Le 21 juin 1995 Professeur Ruzenza était abattu à l’Université du Burundi par des sbires de l’ancien Parti-Etat

Le 21 juin 1995 Professeur Ruzenza était abattu à l’Université du Burundi
@rib News, 21/06/2014

19ème anniversaire du massacre d’étudiants hutu et assassinat du Professeur Ruzenza à l’Université du Burundi.
21 juin 1995 – 21 juin 2014

« Plus jamais ça ! »
Eh bien, des années passent !

En 2015, nous aurons à commémorer le 20ème anniversaire du massacre d’étudiants hutu et assassinat du Professeur Ruzenza à l’Université du Burundi.

Fort touché par l’horrible massacre d’étudiants hutu de l’Université du Burundi par leur confrères tutsi et de l’assassinat ignoble au grand jour du Professeur Stanislas Ruzenza (photo), Prof Bakunda Athanase veut adresser de nouveau un message important à tous les anciens, présents et futurs dirigeants, professeurs, chercheurs et étudiants lors de la commémoration du 19ème anniversaire de cette hécatombe, non pas pour attiser l’esprit de rancune ou revanche, mais pour réveiller les consciences afin que cette horreur ne recommence jamais ! Et ce, pour l’intérêt supérieur de tout le peuple burundais qui veut se réconcilier, toutes ethnies confondues.

Etant Vice-Recteur de l’Université du Burundi, Professeur Bakunda avait découvert en 1994 pendant la crise meurtrière qui a suivi l’assassinat ignoble de feu le Président Ndadaye Melchior un plan d’élimination d’étudiants hutu et avait déjoué à plusieurs reprises des tentatives grâce au système d’emploi des téléphones mobiles de Télecel donnés aux étudiants délégués et ses services de renseignements. Les planificateurs de cet ignoble massacre ont tout fait pour chasser un élément gênant pour exécuter leur sale besogne. Ainsi, sous des menaces de mort à plusieurs reprises et malgré le renforcement de sa garde rapprochée, Prof Bakunda a échappé à plusieurs tentatives d’assassinat à bout portant et été obligé de quitter l’Université du Burundi le 3 mars 1995 et le Burundi le 28 Mars 1995 pour rejoindre Bukavu au Zaïre , puis Nairobi au Kenya et plus tard Liège en Belgique.

Dans la suite le pire évité à maintes reprises arriva, le plan pour l’exécution de la salle besogne a été malheureusement bien mûri par les planificateurs et abouti deux mois après le départ forcé du Vice-Recteur.

En effet, dans la nuit du 11 au 12 juin 1995, une centaine d’étudiants hutu ont été massacrés par leurs confrères tutsi avec la collaboration des « Sans-Echec » de Nyakabiga, certains professeurs et des militaires. Certains ont été tués atrocement à la grenade enfermés dans leurs chambres, d’autres ont été battus à mort, d’autres poignardés à la baïonnette et jetés dans des fosses communes creusées dans Nyakabiga et près de la Ntahangwa, d’autres dans des latrines, d’autres encore sont morts enfermés dans des locaux où ils s’étaient cachés pour fuir la fureur des tueurs enragés. Dans ces lignes, on se prive des détails ou des jugements éventuels (lire un des témoignages ci- bas)

Professeur Ruzenza (Directeur de la Recherche Scientifique) qui avait osé demander de mener profondément des enquêtes pour connaître la vérité et les auteurs des crimes, découvrir les fosses communes et sauver éventuellement des étudiants hutu qui étaient cachés dans des locaux fermés, a payé un lourd tribut et été sauvagement assassiné en cravate au grand jour dans son bureau de travail le 21 juin 1995 . Et ce, au vu de tout le personnel présent au Rectorat. Les tueurs sont repartis tranquillement à l’aise avec leur voiture qui ne cachait pas son immatriculation pour rejoindre le quartier de Nyakabiga!

Quelle atrocité ! Quelle ironie !

En plus d’être hutu (il était depuis longtemps militant dans le parti Uprona), les commanditaires de son assassinat lui reprochaient d’avoir dit tout haut qu’il ne comprenait pas pourquoi le Vice-Recteur Prof Bakunda a été chassé de l’Université manu militari sans enquêtes et autre forme de procès.

