« En 1972, j’avais 23 ans. J’ai été arrêté et mis au cachot pendant plusieurs jours. J’ai eu la vie sauve grâce à un militaire, médecin à l’armée, Fidèle Bizimana qui m’a tiré clandestinement de la prison de Mpimba. Il est devenu, trois ans plus tard, Ministre de la Santé Publique. Il me connaissait parfaitement parce que nous sommes originaires de la même colline Mwungo, à Gahweza. Cependant, durant ma détention, j’ai été roué de coups. Je suis sorti du cachot complètement abîmé. Quatre mois de soins ont été nécessaires pour guérir de toutes mes graves blessures causées par les coups de baïonnettes donnés par les militaires à Mpimba.
Déo Gratias Nkinahamira
C’est une parenté à moi, M. André Makambira, qui est allé me faire soigner. Il est le fils d’Hilaire Muhinyuza, frère de ma mère et donc beau-frère de mon père. Il a fait appel à un infirmier congolais, Amisi. C’est lui qui est venu, à vélo, s’occuper de moi, pendant les quatre mois de convalescence. J’ai toujours des cicatrices des coups reçus au cachot. M. Makambira habitait le quartier asiatique. Il m’a caché à Ruvumera, dans le quartier de Buyenzi, chez une vieille dame congolaise. Personne n’a su où j’étais. En 1973, quand le Président rwandais Juvénal Habyarimana a renversé par coup d’Etat militaire le régime de Grégoire Kayibanda, j’ai cru que le Burundi allait basculer une nouvelle fois dans la violence. J’ai tenté de me jeter dans le lac Tanganyika dans l’espoir d’atteindre l’autre côté de la rive. Une nouvelle fois, Makambira a décidé d’intervenir et m’a, de nouveau, caché. Malgré la propagation de la nouvelle de ma fuite du pays en 1972, en réalité, j’étais simplement caché à Ruvumera dans le quartier de Buyenzi dans la ville de Bujumbura. Je n’ai pas quitté le Burundi. »
Quel est le lien commun entre Simon Baribuza et son fils, Déo Gratias Nkinahamira pour être malmenés tous les deux, à sept ans d’intervalle, par le pouvoir dictatorial ?
Quel crime ont-ils commis l’un et l’autre pour justifier une telle persécution? Jusqu’à nouvel avis, mis à part le fait d’être Hutu, rien d’autre! L’arrestation et l’exécution de Simon Baribuza s’est faite en 1967 dans la foulée de la destitution du roi Ntare V avec l’avènement, le 28 novembre 1966, de la première « République » du capitaine Michel Micombero. Cet assassinat s’inscrit dans la continuité du Génocide de 1965 et a été un prélude au Génocide de 1969 suivi du surdimensionné Génocide de 1972-1973.
L’objectif final de ces entreprises meurtrières a été de faire disparaître la plupart des personnes appartenant à l’ethnie Hutu en capacité et en volonté réelle de construire un Burundi moderne. De cette description, il ressort que de génération en génération, les Hutu du Burundi ont été malmenés par les Hima burundais et rwandais dit Tutsi. C’est un constat important à souligner et à retenir en cette année du Cinquantenaire du premier Génocide au Burundi.
L’illustration du cas de persécution de la famille de Simon Baribuza est loin de constituer une exception. C’est un schéma continuel construit par les bourreaux où le père, arrêté et malmené pour des raisons inconnues en 1965, est finalement exécuté en 1967. Quant à son fils Déo Gratias Nkinahamira, à défaut d’être tué dans la foulée de l’arrestation, il est incarcéré et brutalisé par des coups lors du génocide de 1972-1973. Puis, vingt ans après en octobre 1993, il se retrouve dans l’obligation urgente de fuir son pays pour sauver sa vie. Les autres 8 fils de Simon Baribuza, c’est-à-dire Paul Barazingiza, Joseph Nyamugenda, Nicodème Mutembo et leurs enfants respectifs ainsi que le personnel de maison, ont été tués à leur tour en 1993 par des Hima dit Tutsi. Le tableau en annexe N°2 récapitule la destruction ciblée des individus mâles Hutu de la famille de M. Baribuza.
