Le Burundi doit la vérité sur la spoliation des biens de l’élite Hutu par l’Etat

Burundi – ARIB asbl Website – Le Burundi doit la vérité sur la spoliation des biens de lâ€â„¢élite Hutu par lâ€â„¢Etat
le 24 avril 2014

« Nous avons enfin récupéré les clefs de notre maison » !

C’est par cette phrase, que M. Alfred Ndarigumije, fils de M. Joseph Bamina [Photo] [i], Premier Ministre du Royaume du Burundi de janvier à octobre 1965, m’a annoncé la restitution de la maison familiale par le Ministère burundais de la Justice. Ce dénouement arrive après une bataille judiciaire qui aura duré trente-huit ans.

Pour justifier la spoliation de ses biens, les autorités burundaises de l’époque ont reproché, sans présenter de preuve, à M. Joseph Bamina, d’avoir trempé dans l’imaginaire Coup d’Etat du 18 octobre 1965 contre le roi Mwambutsa IV. Ce reproche, monté de toute pièce, a été appliqué à toute l’élite Hutu de l’époque. Gendarmes, parlementaires, sénateurs, membres du gouvernement et beaucoup de simples citoyens, ont été exécutés, dans ce contexte, comme Joseph Bamina, uniquement par le simple fait de leur appartenance ethnique.

La spoliation des biens leur appartenant a été décidée par l’Etat burundais et a constitué un programme de gouvernement qui a connu son paroxysme lors du génocide de l’ethnie Hutu, en 1972-1973 dont nous commémorons cette année le 42ème anniversaire. Débuté le 29 avril 1972, ce génocide a été entériné en audience publique au cours du Conseil de guerre du 6 mai 1972, présidé par le Commandant Alexis Nimubona. [Voir document en annexe : Cliquez-ici ]

M. Joseph Bamina était propriétaire, parmi d’autres biens, d’une maison érigée sur un terrain situé à Kiriri, Avenue Janvier N°55. Il l’avait achetée à la société ESTAF, une société belge établie au Burundi, spécialisée dans le domaine de l’import-export. Cette société faisait également de l’usinage du café arabica indigène et représentait la compagnie Ford Motor. A la date de son exécution le 22 décembre 1965, M. Joseph Bamina était en possession de l’acte de vente de cette maison entre lui et ESTAF. Il était également en possession de la quittance remise par le Bureau des affaires foncières pour la vérification, la passation, l’annulation de l’ancien titre et l’établissement du nouveau titre de propriété ainsi que des droits de mutations. Enfin, il était en possession du titre de propriété daté de 1963. Heureusement, sa famille est toujours en possession de tous ces documents. [Photo : Propriété de M. Joseph Bamina sise Avenue Janvier N°55 à Bujumbura]

Au cours du génocide de 1972-1973 qui a vu la disparition de trois cent mille personnes ayant en commun le fait d’appartenir à l’ethnie Hutu, les autorités de l’époque ont décidé de s’emparer des biens meubles et immeubles appartenant aux personnes disparues, précipitant délibérément leurs familles respectives dans le dénuement total.

D’après les informations recueillies récemment auprès de la famille de l’ancien Premier Ministre, en 1974, la dite maison était louée par l’Université du Burundi depuis 1966. Un avenant au contrat de bail signé le 7 février 1972 entre Madame BAMINA Thérèse, le bailleur, et l’Université Officielle de Bujumbura (U.O.B.) représentée par son Recteur, le Révérend Père Gabriel BARAKANA, a annulé l’article 3 du contrat de bail du 1 octobre 1966 et le remplaçait par un nouvel article qui décidait en substance qu’« à partir du 1 mars 1972, le loyer est fixé à 29.000 F., (vingt-neuf mille francs) par mois »

Pour l’époque, c’est une somme importante. Ce qui laisse deviner de la valeur et du confort de la maison en question.

