A la surprise générale, le président de la Commission de l’Union africaine, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, s’arroge le droit de prendre unilatéralement position sur la question de la réforme de la Commission électorale indépendante (CEI) en Côte d’Ivoire. Et ce, au moment où cette question, qui préoccupe non seulement les Ivoiriens mais aussi la communauté internationale, est pendante devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.
Ladite Cour, dit-on, doit se prononcer sur la conformité de la nouvelle loi promulguée par le président Alassane Ouattara avec les exigences démocratiques consignées dans son Arrêt adressé au gouvernement ivoirien en date du 18 novembre 2016. Sur saisine de l’Action pour la protection des droits de l’homme (APDH), une structure de la société civile. Cette prise de position du président de la Commission de l’UA pèche aussi bien par la forme que par le fond.
Pour ce qui est de la forme, ce dossier relatif à la réforme de la CEI étant encore sur la table de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, une juridiction de l’Union africaine qui avait adressé un Arrêt à la Côte d’Ivoire aux fins d’une réforme en profondeur de la CEI, il apparaît inopportun et maladroit pour un responsable de l’Ua, fût-il le premier animateur, de se prononcer sur cette question avant même que ne statue la juridiction compétente. «Une déclaration rapide et suspecte», selon Anaky Kobena
Cette maladresse n’échappe d’ailleurs pas au président du « vrai Mfa », Innocent Anaky Kobena qui, lors de la tribune « Fauteuil blanc du Nouveau Réveil » du 20 août dernier, n’a pas manqué de dénoncer le caractère « rapide et suspect » de cette déclaration de M. Moussa Faki Mahamat. M Anaky va plus loin pour faire observer : « On peut rappeler à M. Moussa Faki Mahamat que très souvent, des guerres sont venues de décisions d’organisations qui avaient l’air d’être très bonnes en droit. Dans cette affaire de Cei en Côte d’Ivoire, (…) ce n’est pas là où il se trouve à Addis- Abeba qu’il peut en évaluer la légitimité ».
Dans le fond, la déclaration pèche également en ce sens que le président de la Commission de l’Ua salue la mise en place de la nouvelle Cei qu’il trouve consensuelle là où l’opposition ivoirienne et les principaux mouvements de la société civile, dans leur grande majorité, rejettent cette loi adoptée dans la précipitation comme pour faire le lit d’affrontements lors des élections de 2020.
Si Moussa Faki Mahamat avait voulu faire une déclaration objective et impartiale, il n’avait qu’à se référer à la position de la Cedeao. Dont le Conseil de médiation et de sécurité, lors de sa 42ème session ordinaire tenue le 24 juin à Abuja, exhortait « les autorités et les acteurs politiques ivoiriens à poursuivre le dialogue en vue de maintenir la stabilité du pays en prélude aux élections présidentielles de 2020 ». Une exhotation faite à la suite du blocage des négociations qui devaient aboutir à la mise en place d’une Cei consensuelle, indépendante et impartiale. Une manière diplomatiquement incorrecte.
En faisant fi de la position de la Cedeao, contrairement aux usages en la matière, pour se donner en spectacle de manière diplomatiquement incorrecte, le président de la Commission de l’Ua rappelle aux Ivoiriens ce à quoi ils sont le plus habitués chaque fois que M. Alassane Ouattara est en conflit avec les autres acteurs politiques en Côte d’Ivoire, à savoir le parti pris manifeste de certains acteurs internationaux en sa faveur.
Souvenons-nous, en effet, du faux débat qui avait eu lieu à propos du concept « d’ivoirité » monté en épingle en son temps par la presse internationale et certains Etats comme une manière de faire obstruction à Alassane Ouattara dans sa volonté de se porter candidat à la présidentielle de 1995.
Souvenons-nous, également, de toute la conspiration diplomatique qui s’était abattue sur le président Laurent Gbagbo lors du second tour de la présidentielle de 2010 avec à son comble le bombardement de sa résidence avec la complicité de l’armée française avant de le capturer et le déporter à la Cpi. Il était aux prises avec le même Alassane Ouattara.
Souvenons-nous, en outre, du silence coupable de la communauté internationale depuis que le régime Ouattara pratique, au vu et au su de tous, le très ridicule « rattrapage ethnique » dans l’accès des Ivoiriens aux emplois publics. Tout porte à croire que désormais seuls les ressortissants d’une région du pays sont à même d’occuper les responsabilités administratives.
Chose qui foule aux pieds le sacro-saint principe de l’égalité de chance pour tous les citoyens face aux emplois (cf l’article 14 de la Constitution de la IIIème République qui stipule : « Toute personne a le droit de choisir librement sa fonction ou son emploi. L’accès aux emplois publics ou privés est égal pour tous en fonction des qualités et des compétences. Est interdite toute discrimination dans l’accès aux emplois ou dans leur exercice, fondée sur le sexe, l’ethnie ou les opinions politiques, religieuses ou philosophiques ».
L’acte de Moussa Faki Mahamat est loin d’être anodin aucune voix ne s’est élevée jusque-là pour dénoncer le « rattrapage ethnique » alors que s’il s’était agi d’un autre acteur politique ivoirien qui s’adonnait à cette pratique, on aurait entendu les vociférations et autres condamnations des gendarmes du monde. Et que dire des nombreuses atteintes aux libertés publiques et aux normes démocratiques sous ce régime ? Personne n’en parle au plan international.
Souvenons-nous, enfin, de toute la bataille honteuse qui a eu lieu lors de la 45ème session de l’Assemblée parlementaire de la francophonie (Apf) qui, contre toute attente, s’est soldée par la mise à l’écart de l’ancien président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, M. Soro Guillaume, et ses partisans au profit de l’actuel président du parlement, Amadou Soumahoro, militant du Rhdp. Et ce, en violation des textes régissant cette institution dont d’aucuns se plaisaient à dire qu’elle est un creuset de la démocratie.
L’acte que vient de poser le Tchadien Moussa Faki Mahamat est loin d’être anodin. C’est un signe avant-coureur de la vaste conspiration à laquelle les Ivoiriens, notamment l’opposition et la société civile, devront s’attendre dans le bras de fer qui les oppose au régime en place. Et dont le paroxysme sera en 2020 lors de la présidentielle pour laquelle le RHDP-RDR se dit déjà vainqueur. Toute chose que M. Anaky Kobena qualifie de « chimère totale et mortifère pour la Côte d’Ivoire ». Affaire à suivre, dirait l’autre.
Abel Doualy – afriksoir.net