Au moment où, à Kampala s’ouvrent de difficiles négociations entre le gouvernement burundais et des représentants de l’opposition, le professeur Filip Reyntjens (Université d’Anvers) rappelle les enjeux du conflit qui déchire le Burundi depuis des mois et il évalue les chances d’une solution négociée.
Puisque le conflit est né du fait que le président Nkurunziza a été reconduit pour un troisième mandat, il faut reconnaître que le président ougandais Museveni, au pouvoir depuis 1986, n’est pas le mieux placé pour mener une telle négociation…A cela s’ajoute le fait que les interlocuteurs du gouvernement sont aussi divers que divisés ; qui va dialoguer avec qui ? On ne sait pas exactement qui fait partie de la nouvelle rébellion, le Forebu (Forces républicaines du Burundi) dont la création vient d’être annoncée tandis que le Cnared, (alliance regroupant des partis politiques et des membres de la société civile) est encore assez flou et l’un de ses membres, Alexis Sinduhije, a été placé sur une liste noire par les Américains…
Face à ses interlocuteurs le gouvernement a l’avantage du pouvoir : il veille à maintenir les apparences de la normalité, affirme qu’à part quelques quartiers de Bujumbura le pays est en paix, que les institutions fonctionnent… C’est en position de force que les autorités s’engagent dans la négociation…
Quelle est la cause d’un tel gâchis ?
Tout a commencé lorsque le CNDD, le parti au pouvoir, a décidé de présenter le président sortant, Pierre Nkurunziza, comme candidat aux élections afin qu’il obtienne un troisième mandat. N’importe quel autre candidat proposé par le parti aurait été élu sans que se pose la question de la légitimité. Il y a eu une interprétation spécieuse de la Constitution : si on a pu discuter des modalités du scrutin (suffrage indirect d’abord puis suffrage direct) la limitation du nombre de mandats à deux n’a jamais fait aucun doute. L’interprétation que donne le régime ne tient pas la route…
Pourquoi une telle opposition au Burundi, alors que dans la région, d’autres présidents changent la Constitution pour rester au pouvoir ?
Paradoxalement, le Burundi est peut-être victime du fait que dans ce pays, les progrès démocratiques avaient été plus évidents qu’ailleurs : la presse était plus libre, les partis d’opposition existaient, la société civile se montrait active…
Au Rwanda, tout ceux qui oseraient s’opposer à une prolongation du pouvoir du président Kagame risqueraient une arrestation immédiate. Qui peut croire que tous ceux qui ont répondu « oui » au récent referendum constitutionnel au Rwanda n’étaient pas, aussi, poussés par la peur ? Cela étant, ce qui a également joué au Burundi, ce sont les problèmes de gouvernance ; la corruption du régime Nkurunziza a aiguisé le désir de changement.
Cela étant, les Etats Unis sont le seuls à faire preuve de sévérité, même à l’égard du Rwanda, ils ont protesté, ce qui, à l’avenir, pourrait jouer sur le niveau de l’aide et sur le soutien politique.
En réalité, dans la région, il n’y a que le Burundi qui coince. Pour tous les autres, la prolongation au pouvoir, cela passe : au Congo Brazzaville le président Sassou va dépasser la barre des 70 ans, au Rwanda la Constitution va être modifiée. Ne parlons pas du président dos Santos, au pouvoir en Angola depuis 1976, ou de Robert Mugabe au Zimbawe. Au Burkina Faso, si le président Compaoré n’a pas réussi à rester au pouvoir c’est parce qu’il y a dans ce pays une longue tradition de mobilisation syndicale, une forte conscience politique.
Les craintes d’une guerre civile, voire d’un nouveau génocide, sont elles fondées ?
La population n’a certainement pas envie de s’engager dans une telle violence, personne n’en veut. Le régime tente d’ethniciser le conflit, d’opposer Hutus et Tutsis mais jusqu’à présent cela ne marche pas ; aussi bien au sein du parti au pouvoir que dans l’opposition au régime, les groupes ethniques sont mélangés. Cel a étant, si un mouvement rebelle venu du Rwanda lançait une attaque, on pourrait craindre pour la survie des Tutsis du Burundi qui, comme au Rwanda en 1990, seraient qualifiés de « complices ». Cela modifierait aussi la donne régionale…
A propos du Burundi, la région est- elle divisée ?
Même si la Tanzanie a changé de président et que Magufuli n’est pas Kikwete, il y a un axe Bujumbura Dar es Salaam… Si le Rwanda devait soutenir une nouvelle rébellion, la Tanzanie ne resterait pas inactive, ni même le Congo…C’est un scenario catastrophe…
La force de 5000 hommes que l’Union africaine souhaite envoyer au Burundi a-t-elle une chance de débarquer à Bujumbura ?
Très faible. Pour des raisons évidentes ni le Rwanda ni la Tanzanie ne participeront à cette force, et si le Burundi n’est pas d’accord, la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est ne pourra rien faire. Or à Bujumbura c’est très clair : dès le premier jour, les deux chambres du Parlement ont dit non à cette « force d’invasion » et l’armée burundaise a les moyens d’empêcher tout atterrissage non désiré à Bujumbura…
Donc, puisque cette force ne viendra probablement pas, il ne restera qu‘une solution, négocier, envers et malgré tout…
Filip Reyntjens et la crise burundaise