Kidnappée puis séquestrée dans la journée du 30 juin, par miracle, Maître Niyokindi a été épargnée par ses ravisseurs. Depuis, toute sa famille craint pour sa sécurité. Traumatisée, la famille demande aux autorités d’arrêter les auteurs et les complices de cet enlèvement.
Le cœur qui bat la chamade au moindre bruit, une voix étranglée, à peine audible, sans cesse se tordant de douleurs du dos…A première vue, c’est une dame traumatisée, encore sous le choc de la terrible épreuve endurée. « La nuit, il lui arrive de crier, se démenant comme s’il elle est en train de se débattre avec des adversaires invisibles », raconte son mari.
Une semaine après son relâchement, le mari confie qu’il est difficile pour son épouse de tenir debout plus de cinq minutes. « C’est sans parler de la peur qu’elle ressent quand elle est seule dans la chambre ». Elle demande avec instance, qu’une personne reste à ses côtés, sans oublier toute la maison qui doit rester fermée. L’avocate est une personne ébranlée. Pire, d’après son mari, ce traumatisme se répercute sur les enfants. « Sur leurs visages, se lit une peur sans nom. Bizarrement, ça fait des jours qu’ils ne sortent plus jouer avec leurs amis », raconte le chef de famille. Il aimerait que les autorités fassent feu de tout bois pour que les auteurs et leurs complices soient arrêtés et traduits devant la justice. « Sinon, ne nous pourrons jamais dormir tranquilles ».
Une affaire foncière qui tourne à un « meurtre prémédité »
En avril 2020, Mme Niyokindi, avocate au barreau de Bujumbura est approchée par Domitile Niyonzima. Elle est ressortissante de la commune Mubimbi. « Je venais de gagner un procès rétablissant dans leurs droits des orphelins dont les biens commençaient à être spoliés par leur famille adoptive. Et par l’entremise d’une connaissance, Mme Niyonzima m’a demandé que je l’aide. C’était un procès foncier l’opposant à une de ses parentés.
Ami de longue date avec la famille de Mme Niyonzima, sa connaissance l’a rassurée qu’elle ne devait rien craindre quant au paiement de ses honoraires.
Après la 1ère comparution, confie-t-elle, ma cliente m’a donné la 1ère tranche. L’autre tranche restante ne devant intervenir qu’après le prononcé du jugement. Par plus d’une fois, Me Niyonzima se rend au Tribunal de résidence de la commune Mubimbi. « Un sacrifice sans nom. Enceinte, pour y arriver, je devais prendre une moto ».
Après un procès sans incident majeur, la pomme de la discorde surgit après le prononcé du jugement. « En dépit de mes efforts, des sacrifices consentis, elle m’a fait savoir qu’elle n’avait pas été satisfaite du jugement rendu. Chose normale, quand on sait que l’on peut faire appel ».
Pire, poursuit-elle, c’est qu’en plus des menaces de mort, des injures comme quoi, j’aurais influencé le juge président pour qu’il tranche en faveur de la partie adverse, elle m’a signifié qu’elle ne me paiera pas la tranche restante de mes honoraires.
« Fort heureusement, sans ma signature sur la copie du jugement, elle ne pouvait pas faire appel ».
L’enlèvement
D’habitude dynamique, dans cette matinée du 30 juin, témoigne son mari, elle s’est réveillée un peu moribonde. « Elle n’a pas cessé de me dire qu’elle ne se sentait pas bien ». Au lieu d’aller vaquer à ses activités normalement, il fait savoir que ce jour-là, elle est allée rendre visite à sa mère. « Jusque vers 9h30, elle s’y trouvait encore. Ce n’est que vers 10 h qu’elle s’est résolue de faire un petit saut en ville pour remettre de l’argent qu’elle devait à une amie». D’après son conjoint, au moment où elle s’apprête à rentrer son téléphone a sonné. A l’autre bout, une personne du nom de « Stéphane », un collègue.
Toutefois, Mme Niyonkindi soutient qu’après avoir décroché, elle s’est demandé si c’était bel bien la voix de Stéphane. « Sa voix m’était familière, intriguée, j’ai posé la question. Il m’a répondu qu’il était quelque peu grippé. » Dans la foulée, il m’a dit qu’il avait un message urgent. Il fallait que l’on se voie à la hauteur du boulevard Ngendandumwe. « Une insistance qui m’a quelque peu troublé ».
Puis, je me suis souvenue qu’il y a une affaire que je lui avais filée et je me suis dit : « Peut-être qu’elle serait bien bouclée et qu’il voudrait me remercier ».
A ce moment, il est aux environs de 11h. Je suis allé au rendez-vous. « Une fois arrivée à la hauteur des arbres bordant la Clinique Prince Louis Rwagasore, il m’a encore téléphoné, me demandant de faire vite parce qu’il est mal garé ». L’avocate raconte qu’à peine après avoir dépassé la clinique, deux personnes sont passées derrière elle pour la pousser dans la voiture, avant de couvrir sa tête d’une cagoule. « Arracher mon sac à main a été un de leurs premiers gestes ». Par chance, relate-t-elle, tellement focalisés sur mon sac à main, ils n’ont pas vu que j’avais un autre téléphone dans les mains.