Les cas similaires sont légions.
A son tour, François-Xavier Simutoyi, le frère de Sicaire Wakabwa assassiné en octobre 1965, est tué sept ans plus tard, lors du Génocide de 1972-1973 perpétré une nouvelle fois contre les Hutu. François-Xavier Simutoyi, a étudié à l’Ecole Technique Secondaire (E.T.S.) de Kamenge dans la ville de Bujumbura. Sa formation s’est terminée en 1961. Lors du génocide de 1965, il était en Allemagne pour des études de Mécanique. Il a travaillé pour l’entreprise SOMECA au Burundi et au Rwanda, avant de créer sa propre entreprise la Mechana Transmatic. Un atelier était installé à son domicile au Quartier Asiatique, non loin du cinéma CAMEO.
Il montait et réparait les machines à écrire pour une clientèle du Secteur privé comme de l’Administration publique. Au début du mois de Mai 1972, il a été arrêté et embarqué de force dans une voiture par des agents de l’Etat en civil (probablement de la Sûreté). Après, plus personne ne l’a revu. Tous ses biens ont été saisis ou emportés : la maison, la voiture, l’atelier et divers autres biens.
Le Cinquantenaire du premier Génocide commis contre les Hutu du Burundi offre, aussi, l’opportunité de mentionner la documentation de quelques chercheurs sur la question.
Dans le paragraphe 24 du Rapport Whitaker , il est dit que : « (…) Toynbee a déclaré que les caractéristiques distinctives du vingtième siècle dans le développement du génocide « sont qu’il est commis de sang-froid par l’ordre délibéré de ceux qui détiennent le pouvoir politique despotique, et que les criminels du génocide emploient toutes les ressources de la technologie et de l’organisation actuelles pour rendre leurs massacres planifiés systématiques et complets ».
Benjamin Whitaker (1935-2014).
L’aberration nazie n’a malheureusement pas été le seul cas de génocide du vingtième
siècle. Parmi d’autres exemples pouvant être ainsi qualifiés, citons (…) le massacre des Hutus au Burundi en 1965 et 1972* (…) ». *« Le gouvernement de la minorité Tutsi commença par liquider les dirigeants Hutu en 1965, ensuite il assassina entre 100 000 et 300 000 Hutu en 1972, (…) »
Muramvya, une province sinistrée.
Enfin, le bilan général du Génocide de 1965 est estimé à dix mille victimes dont 50% des fonctionnaires Hutu et 70% des militaires Hutu, ainsi que deux milles réfugiés (…) Augustin Nsanze décrit : « (…) Dans la province de Muramvya, la répression fut conduite par le commissaire d’arrondissement Tharcisse NTAVYIBUHA [Hima] et le commandant Stanislas MANDI. NTAVYIBUHA commença par éliminer son supérieur hiérarchique, le gouverneur Etienne MIBURO. Après l’avoir tué, il s’installa dans sa voiture et, avec une escorte militaire, se dirigea vers Bugarama,
Le centre commercial de Bugarama.
A son arrivée au petit centre commercial, il actionna le klaxon de la voiture avec insistance. Des paysans Hutu affluèrent comme ils venaient d’habitude rendre hommage au Gouverneur. Mais, le commissaire ordonna aux militaires de tirer sur la foule. Depuis ce jour, il prit pour principe de tirer sur tout Hutu qu’il trouverait sur son passage (…). »
Warrein Weinstein consigne :
« (…) Ntavyibuha Tharcisse est un Tutsi né en 1936. Il a été commissaire d’arrondissement de Mwaro après l’indépendance et commissaire d’arrondissement de Muramvya en 1965. Après l’échec de la révolte Hutu d’octobre 1965, il fut nommé gouverneur de la province de Muramva en remplacement du gouverneur hutu qui avait été exécuté. Il a été brutal dans l’exécution de la répression menée contre les Hutu de la province et a conduit la vengeance Tutsi contre la masse populaire (manifestations de vengeance). Il a précipité l’exécution de Joseph Bamina et de deux autres leaders Hutu avant l’arrivée au Burundi des représentants de la Commission Internationale des Juristes qui voulait mener des investigations sur le coup d’Etat manqué de 1965.
