Homélie donnée lors de la commémoration du 23ème anniversaire de l’assassinat du Président Melchior NDADAYE, mon ami d’enfance et mon compagnon d’exil de 1975 à 1982.
Saint-Josse, Bruxelles, le 21 octobre 2016
Chers frères et sœurs,
Chaque fois que j’y pense, je sens comme une colère monter en moi. J’en veux à la terre entière. Pourquoi cette malédiction qui toujours s’abat sur notre patrie ? Pourquoi tant de barbarie chez nous ?
Pour moi, tout a commencé en juin 1972 le jour où, sortant de l’école où nous vivions cachés comme dans une grotte à l’écart du monde, je tombais sur d’immenses champs labourés au Caterpillar. C’étaient des charniers : les fameuses fosses communes où disparurent sans autre forme de cérémonie, des milliers d’hommes déshumanisés par la propagande du parti et massacrés par l’armée du régime du capitaine Micombero.
Je me suis alors juré que je ne vivrais plus dans un pays qui massacre ses propres enfants et les enterre au bulldozer.
Et malheureusement, jusqu’aujourd’hui je n’ai pas vu de réel changement. Le Burundi est toujours ce pays où le crime est devenu un sport, la marque d’une intelligence politique, la note d’une clairvoyance diplomatique, la preuve d’une excellence dans l’administration.
Dans ma patrie, le crime reste non seulement impuni, mais bien plus, il y est exalté ! J’ai failli m’étouffer, lorsque, ce printemps dernier, j’ai entendu de mes propres oreilles, une journaliste burundaise accréditée à la Deutsche Welle, appeler au meurtre du Président Pierre Nkurunziza.
55 ans après l’assassinat du Premier Ministre Louis Rwagasore, 23 ans après le crime bestial et insensé perpétré contre le Président Melchior Ndadaye, 22 ans après le meurtre du Président Cyprien Ntaryamira, allons-nous revenir à ces procédés barbares qui dénient tout droit à la vie à qui ne correspond pas à nos critères de choix ? Ces crimes, qui visent les meilleurs de nos fils et de nos filles, nous condamnent à une errance sans fin dans les dédales de la haine, de la misère et de l’insignifiance.
J’appelle à un sursaut national. Je m’adresse spécialement à l’opposition qui, aujourd’hui encore, si je ne m’abuse, a cru nécessaire de célébrer à part, loin de l’ambassade, cette commémoration du 23ème anniversaire de l’assassinat du Président Ndadaye. La démocratie, pour laquelle vous militez, mes chers frères et sœurs de l’opposition, doit passer par le respect de la vérité. « La vérité vous rendra libres » (Jean 8, 32). Pensez-y ! Le peuple burundais a tout vu. Il sait maintenant distinguer le vrai du faux. Et vous ne saurez le convaincre que si vous vous présentez en amis de la vérité, en ennemis du mensonge, des montages et des manipulations de toute sorte. Dites la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Ainsi on verra qui commet le crime et qui ne le commet pas, qui veut le changement ou qui veut maintenir le pays dans une guerre sans merci qui dure depuis plus de 5 décennies. La vérité vous rendra libres !
J’appelle à un sursaut national. Je m’adresse également aux nouveaux élus de 2015. Nous vous jugerons à vos actes. C’est le risque que prenait le prince Louis Rwagasore en 1961 quand il lançait : « Vous nous jugerez à nos actes… » Prenez ce risque, vous aussi. Ne vous laissez pas égarer par des gens qui n’ont rien compris des attentes du peuple. Le peuple veut la paix. Les querelles ne font pas mûrir la moisson. Autrefois la guerre était une industrie. C’était la mère des inventions, la source du progrès et l’occasion de s’enrichir des dépouilles de l’ennemi. De nos jours, aucun homme sensé n’appellerait à la guerre quand on sait qu’elle sacrifie des milliers de vies humaines. Alors qu’une seule vie est plus précieuse que l’or.
Soyez de vrais responsables. Des hommes fiers d’être les fils de leur patrie. Proches de leur peuple. Sensibles au malheur du plus petit des citoyens. Attentifs à l’appel des gens de bonne volonté.
Nous voulons construire une nation nouvelle, qui déclare le divorce d’avec les fossoyeurs du peuple, les opportunistes qui nous conseillent l’affrontement.
Hari imigani y’abasokuru twagomvye kuja twibuka : Uwusenya urwiwe bamutiza umuhoro. Akimuhana kaza imvura ihise. Uwukunda umwana kuruta nyina aba ashaka kumurya.
Le Burundi a parcouru un long calvaire depuis la date fatidique du 13 octobre 1961. En passant par l’enfer du 21 octobre 1993. A ma connaissance, aucun pays au monde n’a connu pareil affront. Sauf peut-être Israël à l’époque de la déportation à Babylone au 6ème siècle avant notre ère et lors de l’innommable Shoah, horresco referens, du sanguinaire 20ème siècle. Mais c’était toujours par la volonté des étrangers qu’Israël subissait les outrages. Chez nous par contre, tout le malheur nous vient des enfants de la maison qui dévient ou se laisser dévier du droit chemin, le chemin du bon sens, le chemin d’humanité.
Pour conclure, permettez-moi d’adresser un mot aux petits et aux humbles qui sont les victimes de ce combat de lamentables égarés.
« Cherchez le Seigneur, vous tous, les humbles du pays, vous qui faites sa volonté. Cherchez la justice, cherchez l’humilité : peut-être serez-vous à l’abri au jour de la colère du Seigneur » (Sophonie 2,3).
Je sais que vous voulez la paix et je suis sûr qu’ensemble nous y arriverons. La colère du Seigneur ne s’abattra pas sur nous. Dieu, Imana y’abasokuru, n’a pas déserté le Burundi ! Qu’il nous protège ! Amen.
Abbé Daniel Nahimana
Prêtre du diocèse de Namur
Curé-doyen de Barvaux.
i Avec Melchior Ndadaye, mon ami d’enfance, on s’est retrouvé dans les camps de réfugiés et on est resté compagnons d’exil de 1975 à 1982.
ii En amis de la vérité : d’après un mot (latin) attribué au philosophe grec Aristote, « Amicus Plato, sed magis amica veritas » – “J’aime Platon mais j’aime encore mieux la vérité ».
iii « Vous nous jugerez à nos actes et votre satisfaction sera notre fierté », du discours inaugural du Prince Louis Rwagasore à sa victoire aux élections de 1961.
iv Horresco referens, mot du poète Virgile, « Rien que d’y penser, j’en frémis d’horreur »