« Addis Abeba, le 1er décembre 2018: Le Président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, prend note du renvoi du Sommet de la Communauté de l’Afrique de l’Est, qui devait se tenir à Arusha, en Tanzanie, le 30 novembre 2018. Ce Sommet, pour lequel il a effectué le déplacement d’Arusha, devait être l’occasion pour le Facilitateur du Dialogue inter-burundais de présenter un rapport sur ses efforts. »
C’est ainsi que débute la dernière déclaration du Président de la Commission de l’Union africaine, Monsieur Moussa Faki Mahamat, « sur les efforts régionaux sur le Burundi. »
En résumé, cette déclaration encourage les chefs d’Etat de l’EAC à tenir un sommet réussi le 27 décembre 2018. L’allusion à une surprise préparée dans le cadre du dialogue interburundais externe est à peine voilée.
Toutefois, jusque là, il s’agissait d’une déclaration ordinaire qui s’inscrit dans la logique du soutien apporté par la Commission à la médiation est-africaine dans le dialogue interburundais ; n’eut été cette phrase : « il est crucial que l’ensemble des acteurs concernés s’abstiennent de toutes mesures, y compris politiques et/ou judiciaires, de nature à compliquer la recherche d’une solution consensuelle, … ».
C’est la phrase de trop. Celle qui enchante les mêmes personnes qui se battent becs et ongles pour faire couler les institutions politiques burundaises et le Burundi tout simplement. Celle qui apporte un soutien sans retenue aux putschistes du 21 octobre 1993. Celle qui veut faire taire la justice burundaise face à cette horreur vécue par le peuple burundais et lui infligée par une armée monoéthnique qui s’est emportée dans l’orgueil de la dictature et le mépris de la démocratie, sans parler de sa haine ethnique. Celle enfin qui veut soutenir le haut représentant de l’Union africaine pour le Mali et le Sahel, le fameux, l’unique, le stratège, le major Pierre BUYOYA. Celui-là même qui a dirigé deux fois le Burundi par deux dictatures qui ont semé la terreur pour une durée totale de 13 ans. Cette longévité au pouvoir fait de lui le plus grand dictateur que le Burundi ait connu dans toute son histoire. C’est sous son premier règne que les burundais du Nord du pays ont été massacrés par l’armée durant des mois et dans un silence absolu de toute la Nation et de toute la Communauté Internationale.
Sieur Pierre Buyoya, même battu aux élections et même écarté de la présidence, était encore l’homme fort du pays et surtout de l’armée au moment de l’irréparable commis à l’encontre du Président élu et de ses collaborateurs, le 21 octobre 1993. Il serait très malhonnête de l’acquitter de tout soupçon, alors qu’il disposait du pouvoir de prévenir son prédécesseur sur le sort que lui préparait l’armée monoethnique qu’il lui avait légué, trois mois plutôt. Preuve à l’appui de son implication, c’est lui qui prend les commandes en 1996 lorsqu’en fin aboutisse le putsch commencé en octobre 1993. Sa seconde dictature a été marquée par un embargo de l’ensemble de la Communauté Internationale, y compris l’Union africaine et sa Commission.
Et voilà qu’aujourd’hui Monsieur Moussa Faki oublie tout cela. Mais il ne l’oublie pas en fait, car ce n’est pas ce qu’il dit dans sa déclaration. En réalité, la fameuse phrase de trop suggère que ce passé dramatique pour le Peuple burundais reste au silence, que la justice se taise à jamais, que Melchior NDADAYE et ses collaborateurs ainsi que tous les centaines de milliers de burundais massacrés à cause de la stupidité, de la cupidité et de la haine ethnique d’une dizaine de gens continuent de voir dans les cieux leurs bourreaux rire sur leurs tombes. Vérité et Réconciliation d’accord, mais justice aussi. De toute façon, les meurtriers putschistes de 1993 ne viendront jamais de leur gré se confesser devant la Commission Vérité et Réconciliation. La justice burundaise est dans l’obligation d’enquêter et de poursuivre ceux qui sont soupçonnés, afin que la vérité éclate et que justice soit faite. C’est ainsi que le Peuple burundais pourra se réconcilier avec son histoire. La plupart des malfrats sont en exil au Rwanda, en Europe, en Amérique et partout dans le monde. A l’image de Buyoya, certains ont même réussi à changer leur peau de loup rageur en celle de brebis victime d’un pouvoir oppresseur. Quelle ironie !
Buyoya et ses acolytes devraient savoir que les temps ont changé ; c’est le moment de rendre des comptes. On ne tue pas un Président élu et aimé par son Peuple ; on ne cause pas un massacre de centaines de milliers de paisibles citoyens sans être poursuivi tôt ou tard. Les mandats d’arrêt ont été établis 25 ans après le coup de sang ; c’est juste le temps d’une génération, tout un symbole. La génération au pouvoir actuellement compte bien mettre de l’ordre et dépoussiérer les sales affaires qui ont caractérisé 40 ans de dictatures sanguinaires et tribalistes.
Appolinaire NISHIRIMBERE