Le 12/08/1974, le Recteur de l’Université du Burundi de l’époque a reçu une correspondance du Ministère de la justice, c’est à dire la lettre n°666/RMP.35.316/Buja avec comme objet : Immeuble appartenant à Bamina Joseph.

C’est une lettre pour le moins étonnante et ainsi libellée : « Mon attention est attirée sur le fait que l’Université du Burundi loue l’immeuble situé à Rohero : parcelle N°429 (Kiriri) appartenant à feu Bamina Joseph. Dans la mesure où cette information serait exacte et tenant compte du fait que les auteurs du Coup d’Etat du 18 octobre 1965 avaient été condamnés à des dommages-intérêts, j’ai l’honneur de vous prier de suspendre, dès réception de la présente, le payement des loyers à Dame NIYIBIZI Thérèse, veuve BAMINA et de les verser au Comptable du Ministère de la Justice jusqu’à ce qu’une décision définitive relative à cet immeuble soit prise. »

Le courrier était signé par le Procureur général de la République, M.Cyrille Nzohabonayo. Quatre mois après, c’est-à-dire au mois de décembre 1974, l’Université du Burundi est sommée de remettre les clefs de la maison à la justice.

La réaction de Mme Bamina a été immédiate. Pour elle, c’était impensable que l’Etat, dont le rôle est de protéger ses citoyens, soit dans son cas, celui qui se charge de la dépouiller sur base de rumeurs infondées, s’est-elle indignée.

C’est ainsi que le 24/01/1975, elle a adressé une correspondance au Ministre de la justice pour essayer de récupérer son bien. Deux mois plus tard, c’est-à-dire le 24 /03/1975, elle a reçu une fin de non-recevoir par la lettre N°560/220 lui adressée par le Ministre de la Justice et Garde des sceaux de l’époque, M. Philippe MINANI.

En voici un extrait : « Je vous signale que la maison que vous réclamez a été vendue en exécution du jugement RMP.35.317/BUJA rendu par le Conseil de Guerre de Bujumbura le 25 octobre 1965. Ce jugement qui n’est nullement visé par le décret N°100/314 du 26 novembre 1974 portant main levée de saisie des maisons ayant appartenu aux condamnés de l’insurrection de 1972, condamnait votre feu mari solidairement avec d’autres, à des dommages-intérêts (5.520.000 Francs) que nous sommes entrain de récupérer en faveur de nombreuses victimes de la rébellion de 1965. Je ne puis donc pas satisfaire à votre demande.

Au demeurant, je voudrais rappeler à votre bonne attention que vous avez pu cacher à la Justice des loyers de 9 ans pour la dite maison et que celle sise à Gitega n’est pas encore saisie pour des raisons d’humanité. »

Malgré de nombreuses et longues recherches, aucune trace de ce jugement n’a été trouvée non seulement pour M. Bamina ni pour d’autres personnes concernées par l’épisode du génocide de 1965.

En d’autres termes, ce jugement est sorti de nulle part jusqu’à nouvel avis.

Le même ministre de la justice a écrit en date du 4 avril 1974 à la Comptable du Ministère de la Justice, Mademoiselle Judith NIYONZIMA la lettre N° 560/177 avec pour objet : Indemnisation victimes rébellion 1965.

Dans cette lettre, il est dit : « Je me réfère à votre lettre n° 211/049/74 du 14 février 1974 relative à l’objet en rubrique. Je vous confirme la lettre n°560/83 du 20 février 1974 de mon prédécesseur. En revanche, je prie le Procureur Général qui reçoit copie de la présente de procéder immédiatement à la vente publique des immeubles appartenant aux condamnés des événements de 1965, en l’occurrence celles de BAMINA Joseph et de BUCUMI Emile. J’estime que le prix des deux maisons, suffira largement à couvrir les dommages-intérêts alloués aux victimes et qui restent à appuyer.»

