Le 25 avril, le président burundais Nkurunziza décide de briguer un troisième mandat. La Cour constitutionnelle burundaise estime qu’il en a le droit bien que la plupart des observateurs internationaux et les opposants burundais y voient une violation flagrante de la Constitution. Plusieurs pays donateurs, dont la Belgique et les Pays-Bas, dénonceront rapidement cette manœuvre politique. Ainsi, notre ministre de la Coopération au Développement, Alexander De Croo, annoncera officiellement qu’il ne collaborera pas avec Petero Nkurunziza si celui-ci est effectivement reconduit dans ses fonctions. Son homologue néerlandais a lui aussi, parmi d’autres, mis le régime Nkurunziza sur la liste noire.
Le 14 juillet, le Parlement rwandais décide que la Constitution peut être modifiée pour permettre au président Kagame de briguer au moins un troisième mandat présidentiel. Plus de 3,7 millions de Rwandais, soit près des trois quarts du corps électoral, avaient demandé cette modification par le biais d’une pétition. Cette révision de la constitution sera soumise à l’approbation du peuple rwandais par voie de référendum.
C’est à peine si les pays donateurs réagissent. L’ambassadeur néerlandais à Kigali parle d’un dossier interne au Rwanda. Quant aux ministres belges, ils paraissent frappés de mutisme.
Cherchez les différences…
La laborieuse « démocratie » burundaise
Après la guerre civile qui a sévi au Burundi à partir de 1993, les belligérants ont réussi à conclure en 2000 un accord de paix laborieux mais honorable. Cinq ans plus tard, le principal mouvement rebelle était récompensé par une écrasante victoire électorale mais il a dû partager le pouvoir avec des groupes minoritaires, y compris ethniques, pour préserver la paix. Au sein du parti dominant du président Nkurunziza, une fraction de plus en plus grande s’est opposée au pouvoir toujours plus absolu du président et de son entourage direct. Si la question du troisième mandat a été la goutte qui a fait déborder le vase, elle n’était pas le seul motif de l’opposition, ni dans la rue, ni au sein d’une partie de l’armée.
L’opposition civile s’est limitée à quelques quartiers de la capitale Bujumbura, car « les collines » portent un regard radicalement différent sur la lutte politique. De fait, traditionnellement, l’opposition est très peu soutenue dans les campagnes. Les résultats officiels des élections (parlementaires), organisées en dépit d’au moins 80 morts et 150 000 réfugiés, ont généré le même rapport de force qu’il y a cinq ans : trois quarts environ des votes sont allés au parti du président, l’ensemble des partis d’opposition se partageant le quart restant.
Les pays donateurs, la Belgique en tête, ont fermement condamné les atteintes au processus démocratique burundais. Ils exigent que l’opposition y ait les coudées franches – y compris l’accès aux médias –, que le mouvement de jeunesse du plus grand parti soit forcé de rentrer dans le rang et soit soumis à un contrôle rigoureux quant à tout recours à la violence, que le président respecte rigoureusement la Constitution et l’accord de paix et que la Cour constitutionnelle interprète les textes de telle manière qu’il soit impossible à un seul homme de briguer un troisième mandat.
Si ces conditions ne sont pas respectées, comme c’est le cas aujourd’hui, ils fermeront le robinet, du moins celui qui passe par le gouvernement. Car aucun déraillement du modèle démocratique ne peut être toléré.
Pas de pitié pour le président burundais et son entourage, qui savent ce qui les attend s’ils ne mettent pas une sourdine sur leur soif de pouvoir.
La dictature rwandaise
Après le génocide et la guerre qui sévit au Rwanda en 1994, le mouvement rebelle victorieux a imposé ses propres règles, transgressant du même coup et de manière flagrante l’accord de paix existant. À peine arrivées au pouvoir, les nouvelles autorités ont liquidé tout ce qui risquait de compromettre leur omnipotence. Toutes les voix critiques ont été étouffées l’une après l’autre : en prison, par la fuite, par le sang. Le nouveau régime a aussi ouvert la chasse aux opposants potentiels à l’étranger : plusieurs centaines de milliers d’entre eux ont été tués sur le territoire du grand voisin congolais.
Les premières élections prétendument « démocratiques » de 2003 ont été marquées par l’intimidation et la corruption. À l’approche des élections suivantes, celles de 2010, une femme [Ndt: Victoire Ingabire], la principale opposante au tout-puissant président Kagame, a été arrêtée sur base de vagues accusations. Elle a écopé de 15 ans prison alors que d’autres opposants politiques étaient depuis longtemps derrière les barreaux ou six pieds sous terre. La presse aussi avait été muselée depuis longtemps. Les élections ont elles aussi bafoué tout principe démocratique de base.