En novembre 1967, il a été nommé Directeur de cabinet au Ministère du Plan. En avril 1970, il a été nommé Secrétaire de Cabinet au Ministère du Plan. Durant le procès contre les Banyaruguru accusés de complot, il a fui Bujumbura(…) » Augustin Nsanze souligne : « (…) A l’autre extrémité de la zone rebelle, le commandant Stanislas MANDI avait installé son baraquement militaire sur la colline Bukwavu. Les militaires venus de Muramvya faisaient des incursions à partir de Bugarama et ceux de Bukwavu à partir de la rivière Nkokoma. Au bout de quelques semaines, des milliers de cadavres jonchaient la route sur une vingtaine de kilomètres, de Bukeye à Bugarama(…). »
Warrein Weinstein indique aussi : « (…) Mandi Stanislas est un Tutsi du clan des Banyaruguru, né à Ngozi en 1942. Il a fait l’école à Musenyi, a passé cinq ans au Séminaire de Mugera avant d’intégrer l’école burundaise des officiers. Il a complété sa formation militaire en Belgique. Il a rejoint l’armée burundaise en juin 1961. En janvier 1965, il a reçu le grade de capitaine et officier exécutif de la Compagnie de Bujumbura. En novembre 1966 il a été nommé Commandant et promu Gouverneur militaire de Bujumbura. En novembre 1972, il a été promu Major. Il a travaillé comme Inspecteur des unités territoriales et chef de services à l’Etat Major. En 1973-1974, il
était le seul officier supérieur Tutsi originaire du Nord. Il était le Commandant de la
compagnie Support (..). »
.
A nouveau, Augustin Nsanze ajoute : « (…) Deux autres personnes qui ont fait parler d’elles au cours de cette répression sont le lieutenant Denis KANGOYE, qui alignait les victimes et leur tirait dessus pour épargner du temps, ainsi que le curé de la paroisse Bukeye, Serge NTUKAMAZINA, qui a collaboré avec l’armée (…) »
.
De toute évidence, les responsables de tous ces crimes dans la Province de Muramvya sont des personnes bien connues. Tharcisse Ntavyibuha a mené sa vie paisiblement. Il n’a jamais été inquiété par la justice pour tous les crimes commis. Sa vie professionnelle n’en a pas été perturbée pour autant.
Quant au commandant Stanislas Mandi, il n’a pas été inquiété par la justice, non plus.
Plusieurs postes importants au sein de l’armée et ministériels (en 1978 et 1984), dont celui des relations avec le Parlement lui ont été confié sous la deuxième République de Jean Baptiste Bagaza. Par contre, le 16 août 2000, il a succombé en compagnie de l’un de ses fils à un guet-apens meurtrier, aux contours et aux acteurs imprécis, sur l’axe routier Bujumbura Bugarama.
Certains commentateurs, lui ont prêté, avec l’éventualité prochaine de la constitution de la Commission Vérité-Réconciliation et du Mécanisme de Justice transitionnelle, une intention de faire des révélations sur l’identité d’acteurs méconnus du grand public et préciser son rôle exact au cours du Génocide de 1965 Il revient aujourd’hui à ses proches, aux témoins et toutes les personnes en possession d’informations de restituer la vérité des faits et non leur interprétation.
Parmi les personnes exécutées en 1965, certaines sont entassées dans des fosses communes éparpillées sur différents sites. Par exemple, à Rwasazi, une localité du Chef-lieu de la province de Muramvya, de nombreux corps de victimes innocentes Hutu sont toujours enfouis sous les collines. A Bujumbura, de nombreuses exécutions ont eu lieu au stade Prince Louis Rwagasore.30 L’Armée n’a jamais indiqué de quelle manière les corps ont été ensevelis.
Le 21 octobre 1965: Un conseil de Guerre réuni à Bujumbura, condamne à mort cinq officiers de gendarmerie, deux officiers de l’Armée nationale et vingt-sept militaires qui sont immédiatement exécutés.