Le « Nyakwigendera » a laissé derrière lui sa famille de 5 enfants et leur mère. Encore une fois, que le défunt continue à reposer en paix éternelle et que Dieu le garde à sa droite pour toujours !

Le Professeur Bakunda a appris l’horreur étant déjà de l’autre côté de la Rusizi à Bukavu.

Les principaux auteurs de ces crimes odieux sont connus mais n’ont jamais été inquiétés. Et même longtemps après, un des tueurs (le tireur) a été relâché et plutôt remercié pour sa bravoure !

Plus jamais ça !

Que justice soit faite un jour ! La CVR aura du pain sur la planche dans le cadre de la recherche de la vérité d’abord et de la vraie réconciliation dans la suite.

Il est à adresser des remerciements et reconnaissances aux organisateurs de la commémoration de cet anniversaire en date du 12 juin 2014 à Bujumbura. Un anniversaire et un monument en l’honneur des disparus contribueront à apaiser les esprits et à la consolidation de la réconciliation nationale.

NdlR : En guise d’une brève présentation, Prof Bakunda Athanase, est agrégé de l’Enseignement de l’Université du Burundi et Docteur en Sciences Mathématiques de l’Université de Liège en Belgique. Il a été successivement Professeur à l’Université du Burundi, à l’Université Catholique de Bukavu, à l’Université Espoir de Nairobi et à l’Université de Liège. En plus de sa charge de Professeur, il a été Vice-Recteur de l’Université du Burundi . En exil au Kenya, il a beaucoup contribué à la création et au fonctionnement de l’Université Espoir de Nairobi pour venir au secours des étudiants de la sous-région des Grands Lacs en détresse qui étaient réfugiés à cause de la crise meurtrière qui sécouait le Burundi et le Rwanda. Cette Université a pu sortir des lauréats dont certains travaillent déjà auprès de la magistrature au Burundi et d’autres ont poursuivi leurs études post-universitaires. Cette université est devenue plus tard l’UEA (Université Espoir d’Afrique) et transférée au Burundi. Après le périple Burundi-Zaîre,- Kenya –Belgique , il a également été un haut cadre de l’AUA (Association des Universités Africaines) au Ghana pour un contrat de trois ans .

Le Professeur Bakunda aime beaucoup le métier de l’enseignement, de la recherche et rêve le continuer pour l’intérêt supérieur de toute la jeunesse burundaise sans distinction de groupe ethnique, de sexe, de religion ou de région. Actuellement Prof Bakunda réside en Belgique travaille toujours dans le domaine de l’éducation et assure chaque été des missions d’enseignement au Burundi à temps partiel à l’Université du Burundi. Riche de cette longue et variée expérience dans le bien et le mal, le Professeur a préféré évoluer aussi dans le domaine associatif pour la solidarité entre les ressortissants burundais en diaspora et la contribution au développement de son pays natal le Burundi. Son rêve est la réconciliation effective entre toutes les ethnies au Burundi, le bon fonctionnement de l’Education au Burundi , en l’occurrence l’Université publique, ainsi que la paix et le développement harmonieux du Burundi.

Chaque personne éprise de paix et de réconciliation est invitée à allumer une bougie ce soir pour se souvenir de tous ces étudiants et Professeur assassinés en date du 11, 12 et 21 juin 1995..

Poème pour feu Professeur Ruzenza (de la part de la famille Ruzenza)

Dix- neuf longues années sont passées

Un homme correct s’en allait

Au Burundi

Un pays bien lointain

Tué, sauvagement assassiné

La famille s’en souvient profondément

Et en appelle à chacun de vous

Et si le souvenir était plus fort que tout ?

D’une larme, d’un souvenir, rien d’égale un bel entretien

Une bougie brille et résiste à l’usure du temps

Le 21 juin, pose ce geste et pense en même temps

Que cette action forcément symbolique,

Dans le cœur de beaucoup,

Ravive la mémoire de feu Ruzenza Stanislas

Témoignage d’un rescapé

Le Campus Mutanga 11-12 juin 1995 : un massacre sans nom qui a laissé libre les assassins.

Récit d’un rescapé

Il est 18 heures lorsqu’à côté du kiosque du Campus Mutanga des groupes éparpillés de jeunes « Sans-Echecs » lancent des pierres à tous les passants dont Alexis.

