratie.

Le roi Charles NDIZEYE croupit encore dans une fosse commune ; le roi Mwambutsa repose en exil en Suisse. Les charniers de Buterere, du Pont Peke et d’autres à identifier disparaissent avec leurs secrets macabres. Quarante et deux ans après les faits, les orphelins et les veuves inconsolables réclament justice, un peu d’humanité s’il vous plaît.

De l’intérieur du pays ou de la diaspora, mobilisons-nous ; mettons plus d’énergie et de moyens dans cette bataille contre la mort, l’oubli et le déni de justice. Les victimes de l’hécatombe de 1972 attendent un mot, un geste, un coup de main dans cette lutte pour la renaissance de l’âme burundaise. Agissons pour que cette plaie, cette gangrène nationale cesse d’être une pierre d’achoppement des efforts de reconstruction et de réconciliation nationale. Mobilisons-nous pour toutes les victimes des barbaries burundaises depuis la veille de l’indépendance jusqu’à celles d’aujourd’hui conséquence des calculs mesquins des politiciens sans scrupules. Quarante ans plus tard, il y a encore au Burundi des cadavres non identifiés dans les fausses communes et trop de disparus. Cette malédiction réclame une prise de conscience: le droit de dire non.

Kazirukanyo Martin