Pas de place pour la critique du Rwanda

Cette semaine, le président du Rwanda, Paul Kagame, a accepté de participer à une interview sur France 24 en compagnie du commissaire de l’Union européenne chargé du développement pour discuter des efforts mis en œuvre par son pays en vue d’éradiquer la pauvreté.

Mais la conversation – qui se déroulait en marge du forum « European Development Days », organisé par la Commission européenne – s’est vite animée. Face aux questions incisives d’une journaliste indépendante, l’inconfort de Kagame était visible. Et quand il a été prié de commenter un rapport de l’UE de 2018 faisant état de « graves violations des droits civils et politiques » au Rwanda, son ton est devenu carrément hostile.

Kagame a rejeté le rapport, le qualifiant de « ridicule », et a écarté des questions relatives aux détracteurs de son régime qui ont été tués, agressés physiquement, emprisonnés, réduits au silence ou contraints à l’exil lors de la période ayant précédé l’élection présidentielle de 2017. Nos propres recherches indiquent que les exécutions sommaires, les disparitions forcées, les arrestations et détentions illégales, ainsi que les actes de torture restent fréquents au Rwanda. À un moment, il a accusé ceux qui expriment des préoccupations au sujet des violations des droits humains de souffrir d’un « complexe de supériorité ».

Le Rwanda est souvent vanté comme étant un modèle pour le continent, sur la base de ses politiques audacieuses de développement. Le gouvernement, formé par un ancien groupe rebelle, a pratiquement reconstruit le pays depuis qu’il a mis fin au génocide de 1994.

Mais récemment, la décision du gouvernement rwandais de dépenser des centaines de millions pour construire un nouveau centre de conférences et pour parrainer Arsenal, le club de football de Premier League britannique favori du président a fait sourciller les détracteurs.. De plus, de récentes recherches académiques et des rapports faisant état d’une augmentation de la pauvreté et du taux de malnutrition infantile élevé sont venus remettre en question les impressionnantes statistiques de croissance du pays, qui reste dépendant de l’aide internationale.

La liberté d’expression – ou la liberté de critiquer le gouvernement ou le parti au pouvoir – a été sévèrement réprimée au Rwanda. Et pourtant une presse libre et un libre accès à l’information sont essentiels pour atteindre des objectifs en matière de développement et pour demander des comptes aux gouvernements.

Pour cette raison, les sociétés pacifiques et justes – bâties sur le respect de droits humains universels et indivisibles – sont indispensables à la réalisation des objectifs de développement de l’ONU.

Si le Rwanda désire sérieusement montrer la voie vers un développement durable, son gouvernement devrait accorder sa place au débat et à la critique, plutôt que choisir quels droits il veut défendre tout en réprimant les autres.

https://www.hrw.org/fr/news/2019/06/27/pas-de-place-pour-la-critique-du-rwanda

Lewis Mugde, Directeur, Afrique centrale, HRW