Parmi les priorités de la nouvelle garde des sceaux figure le désengorgement des prisons. Pourra-t-elle y parvenir? Que faire pour éviter la surpopulation carcérale? La SPF/Ntabariza et la DGAP se disent inquiètes de ce surnombre et proposent des pistes de solution.
Les chiffres sont alarmants. Alors que la capacité d’accueil des prisons est de 4194 prisonniers, la population pénitentiaire s’élevait à 11 604 au 30 juin dernier. Soit 276,68% selon la direction générale des affaires pénitentiaires, DGAP.
Les taux d’occupation, très disparates, dépassent les 700% dans certaines prisons centrales comme celle de Muramvya (743%). En revanche, ils sont un peu moindres dans les centres de rééducation des mineurs en conflits avec la loi, CRMCL à Ruyigi (76,39%) et à Rumonge (95,83%) ; mais encore dans la prison centrale pour femmes à Ngozi (50%).
Parmi ces détenus, 5373 sont des prévenus dont 15 mineurs, tandis que les condamnés s’élèvent à 6231 dont 122 mineurs. Ces prisons enregistrent 80 nourrissons.
Le directeur général des affaires pénitentiaires parle néanmoins d’un souci d’actualisation des chiffres. Notamment en ce qui est de la capacité d’accueil. Selon Gervais Hajayandi, la capacité de 4 194 est loin de la réalité. « Elle date des années 50-60, lors de la construction de la plupart de ces prisons. Il faut savoir que dans l’entretemps, il y a eu des travaux d’extension pour certaines prisons ». Entre autres, il évoque celles de Rutana, Ruyigi et Gitega.
Quid des causes ?
Interrogé sur les causes de cette surpopulation, Jean Marie Nshimirimana, représentant légal de l’association Solidarité avec les Prisonniers et leurs Familles, SPF/ Ntabariza, se dit être touché par la lenteur dans le traitement des dossiers des justiciables. Des prisonniers croupissent dans les prisons sans être jugés. Et de s’indigner : «Des prévenus peuvent passer un ou deux ans sans comparaître devant le magistrat. D’où le nombre des prévenus dépassent souvent celui des condamnés ».
Même constat du côté de Gervais Hajayandi, directeur de la DGAP. Il indique que les prisons restent surpeuplées. Et parmi les causes, la démographie excessive sans nouvelles maisons de détention en parallèle. 10 des 11 prisons actuelles étaient construites en 1960 pour une population qui avoisinait 3 millions d’habitants.
Mais le recours excessif à la détention n’est pas aussi des moindres. « La prison semble être la solution à toute criminalité», explique le responsable de la DGAP. Ce qui est en partie la conséquence de la difficulté à poursuivre les prévenus libres. Lors de la chambre de conseil, dit-il, le ministère public demande souvent que les prévenus restent en prison pour que leurs dossiers soient suivis.
M. Hajayandi évoque aussi les dysfonctionnements judiciaires. Il déplore notamment le retard de traitement des dossiers. Les verdicts sont rendus tardivement. Et, par ricochet, les mesures d’allègement telles que la mise en liberté provisoire ou conditionnelle ou encore les mesures de grâce ne sont plus suffisamment significatives. Car elles concernent les détenus déjà condamnés.
Sauf que là, il y a parfois des explications. La différence entre les cartes judiciaire et pénitentiaire notamment participe au retard de traitement des dossiers. Chaque province dispose en effet d’un parquet mais pas nécessairement de prison. «Il est difficile pour les parquets des provinces où il n’y a pas de prison de suivre les dossiers des prisonniers de leur ressort afin de vider les contentieux. Car cela exige trop de moyens», regrette M. Hajayandi.
Pour sa part, Jean Marie Nshimirimana fustige le comportement de certains magistrats qui infligent souvent des amendes excessives aux justiciables. Ces derniers arrivent à purger leurs peines, mais restent en prison faute d’avoir été incapables de payer leurs amendes. Selon lui, les magistrats devraient éviter d’infliger des amendes disproportionnées.
Par ailleurs, il dénonce l’emprisonnement des personnes ayant été incapables de rembourser une dette dans les délais. Selon lui, les officiers de police judiciaire devraient plutôt privilégier l’attente entre les parties en conflit et non se précipiter à incarcérer celui qui a contracté la dette.
Des pistes de solution…
Le président de la SPF/Ntabariza suggère le renforcement des juridictions collinaires comme l’a déclaré le nouveau président de la République. Et de regretter qu’il y a des différends qui devaient trouver une solution à la colline mais qui se prolongent jusqu’aux tribunaux. « Que les gens prennent l’habitude de gérer et régler leurs conflits sur la colline et non pas recourir toujours aux tribunaux ».
M. Nshimirimana suggère également l’application systématique du travail d’intérêt général comme une alternative à la peine d’emprisonnement. Selon lui, cette peine présente un double avantage. Elle contribue au désengorgement des prisons et ainsi diminue les dépenses pour le gouvernement. Il permet aussi une bonne réinsertion sociale du détenu. « Que la ministre de la Justice prenne en main cette question. Il faut que tous les prisonniers condamnés à des peines mineures soient soumis au travail d’intérêt général ».
Jean Marie Nshimirimana propose, en outre, de privilégier le paiement d’amendes pour les personnes ayant commis des infractions mineures.