Alexis, étudiant hutu de polytechnique B2 vient à pied du quartier Gikungu lorsque, fuyant les pierres de ces drogués, un coup de pierre le blesse à la tête.

Aussitôt, il court vers sa chambre tout saignant et prend des habits de rechange car il venait de se décider à ne pas passer la nuit dans ce Campus en ébullition. Intercepté par des étudiants tutsis, il est brutalisé, se voit traité d’assaillant (nom commun des Hutu au Burundi) blessé en tuant des Tutsi au lycée Saint-Esprit de Kamenge. Aucun des agresseurs n’écoute sa défense et tous crient qu’il faut l’exécuter et tout de suite.

Les gendarmes toujours présents au campus le mènent de force dans une petite salle pour l’interroger, puis le livrent aux étudiants assoiffés de sang. Quelques minutes de lapidation suffisent pour l’étendre au sol.

Les gendarmes tirent quelques coups de fusil en l’air et les étudiants les taquinent en chantant « cessez vos tirs dérangeants et amusants puisque nous savons que vous ne pouvez jamais tirer sur nous, vos frères ».

Ainsi fut dit, ainsi fut fait. Le corps d’Alexis en agonie sera acheminé à l’hôpital militaire pour dépôt : la dépouille mortelle gisait ce 12 juin dans la morgue de l’hôpital. Il faut remarquer que Monsieur Fidèle Rurihose, Recteur de l’Université, ment lorsqu’il déclarait que les gendarmes ont arraché Alexis aux tortures des étudiants en jouant le semblant de l’acheminer à la brigade spéciale de recherche pour interrogatoire et en réalité pour aller le faire soigner. Personne ne peut faire soigner un cadavre.

Il est 20 heures. L’étudiant hutu Gordien était assis dans la salle de la télévision sans se soucier de la mésaventure d’Alexis quelques minutes auparavant. Des étudiants tutsi drogués (un bon nombre de « Sans–Echecs » de Nyakabiga, Musaga et Ngagara habitaient illégalement le campus) s’approchent de lui. Il n’a pas remarqué que tout le monde était entrain d’avaler de bonnes bouffés de chanvre et était armé de gourdins et de bouteilles de bière. Ces étudiants déclarent que tout étudiant rapatrié d’exil qui a une intonation rwandaise est un « Interahamwe », c’est-à-dire « un génocidaire hutu rwandais à abattre ».

C’était une monnaie courante au Burundi : les Tutsi, par le biais de la propagande incendiaire de la Radio Télévision Nationale du Burundi, collaient officiellement la dénomination d’Interahamwe à tout africain de race bantoue de quelque nationalité qu’il soit et à priori tout hutu.

Pour Gordien, il n’aura pas le temps de s’en rendre compte. Ces enragés se saisissent de lui, cassent les fonds de bouteilles qui deviennent des pointes avec lesquelles ils lui ouvrent aussitôt la gorge dans la pelouse proche de la salle. Mort atroce. Les autorités et les représentants d’organismes internationaux (malheureusement, Madame Louise Camara, directrice du centre national des Droits de l’homme au Burundi n’a pas été autorisé à visiter les lieux le matin du massacre pour constater le carnage frais opéré par des gens supposés intellectuels sur leurs concitoyens étudiants innocents) ont pu analyser en partie cette horreur devant les hommes du campus dans la matinée du lundi 12 juin 95. En partie, parce qu’un bon nombre de cadavres (une vingtaine) ont été dérobés par la gendarmerie avant l’aube.

Le dernier acte, d’ailleurs incomplet, est de loin le plus sanglant. Quatre heures de sourdines pour laisser les voisins dormir. C’est une honte que Kagame le général rwandais avait donné des recommandations sans scrupules aux militaires et étudiants en disant : massacrez autant que vous pouvez tel que je fais chez moi, même un million, la communauté Internationale pardonnera.

D’ordinaire, il est institué un sport communautaire réservé aux étudiants tutsis du campus chaque dimanche qui débute à 6 heures du matin après s’être réveillés les uns les autres au sifflet.