Vingt ans après leur arrivée au pouvoir, les rebelles d’autrefois règnent sur le Rwanda d’une main de fer. Au point que la situation est devenue intenable pour certains dans les rangs mêmes du régime. Les dissidents qui naguère étaient les partisans du régime précédent formulent aujourd’hui les critiques les plus virulentes, mais ils le font désormais depuis l’étranger. Certains d’entre eux ont été assassinés par un escadron de la mort envoyé par Kigali.
Entre-temps, le régime reçoit l’aide au développement la plus généreuse du monde, comparé au nombre d’habitants. Entre 40 et 50 % du budget de l’État – le montant varie d’une année à l’autre – provient des donateurs occidentaux : un record absolu. L’économie et toute l’administration de l’État dépendent en grande partie de cette manne. Mais le régime est considéré comme un bon gestionnaire : aux normes africaines, l’aide reçue est gérée avec efficacité.
À l’approche des prochaines élections, qui se tiendront en 2017, le tout-puissant président Kagame suscite l’impression de ne pas être intéressé par un troisième mandat, ce qui irait d’ailleurs à l’encontre de la Constitution de son pays. Mais son propre parti, dont il est aussi le président, et qui détient la majorité absolue au Parlement, organise une série de pétitions « spontanées » pour obtenir un changement de la Constitution en vue de lever la restriction du nombre de mandats présidentiels. Chaque connaisseur de la région et du pays sait que cette « volonté populaire » est manipulée : au cours des vingt dernières années, toute opposition au régime est devenue impossible, voire mortelle.
Voilà comment le Parlement exécute la volonté du parti tout-puissant et de son chef de file, le président du pays : en modifiant la Constitution et en organisant un référendum gagné d’avance, du moins si l’on se base sur l’issue des élections précédentes.
Et les donateurs, les pays occidentaux, se taisent, hormis une réaction prudente des États-Unis. Aucune menace de priver le régime de l’aide de la coopération, aucune demande de rétablir après 20 ans la liberté politique et la liberté de la presse, aucune exigence de juger les responsables des innombrables assassinats politiques et autres, aucune parole sévère laissant entendre que le président nouvellement élu ne sera pas reconnu… Les gouvernements étrangers mettent des gants face à l’intraitable régime de Kigali.
Deux poids
Il doit y avoir une façon d’expliquer l’attitude radicalement différente adoptée à l’égard du pouvoir selon qu’il est burundais ou rwandais. Mais même les observateurs expérimentés sont perplexes.
Pourquoi le régime de Kigali peut se permettre, depuis deux décennies, de fouler du pied toute règle de droit démocratique alors que le pouvoir burundais se fait taper sur les doigts à la moindre tentative de manipulation de sa « démocratie » ?
Pourquoi les donateurs occidentaux tolèrent depuis 20 ans que le pouvoir rwandais se rende coupable de centaines de milliers de meurtres sur des civils non armés ?
Pourquoi la responsabilité de la violence qui règne depuis près de trois mois dans les rues de la capitale burundaise, Bujumbura, est presque intégralement imputée aux détenteurs du pouvoir actuel, alors que les rebelles recourent aussi à la violence et ont même tenté un coup d’État ?
Et surtout : pourquoi les pays et les organisations internationales qui injectent des montants importants dans les deux pays – et surtout au Rwanda – n’ont pas pris la moindre initiative pour résoudre les conflits de manière pacifique ? L’histoire récente du Rwanda, celle des vingt dernières années, est surtout marquée par la violence, par un nombre vertigineux de civils assassinés, sans aucune perspective de société durablement pacifique permettant d’assurer l’égalité entre les citoyens.
Après une phase très sanglante, l’histoire récente du Burundi sur la même période a permis un instant d’espérer la mise en place d’une société pacifique où les mêmes chances étaient réservées à chacun. Au cours des derniers mois, cet espoir a été étouffé dans l’œuf.
Les bailleurs de fonds des deux pays, dont la Belgique, ne peuvent ou ne veulent-ils donc pas peser davantage sur la mise en place pacifique et indispensable d’une société où, un jour, il pourrait faire bon vivre ?
Ou est-ce qu’à Bruxelles, Paris, Londres et Washington, les politiques laissent faire le dictateur rwandais et le dictateur en puissance burundais parce qu’ils ont eux aussi abandonné tout espoir d’une vie meilleure pour les populations locales ?
Ou est-ce que d’autres intérêts sont en jeu ? Dans ce cas, quels sont-ils ?
Peter Verlinden
Traduit du néerlandais (Belgique) par Caroline Coppens