De manière aussi arbitraire, la maison de M. Bucumi Emile, Président de l’Assemblée Nationale, était visée par les mêmes décisions injustifiées de l’Etat burundais que celle de M. Joseph Bamina. Mais où sont les victimes pour qui dommages et intérêts ont été versés ? De qui s’agit-il, en réalité? Nulle part dans les différentes correspondances adressées à la famille de l’ancien Premier Ministre, n’est précisée l’identité des bénéficiaires.

Le prédécesseur du ministre de la justice, M. Philippe MINANI, est M. Gabriel MPOZAGARA, qui fut Conseiller politique, juridique et diplomatique du Président Pierre Nkurunziza. M. MPOZAGARA avait donc écrit le 20 février 1974 la lettre N° 560/83 adressée à Mademoiselle NIYONZIMA Judith comptable du Ministère de la Justice à Bujumbura. Il lui disait : « Nous ne voyons pas sur quelle base juridique le dédommagement des victimes du coup d’Etat de 1965 devrait être à charge de l’Etat. Un jugement intervenu dans cette affaire a condamné les auteurs de l’infraction à payer des dommages-intérêts en faveur des victimes. »

L’Etat burundais, grand spoliateur des biens de ses propres citoyens

C’est un dénommé M. Alexandre Gashikanyi, ancien directeur de la REGIDESO, qui a bénéficié de la jouissance de cette maison. La famille Bamina ignore par quel stratagème cela a pu se faire puisqu’il n’y a pas eu d’avis de mise en vente de cette propriété. M. Gashikanyi l’a d’abord occupée avec sa première épouse, Marie-Thérèse et ensuite avec sa deuxième épouse, Madame Candide Musaraganyi. Il y a vécu jusqu’au dernier jour de sa vie. Par la suite, sa deuxième épouse a poursuivi l’occupation des lieux.

Quand la question de justifier l’installation dans la maison, sans titre de propriété ou de bail, est arrivée pour cette deuxième épouse, elle a prétendu que la maison a été régulièrement achetée à l’Etat.

Mais, de son côté, l’Etat dont on attendrait l’exemplarité, s’en est lavé les mains. Nulle part, il n’a assumé cette vente. Aucun document relatif à cette vente n’existe, pas de facture, ni n’importe quel autre papier justificatif.

Alfred Ndarigumije indique à ce propos : « Des contacts avaient été établis avec une personne travaillant au Ministère de la justice qui est allé regarder dans les dossiers et qui a constaté qu’il n’y avait aucun document de vente de notre maison, contrairement à ce que prétendait Mme Candide Musaraganyi qui, elle-même, travaillait au Ministère de la justice. Elle a tout fait pour ne pas restituer cette maison. »

Aujourd’hui, l’absence ou la possession de justificatifs de propriétés soulève la nécessité de faire la compatibilité de biens meubles et immeubles appartenant aux victimes des génocides de 1965 et 1972-1973 spoliés par l’Etat du Burundi. Il revient aux autorités burundaises de faire un état des lieux de l’ampleur des dégâts causés par ces mesures arbitraires et permettre, ainsi, de rétablir entièrement dans leurs droits les familles concernées.

La restitution de cette propriété offre l’occasion de se souvenir de l’ancien Premier Ministre. Il est important de rappeler que c’est avec beaucoup de dignité et d’abnégation qu’il a servi le Burundi. Le traitement qu’il a subi est indigne d’un Etat de qui est normalement attendu la protection de ses citoyens.

Des renseignements pris auprès de sa famille indiquent que M. Joseph Bamina est né le 15 mars 1925 à Rusha en commune de Bukeye, province de Muramvya.