Le temps de discuter de la direction à prendre, s’il fallait me tuer sur le moment ou s’il faut attendre la tombée de la nuit…La tête baissée, j’ai pu vite envoyer un texto à mon mari: « Prenez soin de mes enfants, nous ne nous reverrons plus !». Aussitôt, son mari l’a rappelé et ils ont entendu le téléphone vibrer. Pris de panique, ils ont commencé à s’invectiver comme quoi leur plan a déjà foiré. « Inconsciente durant un long moment, j’ai retrouvé ma conscience, un peu tard ».
Le coup du destin
Son mari témoigne que c’est grâce à ce téléphone qu’il parviendra à localiser les déplacements de ces malfaiteurs.
Juste après avoir alerté les forces de l’ordre, le mari confie que ces ravisseurs lui ont envoyé un texto avec le cellulaire de sa femme. Il disait : « Adieu, vous ne la reverrez plus ! Une minute après, le téléphone était éteint ».
D’après les relevés téléphoniques, à cet instant, les ravisseurs se trouvaient aux environs de Muramvya.
En cours de route, Mme Niyokindi se souvient qu’elle s’est réveillée au moment où ils étaient en train de se chamailler : « Ils ne s’entendaient pas s’il fallait que je sois tuée à Muramvya ou Tenga. Finalement, ils ont opté pour Tenga. »
Abattue, à peine pouvant se tenir debout, elle raconte que lorsqu’ils y arrivent, il fait déjà tard. « La nuit est perceptible même cagoulée. Nous marchons longuement dans ce qui semble une petite forêt. Tout en récitant ma prière, dans mon for intérieur, je me suis dit que mon heure avait sonné ».
Toutefois, plus les heures avancent, plus ses ravisseurs ne parviennent pas à s’entendre. Ils se demandent s’il faut la tuer ou pas. Recroquevillée dans un coin, l’avocate est rongée par le froid de la nuit.
« Pris de pitié, un des ravisseurs s’avance vers moi pour me donner une banane. » Coup de destin ou pas, au moment où ce dernier lui enlève la cagoule pour lui donner le fruit, ce dernier l’a demandé : « Ne serais-tu pas native de Musaga? » Toute tremblante, j’ai répondu : « Oui !».
Furieux, il s’est retourné vers ses amis, en criant: « Nous sommes cuits ! La femme, je la connais! Si jamais, vous optez de la tuer, vous allez faire le sale boulot seul. »
Pris de panique, ils se sont tous rués vers elle. « La question était de savoir de quelle nature était le contentieux entre moi et Mme Niyonzima Domitile, la commanditaire ». De fil en en aiguille, précise -t-elle, je leur ai expliqué que la cause du différend n’était que la somme de 300 mille BIF représentant la tranche restante du montant dû de mes honoraires. A leur grand étonnement, une situation aux antipodes du portrait de la criminelle qu’elle avait décrit de moi.
Après quelques minutes, la personne qui m’avait reconnue est revenue vers moi pour m’annoncer que je ne serais pas tuée.
Pour eux, l’instant choisi pour prendre la poudre d’escampette. « Ils ont ajusté ma cagoule et m’ont ordonné de m’agenouiller et de ne pas me retourner avant 5 minutes ».
Quand elle a ouvert les yeux, elle a suivi le chemin d’une petite ruelle. « Fort heureusement, elle bifurquait sur une route principale ». Grâce à l’aide d’un petit garçon, tenancier d’une boutique dans le coin, elle parvient à se rendre au poste de police de Rubirizi. Son chef se chargera d’annoncer la nouvelle à sa famille qui viendra la récupérer dans la matinée du 1er juillet.
Une implication des forces de l’ordre saluée
Son mari salue l’implication des forces de l’ordre. « A tous les échelons, les autorités se sont mobilisées. Du service de renseignement en passant par la CNDHI, la police, tous se sont activés sans relâche ». Selon lui, une implication sans laquelle l’irréparable aurait été commis. Transférée d’urgence à l’hôpital des Médecins Sans Frontières, son mari raconte que petit à petit, elle recouvre la santé. « Mis de côté les douleurs du dos, elle arrive à manger, elle reconnaît tout le monde…». Toutefois, il dit craindre pour leur sécurité.
Selon Jacques Nshimirimana, commissaire à la CNIDH, une action est déjà entreprise. « Sous peu, ils seront mis sous protection. » Et de tranquilliser : « Les enquêtes sont déjà en cours ».
D’après des sources dignes de foi, deux des quatre ravisseurs auraient déjà été appréhendés. Une information que la police n’a pas voulu commenter, sous peine de « fausser les enquêtes ».
Quant au bâtonnier de Bujumbura, il indique avoir déjà déposé une plainte contre X à la police judiciaire. Selon Me Jean de Dieu Muhuzenge, cette action permettra d’accélérer la procédure judiciaire et de rétablir dans ses droits Me Yvette. Signalons que depuis l’incident Domitille Niyonzima,la commanditaire, reste introuvable.
Par Hervé Mugisha