Quant à l’insolvabilité de certains justiciables, M. Nshimirimana suggère aux magistrats de faire des enquêtes profondes. Nous conseillons aux magistrats de faire des enquêtes minutieuses pour savoir si tel ou tel justiciable est solvable ou pas ». Et de proposer la révision des textes de loi au sujet des amendes qui sont infligées aux justiciables. «C’est inconcevable d’infliger une amende de 10 millions à une personne qui n’a jamais eu 100 milles dans sa poche ».
Et de rappeler que la liberté reste la règle, l’emprisonnement étant l’exception. « Nous demandons au gouvernement de libérer tous ces détenus qui croupissent en prison sur fond d’insolvabilité ».
Même son de cloche du côté du responsable de la direction générale des affaires pénitentiaires. Pour le désengorgement, il suggère entre autres de rehausser la capacité d’accueil des prisons. Gervais Hajayandi évoque la nécessité de construction d’autres prisons ou encore l’extension de celles disponibles.
Mais, peut-être dans l’urgence, il insiste sur une révision de la législation. Passer d’un système qui semble pénaliste et privilégier les mesures alternatives à l’emprisonnement A savoir les amendes, le travail d’intérêt général. Et de souligner la nécessité de l’application de la loi. « Le code pénal prévoit ces mesures, les textes d’application sont aussi là, mais elles ne sont pas appliquées ».
Gervais Hajayandi se dit en outre soucieux des performances dans le traitement des dossiers. Pour lui, les prévenus ne devraient pas dépasser les 10% des détenus. «Là, les mesures de grâce ou les libérations conditionnelles auraient un effet très significatif ». Sauf que pour y arriver, il faudrait, dit-il, plus de moyens au profit du corps judiciaire. Il pense notamment à la modernisation du système pénitentiaire avec des procès par vidéo-conférence. « Ceci contribuerait efficacement, surtout au suivi des dossiers par les parquets qui ne disposent pas de prisons ».
Application lente de la grâce présidentielle…
Ce défenseur des droits des prisonniers dénonce la lenteur dans la mise en application de la grâce présidentielle. Sept mois après l’annonce de la mesure, déplore-t-il, certains bénéficiaires croupissent encore en prison. Pour lui, la libération des graciés contribuerait au désengorgement des prisons. Il s’insurge contre la lenteur de la commission qui est chargée de l’exécution de la mesure présidentielle.
M. Nshimirimana déplore l’insuffisance du personnel. « Une commission de 5 personnes ne peut étudier les dossiers de plus de 10 milles détenus dans les délais ». Selon lui, la commission devrait être agrandie et dotée de moyens matériels et financiers suffisants. Le service juridique, qui au sein de chaque prison, devrait apporter un coup de main dans l’analyse des dossiers des détenus éligibles à la grâce présidentielle.
Interrogé si la ministre de la Justice parviendra à remédier à la surpopulation carcérale, M. Nshimirimana se dit confiant. «Elle va user de son savoir-faire et de son expérience sur terrain ».
Situation carcérale au 30 juin
-La prison de Bubanza, avec une capacité d’accueil de 100 personnes enregistre 332 détenus, dont 309 hommes, 23 femmes et 9 nourrissons, soit un taux d’occupation de 332%. Les condamnés s’élèvent à 212.
-La prison de Bururi, devant accueillir 250 prisonniers, en compte 313 dont 289 hommes et 24 femmes, soit 125,20%. Les nourrissons sont à 4. Le nombre des condamnés est de 118.
-La prison de Gitega a la capacité d’accueil de 400 personnes. Au 30 juin, elle en enregistrait cependant 1276 dont 665 prévenus et 611 condamnés, soit un taux d’occupation de 319%. Parmi eux, 1198 hommes et 78 femmes. Elle contient aussi 13 nourrissons.
-La prison de Mpimba, avec une capacité d’accueil de 800 personnes, regorge de 4 274 détenus dont 4106 hommes et 168 femmes, soit 534, 25%. Les nourrissons se comptent à 22.
-La prison de Muramvya prévue pour accueillir 100 détenus contient 743 (743%) dont 318 prévenus et 425 condamnés. Les hommes s’élèvent à 696 contre 47 femmes et 5 nourrissons.
-Alors qu’au plus 300 prisonniers étaient attendus à la prison centrale de de Muyinga, 493 y sont incarcérés (164,33%) dont 389 condamnés, les hommes étant 459 et 34 femmes avec 5 nourrissons.
-1715 personnes croupissent dans la prison centrale de Ngozi pour hommes alors qu’elle n’avait qu’une capacité d’accueil de 400 personnes. 862 sont des condamnés contre 853 prévenus.
-La prison centrale de Ngozi pour femmes en revanche compte 125 détenues dont 13 mineures sur un total de 250 femmes prévu, soit 50% d’occupation.
-La prison de Rutana enregistre 450 prisonniers dont 32 femmes sur 350 initialement prévus (128,57%). 135 prévenus contre 315 condamnés et 3 nourrissons.
-La prison Rumonge compte 1013 détenus dont 31 femmes. Elle devait accueillir 800 hommes. Soit 126, 63% d’occupation. 2 nourrissons y sont détenus.
-Sur les 300 prisonniers prévus, la prison de Ruyigi regorge 746 dont 48 femmes (128,57%). La prison compte 8 nourrissons.
-Les CRMCL Ruyigi et Rumonge, avec une capacité d’accueil 72 mineurs chacun, enregistrent respectivement 55 (dont 54 condamnés) et 69 (dont 57 condamnés) détenus. Leur taux d’occupation est respectivement de 76,39% et 95,83%.
Par Edouard Nkurunziza et Félix Haburiyakira