Après, l’école primaire à Bukeye, le premier cycle du secondaire au Petit Séminaire de Mugera, il a poursuivi sa scolarité au séminaire moyen de Burasira. Ensuite, il a étudié au Groupe Scolaire de Butare au Rwanda, connu sous le nom d’« Astrida ». De 1945 à 1950, il était, en premier lieu, au Centre Universitaire de Kisantu, puis à Lovanium (Kinshasa) au Congo (R.D.C.). Il a obtenu un diplôme d’Ingénieur civil en Agronomie. Son parcours professionnel a été extraordinaire. Dès son retour au Burundi, jusqu’en 1954, il a été nommé Agent Territorial du Mwami. Ensuite, il a été chef de cabinet du Mwami avant d’être élu Président du Parti UPRONA, le 14 septembre 1962. Il a cumulé les deux postes jusqu’à son élection comme Président du Premier Sénat burundais le 5 août 1965. Nommé Premier Ministre du Burundi le 16 janvier 1965, le lendemain de l’assassinat de son prédécesseur Pierre Ngendandumwe, M. Joseph Bamina a été à son tour assassiné en décembre 1965 en même temps que 1600 autres congénères Hutu. [Photo : M. Joseph Bamina, ancien Premier Ministre, Président du premier Sénat burundais]

« Le roi Mwambutsa ne put le sauver en dépit des services rendus à la monarchie. Pieds nus, affamé et méconnaissable, il mourut d’une mort atroce qu’il ne méritait vraiment pas selon un auteur qui l’avait côtoyé et estimé. »[1].

Cette date marque le début de la descente aux enfers pour son épouse, Mme Thérèse Nibizi Kinyangenza et de ses six enfants : Françoise, Fidès, Jacqueline, Alfred, Evrard et Pacis. Une descente aux enfers décidée par les représentants du pouvoir de l’époque.[ii] Certaines sources situent le corps de Joseph Bamina dans une fosse commune dans la localité de Rwasazi, dans la province de Muramvya.

Le Burundi doit la vérité à ses citoyens

Un Premier Ministre n’a pas pu être jeté, dans un geste de débarras, comme pour un sac à ordures ! Qui a donné l’ordre de jeter M. Joseph Bamina dans cette fosse commune ? La Commission Vérité et Réconciliation devra rendre compte de cette question et de beaucoup d’autres, toujours sans réponses ni explications.

A la sueur de son front, M. Bamina avait acquis beaucoup de biens dont la maison située au N° 55 de l’Avenue Janvier, à Bujumbura, non loin de la résidence de Pierre Ngendandumwe, sise sur la même avenue au N°26.

Son épouse, Thérèse Nibizi Kinyangenza a multiplié les démarches jusqu’au sommet de l’Etat dans l’espoir d’être rétablie dans ses droits. Au cours de l’une d’entre elles, elle a rencontré personnellement l’ancien Président de la République, Michel Micombero,[iii] dans le but de recouvrer ce bien. L’ancien chef de l’Etat, un des responsables du génocide perpétré contre les Hutu du Burundi, et ordonnateur de la spoliation de leurs biens, n’a pas bougé son petit doigt pour apporter une solution à cette situation. Le contraire aurait été étonnant.

Alfred Ndarigumije poursuit :

« Ma mère était une femme courageuse et n’a jamais perdu espoir. A chaque changement de régime, elle a introduit les mêmes doléances pour récupérer son bien, mais en vain. Quand le Président Jean-Baptise Bagaza[iv] a pris le pouvoir le 1er novembre 1976, elle a relancé l’affaire. »

Le 12/12/1976, elle a adressé une autre correspondance au Ministre de la Justice. Cette fois, la réponse a été plus cinglante. Il lui a été signifié qu’elle avait déjà eu une réponse à ce sujet. En d’autres termes, elle devait cesser toute réclamation.