Capitaine Thomas Ndabemeye Capitaine Paul Rusiga les Capitaines Thomas Ndabemeye et Paul Rusiga, étaient respectivement juges-présidents des deux chambres du Conseil de guerre du 21 octobre 1965. Il revient, aujourd’hui, à Paul
Rusiga de livrer à la Commission Vérité-Réconciliation et au mécanisme de justice son rôle dans l’exécution du premier Génocide commis contre les Hutu du Burundi.
Le 26 octobre : Exécution de sept officiers et de deux adjudants de gendarmerie.
Nom et Grade
Nom et Grade
Nom et Grade
Nom et Grade
Nom et Grade
Nom et Grade
Nom et Grade
A compléter
Le 28 octobre : Exécution de dix personnalités.
MM. Nyangoma, Directeur général du Premier ministre ; Emile Bucumi, Président de l’Assemblée nationale ; Paul Mirerekano, Premier Vice-Président ; Ntimpirageza, Président du Parti populaire ; Burarame, Ministre de l’Economie ; Patrice Mayondo, Deuxième VicePrésident de l’Assemblée nationale ; Nirikana, Chef de Cabinet au ministère de l’Economie ; Ignace Ndimanya, premier Vice-Président du Sénat ; Karibwami, deuxième Vice-Président du Sénat ; Louis Bucumi, Directeur des Impôts ; M. Ncahoruri, Ministre de l’Education nationale a été condamné à la détention à perpétuité.
Le 16 décembre : Exécution de 22 condamnés (dont M. Joseph Bamina Président du Sénat 33).
Nyangoma Bucumi Mirerekano
Ntimpirageza
Burarame Nirikana
Mayondo
Ndimanya
Karibwami
Cinquante ans après, le Burundi Officiel n’a toujours rien fait pour honorer la mémoire des victimes du Génocide de 1965. Aujourd’hui, je suis abasourdi par l’acharnement du gouvernement en exercice à vouloir rapatrier, coûte que coûte, le corps du roi Mwambutsa IV, contre sa volonté consignée dans un testament. C’est au cimetière de Meyrin, dans le canton de Genève, en Suisse que repose le corps de l’ancien roi des Barundi. Malgré les réclamations des descendants des victimes, le Burundi Officiel a été incapable pendant cinquante ans d’accorder la moindre pensée à des milliers de ses citoyens.
Pourquoi, soudain affiche-t-il une attitude de considération pour le corps du souverain ?
Depuis l’avènement de la « République » des Hima le 28 novembre 1966, aucune date n’est prévue dans l’année pour rappeler que ce pays des Grands-Lacs africains a été un royaume multiséculaire. Les Barundi y étaient très attachés. Pourtant, l’institution politique a été renversée sans leur consentement, par les anciens bannis de ce même Royaume. De plus, des efforts ont été déployés par des experts belges pour déterminer la fosse commune qui contiendrait le corps du dernier roi du Burundi, Charles Ndizeye, intronisé Ntare V, fils du roi Mwambutsa IV. Hélas, l’opération n’a pas été couronnée de succès. Cependant, les ordonnateurs de l’exécution du 29 avril 1972, toujours en vie, sont en mesure de localiser l’endroit avec exactitude.
Pourquoi personne (les autorités burundaises, les experts belges, d’autres autorités morales) ne pèse sur les acteurs politiques Hima burundais et rwandais dit Tutsi encore vivants afin d’indiquer le lieu de leur forfait ? Pourquoi le corps de son père aurait droit à des égards, à mille lieues du Burundi, pendant que le corps du fils, ayant occupé les mêmes fonctions, est maintenu au Burundi dans un indigne abandon, couvert d’une indifférence officielle complice?
L’équipe du Pr Cassiman J.J. Nyenimigabo A. Simbananiye Ntare V
Cinquante ans après, Artémon Simbananiye doit rendre aux Barundi le corps de Charles Ndizeye !
En cette année du Cinquantenaire du premier génocide perpétré au Burundi contre les
personnes ayant en commun le fait d’appartenir à l’ethnie Hutu, le temps de la justice est plus que jamais d’actualité.
Pour rappel, le crime de Génocide est rangé dans la catégorie des crimes imprescriptibles !
Lu pour vous. Par Jean Claude