Fin de guerre ou affrontement russo-usaméricain en Syrie ?

Une négociation à haut risque est prévue entre Russes et Usaméricains à l’ONU fin septembre. La guerre est une malicieuse : l’État syrien a la mauvaise grâce de ne pas s’effondrer, et les « rebelles » de se révéler des djihadistes barbares et égorgeurs.

L’adage qui veut qu’il soit facile de commencer une guerre mais difficile de la terminer se vérifie en Syrie. La chute de Bachar al-Assad était une question de semaines, serinaient avec aplomb l’occupant du Quai d’Orsay et une brochette d’oracles de moindre pointure. La guerre, toutefois, est une malicieuse : l’État syrien a la mauvaise grâce de ne pas s’effondrer, et les « rebelles » épris de liberté, le mauvais goût de se révéler des djihadistes barbares et égorgeurs. Chemin faisant, le moulin à rêves de la « communication » se grippe, cédant la place au cauchemar : le monstre à la Frankenstein est hors de contrôle, en passe même de faire un mauvais sort aux géniaux stratèges et autres apprentis sorciers qui l’ont couvé. Naissent aussi le premier foyer du terrorisme mondial et le modèle pour la perpétration d’abominations sur tous les continents.

L’objectif non déclaré de cette guerre nouveau genre est de faire capoter l’alliance Iran-Syrie-Hezbollah en lui retirant sa pièce maîtresse, le pilier syrien. Non seulement le but n’est pas atteint, mais les États-Unis, chefs de file de la coalition antisyrienne, mettent en veilleuse leur politique anti-iranienne. L’accord du 14 juillet ouvre enfin des perspectives de règlement, mais le chemin est hérissé d’obstacles.

Inquiétudes russes

Depuis le début en 2011, les Russes le cherchent car il en va de leur sécurité, impérieuse réalité. La Russie est la cible ultime de l’incendie allumé sur sa périphérie. La Syrie constitue son point d’appui en Méditerranée, et une rupture de l’alliance Iran-Syrie-Hezbollah serait autant d’avancées de l’OTAN sur son flanc sud.

S’ajoute enfin le facteur djihadiste qui vise la Russie au premier chef. Après la Syrie, elle est le prochain pays à déstabiliser. Les djihadistes originaires de la Russie se font la main en Syrie et en Irak, et l’on dit que la langue de travail au quartier général du « califat » est autant le russe que l’arabe. La Russie a tout intérêt à anéantir les djihadistes au Moyen-Orient afin de ne pas les rencontrer chez elle.

Une coalition pour quoi faire ?

Telle n’est pas la politique des États-Unis. La coalition américaine se limite à endiguer le « califat », l’empêchant de se répandre en territoire interdit mais lui laissant la voie libre en Syrie. Les colonnes de camions et de pick-up de Daesh qui ont pris Palmyre le 21 mai ont circulé à découvert en plein désert sans être inquiétées par l’US Air Force. En clair, les États-Unis comptent sur les djihadistes comme levier et atout en Syrie, plus tard en Russie.

Purement aérienne, la coalition américaine ressemble, au mieux à une gesticulation, au pire à un écran de fumée pour une future campagne de bombardement contre la Syrie. La guerre évitée en septembre 2013 serait déclenchée sous un nouveau prétexte. Et ce n’est pas la déclaration du 25 août du président français sur la priorité de la « neutralisation » de Bachar al-Assad qui dissipe les soupçons. Rongeant son frein depuis 2012, Hollande annonce l’envoi d’avions en Syrie en 2015, à l’instar de ce qu’il a fait au Cameroun. Les deux disent vouloir cibler les djihadistes de leurs pays, plaisanterie qui renforce la suspicion sur le véritable motif.

Initiatives russes et ambiguïtés US

L’accord irano-usaméricain signé, la Russie s’affaire à constituer une coalition qui éradiquerait les djihadistes par une opération terrestre, seul moyen d’en finir. La priorité est à la lutte contre le djihadisme, associée à une intégration au pouvoir de l’opposition politique, des élections et une conférence de paix régionale. Le 17 août, le Conseil de sécurité de l’ONU approuve un plan de paix comprenant un processus politique menant à une transition. Sollicités par la Russie pour se joindre à une coalition comprenant la Syrie et l’Iran, Turcs et Saoudiens se récusent, soutenus par les Américains, les trois réclamant d’abord ou en même temps le renversement du gouvernement syrien.

Le djihadisme aurait de beaux jours devant lui. À qui d’autre la coalition occidentale ferait-elle appel ? La fantomatique armée de « modérés » que les États-Unis dépensent 500 millions à former compte en tout et pour tout cinq combattants, chiffre qui tient de la comédie. Du coup, le scénario qui pointe est « libyen » : bombardements aériens occidentaux en lien avec les djihadistes au sol.

À aucun prix une telle issue n’est envisageable pour la Russie. La tentative de collaborer n’ayant pas porté ses fruits, il lui reste l’intervention par elle-même. Le renseignement américain exagère à dessein le renforcement de la présence militaire de la Russie. Mais celle-ci n’est pas mécontente de témoigner, en guise d’avertissement, être disposée à joindre l’acte à la parole.

Restent ouvertes deux options : un accord Us-russe qui permettrait d’annihiler les djihadistes par des opérations terrestres et de mettre fin à la guerre, ou un coup de main occidental contre la Syrie, entraînant une réaction russe. Une négociation serrée et à haut risque est prévue entre Russes et Usaméricains à l’ONU fin septembre.

Samir Saul pour Le Devoir

*Samir Saul Professeur d’histoire à l’Université de Montréal et chercheur au CERIUM
Le Devoir. Montréal, Quebec, le 23 septembre 2015

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