Deux ans plus tard, profitant d’un remaniement ministériel, elle a de nouveau écrit au Ministre de la justice le 12/12/1978 comme le montre cet extrait de sa correspondance : « Comme je l’ai longuement expliqué à vos prédécesseurs dans mes lettres du 26 janvier 1975 et celle du 12 décembre 1976, je ne parviens pas à comprendre comment on a saisi ma maison, ainsi que mes 380.000 Frs Bu (Trois cent Quatre-Vingts Mille francs Burundais) se trouvant à la Banque commerciale du Burundi et à la Banque de Crédit de Bujumbura. Dans la lettre N°560/220 du 24 mars 1975 que le Ministre de la Justice d’alors m’a adressée lorsqu’il a appris que les services de la Présidence s’intéressaient à mon cas, il m’a plutôt menacé au lieu de m’expliquer. Vous comprenez, Monsieur le Ministre, que les explications qu’on m’a données ne peuvent pas me satisfaire. Comment peut-on me faire croire que c’est en exécution du jugement rendu en 1965 qu’on a saisi fin 1974 une maison qui était très connue déjà en 1965 ? Puis-je expliquer à mes enfants, qui sont innocents, que la maison de leur père a été cédée à des personnes inconnues après que le Président de la République ait décidé de rendre leurs biens à toutes les familles et ce en vue de renforcer la paix sociale ? ».

Vivre au Burundi sans papiers d’identité nationale[v]

A partir de cette année-là, 1978, les autorités burundaises ont imposé à l’épouse de M. Joseph Bamina ainsi qu’à ses enfants d’avoir un permis de séjour renouvelable chaque année pour pouvoir vivre à Gitega.

Alfred Ndarigumije s’exprime :

« La vie n’a pas été du tout simple après l’exécution de mon père. Pendant des années, nous avons vécu sans documents d’identité nationale. Nous étions des étrangers sans papiers dans notre propre pays. Alors que nous étions empêtrés dans ces démarches en vue de récupérer nos biens, nous nous sommes entendus dire un jour : « Et d’ailleurs, êtes-vous vraiment Burundais ? Dorénavant, vous devrez avoir sur vous une carte de séjour » ! En quelque sorte une autorisation de séjour dans notre propre patrie. Pendant des années, nous avons été astreints à cette obligation. Nos cartes de séjour étaient signées par l’administrateur de la commune de Gitega. Conséquence de cette mesure : pendant de nombreuses années, nous n’avions pas le droit d’aller en dehors des frontières du Burundi. En réalité, nous étions en résidence surveillée. Cette mesure qui nous frappait est restée valable jusqu’en 1985. Ma mère a décidé qu’elle ne renouvellerait plus sa carte et qu’elle n’écrirait plus pour réclamer quoi que ce soit. La situation est restée ainsi jusqu’à l’avènement de la 3èmè République en 1987.

Ma sœur Françoise est décédée en 1975. La situation de dénuement et de pauvreté dans laquelle nous étions n’est pas étrangère à ce décès. Elle a été la victime collatérale des spoliations dont la famille avait été victime. Pour avoir des soins appropriés à sa maladie, il nous avait été conseillé de l’emmener se faire soigner en Ouganda. L’Etat nous avait dépouillés de tout. C’était inenvisageable de lui procurer les soins souhaités. Dans ces conditions, le décès était inévitable. L’ONG CARITAS a octroyé des fonds à ma mère pour que le voyage vers l’Ouganda puisse se faire. Elle y a été emmenée mais c’était trop tard.

L’Etat burundais, en la privant de papiers et de moyens, est responsable de sa mort !

Nous avons rencontré également beaucoup de déboires sur le plan scolaire. Des consignes, non écrites, avaient été données dans les différents établissements que mes frères et moi fréquentions de nous faire échouer systématiquement le concours de la 6ème année primaire à Gitega. Une connaissance de ma mère est venue lui dire que si elle nous maintenait à l’école à Gitega, nous n’avions aucune chance de réussir. Elle lui conseillait de nous faire changer d’établissement. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés éparpillés dans les écoles à Muyaga, à Busiga, à Kiganda et à Giheta.

