L’équipe de « Questions à la Une » a rencontré le prince Laurent. L’interview a eu lieu dans le bureau de ses avocats. Longuement, le frère du Roi a tenu à expliquer pourquoi l’affaire des fonds libyens le mettait en colère.
Tout part du projet qu’il a lancé en Libye. Le but : planter des arbres dans des zones arides pour empêcher le désert d’avancer. A l’époque, Mouammar Khadafi est encore l’ami de la plupart des grands de ce monde.
J’étais prêt avec ma famille à m’exiler à Tripoli
Le prince pense même bousculer totalement sa vie familiale.
« J’étais prêt avec ma famille à m’exiler à Tripoli. J’avais même trouvé un logement. J’avais trouvé un professeur d’arabe pour les enfants. Ils ont d’ailleurs commencé à apprendre l’arabe. Ils étaient ravis. »
Mais ce projet ne verra jamais le jour, l’État libyen brise le contrat. Commence alors une bataille juridique, car le Prince veut récupérer l’argent investi par son asbl. L’État libyen est condamné à lui verser 50 millions d’euros. Mais il n’en verra jamais la couleur. Aujourd’hui, Laurent de Belgique en veut au gouvernement : il estime que celui-ci aurait dû l’aider comme il a aidé d’autres entreprises dans la même situation.
« Je me sens personnellement touché, car je peux dire que tous les projets que j’ai menés ont été bénéfiques pour la communauté. Et je ne vois pas la raison pour laquelle je suis à ce point stigmatisé et écrasé. Et je vous dis je ne l’accepterai jamais »
Et c’est en menant ce combat que le Prince fait certaines découvertes.
Les milliards de Khadafi
Avant sa chute, Khadafi est un dirigeant riche, très riche. Et l’argent accumulé, il l’a investi notamment en Belgique. 14 milliards arrivent ainsi en Belgique et visiblement, aucune autorité compétente n’est au courant. Avec les intérêts, on arrive même à 20 milliards.
« Comment est-ce qu’on peut maintenir 20 milliards d’euros sous silence, s’interroge le prince Laurent. Comment est-ce que ces 20 milliards d’euros, ou une partie, peuvent sortir du territoire sans que personne ne soit au courant. Mais enfin, écoutez, c’est un territoire rêvé pour des gens qui ne rêvent que de faire du blanchiment. C’est tout. »
En mars 2011, les fonds ont été bloqués, c’est une résolution qui a été prise par l’ONU. La Belgique respecte cette résolution. Mais elle va décider, en 2012, de débloquer les intérêts. Soit 300 à 350 millions chaque année. En six ans et demi, on arrive à une somme de deux milliards d’euros. Où sont-ils passés ?
« C’est gravissime. Le rapport de l’ONU explique que cet argent est sans doute parti à des milices. Ces milices ont exécuté des gens, ont fait fuir des gens […]. Est-ce que vous imaginez que ma femme et moi nous pouvons garder ce secret sur nous ? Quel poids. »
Le Prince se pose des questions. Et il tient des propos pour le moins musclés : « Je dois vous dire que je m’attendais à être confronté à des problèmes de corruption en Libye, mais ce que j’ai connu en Belgique était pour moi… Je ne pouvais pas me l’imaginer. Je suis tombé, je dirais, sur pire encore », estime-t-il.
Sa lettre au gouvernement
Le 24 janvier dernier, le prince Laurent adresse une lettre au gouvernement. Sa démarche est peu banale : il le met en demeure de l’aider à récupérer ces 50 millions d’euros. Et s’il estime qu’il y a droit, c’est parce que le gouvernement est intervenu pour aider d’autres entreprises mais pas la sienne.
« Je suis très inquiet parce qu’il y a non seulement une volonté de nuire, de nuire à moi, de nuire à ma famille, mais de nuire à tous ceux qui me soutiennent. »
Et aujourd’hui ?
Le Prince a accepté de rencontrer une nouvelle fois notre équipe pour une promenade dans les bois, l’occasion de récolter quelques confidences.
« Je ne vous cache pas que mon grand rêve, c’est de quitter tout ce monde qui est sans arrêt envieux, qui me critique. Depuis mon plus jeune âge, je l’ai connu à l’école et, à 55 ans, je trouve ça lassant. »
« Si je me sens mal compris ? Je crois que ma vie durant, j’ai essayé d’expliquer les choses de façon ludique […]. J’aurais peut-être dû le faire de façon plus sérieuse, plus académique, mais ce n’est pas mon style. »
Voilà la version du Prince. Reste à voir quelle suite le monde politique va lui réserver.
Fonds libyens: le sp.a demande une audience supplémentaire après le reportage de la RTBF. Le député sp.a Dirk Van der Maelen appelle à la tenue d’une audience supplémentaire dans le dossier des fonds libyens après la diffusion d’une enquête sur la bataille judiciaire entre le prince Laurent et la Libye, et les 2 milliards de fonds gelés que la Belgique a débloqués.
« Après près d’un an d’actualités, 20 questions parlementaires et deux auditions, nous n’avons toujours pas de reponses sur les questions les plus pertinentes: Pourquoi a-t-il été décidé de libérer les fonds? Qui a pris cette décision? Que sont devenus ces milliards? Qui était responsable politiquement? Nous sommes totalement dans le flou », a déclaré M. Van der Maele mercredi soir.
« Je demande urgemment qu’une audience supplémentaire soit organisée en commission Finances pour enfin obtenir la transparence digne d’une démocratie. Il nous reste six semaines afin d’examiner cette questions en détails. »
Le reportage en question, diffusé sur la VRT et sur la RTBF, révèle que les fonds débloqués par la Belgique pourraient avoir été utilisés pour armer des milices libyennes.
« Le gouvernement a échoué à donner au parlement toutes les informations qui lui sont nécessaires pour vérifier que les décisions prises par le gouvernement sont conformes au droit international », poursuit-il. « D’autant plus que les Nations unies affirment être en opposition à la résolution du Conseil de sécurité et que le prince Laurent se sent discriminé. Le gouvernement se plie en quatre afin que des sociétés d’armement belges récupèrent leur argent, mais relègue le prince se débrouiller avec un arrêt de la cour d’appel qui a confirmé sa créance. »
« Y a-t-il davantage là derrière? Les déclarations contradictoires de l’ancien administrateur général du Trésor Montbaliu le laissent supposer. A-t-il agi seul ou pour le compte d’un membre du gouvernement? », s’interroge le socialiste, soulignant qu’il s’agit d’une affaire « très sérieuse à portée internationale ».
Belga – rtbf.be, Le 14 février 2019
https://www.rtbf.be/info/