Quand Pierre Buyoya est arrivé au pouvoir en 1987, la santé de ma mère a commencé à décliner. Elle s’est éteinte un mois après seulement, le 06 octobre 1987. Après le deuil et le respect de toutes les pratiques liées à ces moments douloureux, ma sœur Fidès et moi avons repris le flambeau dans la lutte pour récupérer notre maison. Le Président Buyoya, que nous avons sollicité, n’a pas fait grand-chose pour nous. Pourtant, il nous avait promis de suivre de très près ce litige. En réalité, il ne pouvait pas désavouer les décisions prises par ses prédécesseurs. Il était la continuité de la dictature Hima en place depuis 1966. Jusqu’à son départ du sommet de l’Etat en 1993, rien n’a avancé dans ce dossier, aucune mesure n’a été prise pour trouver une solution.

Pendant ses trois mois passés à la tête du pays, j’ai obtenu une rencontre avec le Président Melchior Ndadaye sur le même sujet. Malheureusement, il a été assassiné le 21 octobre 1993 et tous nos espoirs de retrouver notre bien se sont envolés. Le dossier a été gelé pendant de nombreuses années. »

La guerre consécutive à l’assassinat du Président Ndadaye a poussé de nombreux Burundais vers l’exil. Alfred Ndarigumije a fui comme nombre de ses compatriotes. La priorité était ailleurs : trouver une terre d’asile clémente et assurer le quotidien. Il est à souligner que sur ses différents chemins vers l’exil, il a toujours pris le soin d’avoir dans ses bagages le volumineux dossier de leur maison.

Ce n’est qu’à son retour d’exil que l’affaire a été relancée . Une nouvelle bataille judiciaire, longue, avec un surplus d’énergie à fournir pour récupérer un bien qui leur appartenait depuis plus de quarante ans ! Alfred Ndarigumije ajoute : « Le Président Pierre Nkurunziza nous a également reçus. Comme notre dossier était depuis longtemps au Ministère de la Justice, il nous a encouragés à poursuivre sur la voie judiciaire »

A maintes reprises, la famille Bamina s’est retrouvée devant le tribunal pour défendre sa cause face aux avocats mandatés par Madame Candide Musaraganyi, l’occupante usurpatrice.

Au cours des différentes comparutions devant les instances judiciaires de Bujumbura et pour prouver que cette maison lui appartenait véritablement, Mme Musaraganyi a sorti un faux titre de propriété établi en 1974. Par contre, elle s’est retrouvée dans l’incapacité de démontrer l’origine du document en sa possession. Elle n’a pas pu expliquer si cette maison est le fruit d’un don ou d’une vente. Tout ce qu’elle avait trouvé à dire à ce sujet est : « Ba Mpozagara barabizi » autrement dit « Les Mpozagara sont au courant ». En effet, pour rappel, en 1974, M. Gabriel Mpozagara était Ministre de la justice.

L’avocat de Mme Musaraganyi, a même affirmé un jour, dans un geste de maladresse absolu, être en possession, d’un document, signé par le Procureur général de la République. Il disait que sur ce document, M. Joseph Bamina figurait parmi les comploteurs de 1965. A la lecture de près du document, il s’est avéré que c’était un faux, élaboré de toute pièce, sur lequel, le nom de Joseph Bamina, n’était même pas mentionné.

Alfred Ndarigumije ajoute :

« Dans un pays où les Hutu étaient considérés comme des citoyens de seconde zone, il était très difficile, voire impossible de gagner un procès contre un Tutsi du moment que le ministère de la justice était exclusivement entre les mains de Tutsi. En décembre 2013, soit 38 ans après que ma mère ait saisi la justice, et pour la première fois depuis toutes ces années, enfin la justice burundaise a décidé de nous rétablir dans nos droits »

Mais, c’était sans compter avec la capacité de nuisance de ceux qui avaient décidé de faire main basse sur les biens appartenant aux personnes ayant en commun le fait d’être Hutu. Quelques jours avant la restitution de la maison, Mme Candide Musaraganyi a écrit au Ministre de la justice pour réclamer d’être entendue sur les points pas très clairs, d’après elle. Un délai supplémentaire lui a été accordé. Un fait important à relever est qu’en 2013, cette maison était louée par un Français au service de l’ambassade de France à Bujumbura. Avant de quitter la maison, il fallait respecter un préavis de trois mois pour permettre au locataire de chercher un autre logement. Il est vrai que pour une personne qui a grandi dans un pays de droit, c’était inconfortable de vivre dans un logement objet de tant de litiges et de s’accommoder d’une telle situation.

La date butoir a été finalement fixée pour février 2014.

« Au mois de février 2014, nous avons enfin récupéré les clefs de cette maison », a conclut Alfred Ndarigumije.

Combien de milliers de cas similaires reste-t-il à répertorier au Burundi ? Toutes les personnes dont les biens ont été spoliés doivent les réclamer. Le travail de réparation qui attend le Burundi est immense. Le volumineux dossier judiciaire concernant la maison de M. Joseph Bamina a fait ressortir les acteurs clés des génocides de 1965 et 1972-1973 et des spoliations éhontées qui ont suivi, entre autres M. Gabriel Mpozagara, M. Philippe Minani, les membres du Conseil de guerre du 6 mai 1972 : Jean-Baptiste Bagaza, capitaine, Nimubona Alexis, Comandant, Kazatsa Charles, S/Lieutenant, Kayibigi Bernard et Kabunda Grégoire. Beaucoup d’autres acteurs figurent également dans ce dossier. Ils doivent désormais répondre de leurs actes devant des instances habilitées.

Perpétue Nshimirimana, le 24 avril 2014

Lausanne – Suisse


[1] Le Conflit Burundais . Les coups des années 60. Laurent Kavakure. Editions du Centre Ubuntu (p. 158)

[i] « BAMINA, Joseph. Un Hutu né d’un important lignage et marié à une Tutsi. Il est né autour de 1925. Il a effectué ses études secondaires au Grand Séminaire (Burasira) et ensuite à l’Université de Lovanium, dans l’ancien Congo Belge (maintenant Kisantu). Il était profondément attaché à la monarchie burundaise, puisque né dans une famille Hutu de haut rang. Il a été un membre actif de l’UPRONA et est devenu son président en septembre 1962. Il a occupé la place de conseiller auprès du Prince Rwagasore et s’est retrouvé le seul candidat de compromis accepté par les ailes Tutsi et Hutu après la mort du Prince quand Paul Mirerekano et André Muhirwa se sont disputés la présidence du parti. En 1961, il a été élu député de l’UPRONA à l’Assemblée nationale. Au cours de la session de l’Assemblée de 1963, il était en faveur de la candidature de Muhirwa pour la présidence de l’institution. Bamina a été réélu au Parlement en 1965 comme Sénateur et a été élevé au titre de Président du Sénat. Il a été nommé Premier ministre après la mort de Pierre Ngendandumwe, au début du mois de janvier mais son gouvernement a été révoqué le 30 mars pour permettre à tous les ministres de participer à la campagne électorale parlementaire. Durant l’année 1965, il était étroitement attaché à la revendication des droits pour les Hutu et a été arrêté après la tentative de Coup d’Etat et la révolte de 1965. Il a été exécuté à Muramvya (en décembre), lieu où 1600 Hutu ont été tués. C’est durant l’exercice de Bamina en tant que Premier Ministre que l’ambassade de Chine a été fermée et ses représentants expulsés.

Source : Traduction libre de la notice de Historical Dictionnary of Burundi, Warren Weinstein, 1976

[ii] (…) En janvier 1965, Pierre Ngendandumwe était assassiné par un réfugié rwandais. La réaction gouvernementale, loin d’être celle escomptée par les représentants de l’UNAR, ne tarda pas. Le dossier du transfert en Tanzanie revint à l’ordre du jour et les fouilles de l’armée se multiplièrent au sein des camps. Le 30 janvier 1965, les autorités burundaises annoncent la saisie de plus d’une tonne d’armes et de munitions dans le camp de Murore et l’arrestation de 35 personnes. Les investigations s’arrêtèrent cependant sur cette découverte par peur de susciter des troubles parmi les réfugiés rwandais. Toutefois, pour le nouveau Premier ministre, J.Bamina, il ne fait aucun doute que les réfugiés de Bujumbura et de Murore doivent désormais être contrôlés. Deux options s’offraient alors à lui : le transfert en Tanzanie ou l’ouverture d’un quatrième camp, il choisit la seconde et autorisa la construction du centre de Mugera en province de Ruyigi (arrondissement de Cankuzo) à proximité de la frontière tanzanienne. Cette localisation, « au pays des sorciers et des empoisonneurs », traduisait en fait la volonté du gouvernement d’isoler les réfugiés, à la fois du Rwanda, amis aussi, paradoxalement, du Burundi et de ses populations.

Le Fonds Mwambutsa précise dans son rapport d’activités de 1965, on ne peut plus clairement, les motifs ayant présidé au choix de cette zone : « L’inexistence du problème foncier grâce à la faible densité de la population nationale(…) l’éloignement de la frontière rwandaise et les difficultés d’accès. »

Quelques semaines plus tard, J.Bamina compléta cette décision par la promulgation d’un arrêté ministériel règlementant le séjour des réfugiés rwandais sur le territoire burundais. En substance, cet arrêté conférait à l’administration, via la délivrance d’attestation de « résident régulier » la possibilité de contrôler la domiciliation des réfugiés.

« Article 3. Une attestation de « Résident régulier » sera délivré aux Rwandais dont il est question à l’article deux du présent arrêté ministériel, ainsi qu’aux réfugiés rwandais dont la situation est conforme aux règles stipulées à l’article premier du présent arrêté qui répondent aux critères énoncés ci-après :-les réfugiés rwandais liés par un contrat d’emploi conforme à la législation en vigueur en la matière, ;-les réfugiés exerçant une occupation lucrative honnête et dont les revenus sont suffisants pour couvrir les besoins de leur famille ;-les élèves inscrits fréquentant régulièrement le cycle secondaire ou supérieur d’une institution au Burundi ;-(…) Article 5. -Les Gouverneurs de Province peuvent obliger les Rwandais non-munis d’une attestation de « Résident régulier à habiter dans un lieu déterminé ou leur interdire l’accès à la localité, commune ou arrondissement de leur province et même les contraindre à quitter le Territoire du Burundi. » En d’autres termes, les réfugiés ne possédant pas les attestations de « résident régulier » étaient dans l’obligation de rejoindre le camp de Mugera. Cet acte administratif fut néanmoins de portée relative puisque très rapidement de fausses attestations fuirent revendues à Bujumbura pour ceux ne souhaitant pas quitter la capitale(…)

Source : Arnaud Royer. De l’Exil au pouvoir, le destin croisé des réfugiés burundais et rwandais dans la région des Grands Lacs africains depuis 1959. Université de Paris I Mars 2006.

[iii] Président du Burundi de 1966 à 1976

[iv] -Jean-Baptiste Bagaza, Capitaine, Juge, membre du Conseil de Guerre du 6 mai 1972 en compagnie de Nimubona Alexis, Comandant, Président, Kazatsa Charles, S/Lieutenant, Juge, Kayibigi Bernard, Officier du Ministère Public et Kabunda Grégoire, Greffier assumé.

Tiré de : LE CONSEIL DE GUERRE EN MATIERE REPRESSIVE A RENDU LE JUGEMENT SUIVANT : AUDIENCE PUBLIQUE DU 6 MAI 1972.

 Jean-Baptiste Bagaza, Président du Burundi de 1976 à 1987

[v] Cfr L’attestation de « résident régulier » appliqués aux réfugiés rwandais en janvier 1965.