Le sport a vêtu un cachet particulier ce dimanche 11 juin 95. La plupart des étudiants tutsis ont passé la matinée à tailler des piquets et des massues et déclaraient à l’un ou l’autre étudiant que « utaco yiyagiriza, ntasimbwe n’umutima » (que celui qui ne se reproche de rien ait le cœur tranquille).

Minuit sonne, finie la récréation. Une explosion de grenade au campus Mutanga donne le coup d’envoi pour le génocide. Les Tutsi étudiants conviennent de commencer par tuer le plus possible de Hutu au home Tropicana I, puis parachever l’œuvre par le home Tropicana II (l’aube enverra ses premières lumières avant la fin de la sale besogne).

Comment se sont-ils convenu de la méthodologie à suivre: Tous les « Sans–Echecs » réunis autour de Madirisha Willy prirent ensemble des méthodes pour tuer les Hutu de l’Université ;

Il fallait déchirer au couteau les moustiquaires en treillis pour éviter la réflexion des grenades sur les étudiants lanceurs ;

Casser les lamelles des fenêtres pour permettre une pénétration sans heurt des grenades ;

Il fallait jeter toujours par la fenêtre des chambres où dorment les hutu une grenade ; si quelqu’un crie « au secours », y envoyer une deuxième, puis une troisième jusqu’à ce que toute vie s’y éteigne »

Il fallait défoncer enfin les portes au hachereau, au pistolet ou à la grenade pour achever ceux qui tardent à rendre l’âme.

Cette sale besogne est faite sur plusieurs chambres pendant que des gendarmes à bord d’une camionnette Toyota communément appelé « 2200 » font deux tours pour intercepter les étudiants hutus qui tentent de fuir le campus. Accompagnés de chiens flaireurs pour découvrir ceux qui se cachent dans l’herbe, ces gendarmes rassemblent ainsi en deux tours une vingtaine d’étudiants hutus dont les cadavres seront retrouvés le 14 juin 95 au confluent de la rivière Rusizi (à l’ouest de Bujumbura) et du lac Tanganyika.

Les rescapés entendent les cris de ces malheureux pendant que les gendarmes les exécutent froidement à Nyakabiga, quartier adjacent au campus Mutanga.

L’étudiant Athanase locataire du home Tropicana II est de ces rescapés. Il a suivi ces scènes macabres. Quand l’opération commençait, il dormait les poings fermés.

Un « assaillant » découpe le moustiquaire en treillis qui protège la fenêtre de sa chambre à coucher. Il arrête le travail pour aller chercher ses camarades sanguinaires qui viennent vite à sa rescousse.

Athanase, qui a entendu dans le demi-sommeil les cris désespérés de ses voisins Hutu agonisant, ne perd pas une seconde. Il ouvre malignement la porte de sa chambre, demande à un voisin Tutsi de surveiller les mouvement des bandes enragées pour lui frayer le chemin et prend la tangente. Il est trois heures du matin lorsque le fuyard atteint la rivière Ntahangwa situé à trois cent mètres du camps Mutanga, rivière dans laquelle il passe le reste de cette nuit noire malgré l’éclairage de la lune. Toute une heure et demie pour franchir les obstacles et traverser ce charnier.

Les massacres continuent dans coup férir toute la nuit sous l’œil bienveillant de l’armée de Bikomagu et de la gendarmerie de Bayaganakandi. Le ciel referme sa toile ce matin du 12 juin 95 sur les corps inanimés d’une dizaine d’étudiants hutus de l’Université éparpillés ici et là dans l’indifférence des universitaires tutsis. Certains corps étaient méconnaissables alors que d’autres étaient introuvables.

Beaucoup de gens faisaient semblant de s’indigner mais la plupart étaient heureux d’avoir « cassé du hutu ».

Quand le Ministre Liboire Ngendahayo de l’enseignement secondaire, Supérieur et de la Recherche Scientifique se présentera au Campus Mutanga dans la matinée du 12 juin 95 pour se rendre compte de la situation en compagnie d’un officier de l’armée, il se heurta à un accueil répulsif d’un haut officier de la gendarmerie qui lui refusa d’aller découvrir l’état des cadavres de ses étudiants, arguant que les enquêtes sur des massacres ne sont pas du ressort des Ministres.

Le soleil se lève ce 12 juin et surprend les étudiants tueurs tutsi avant qu’ils n’achèvent leur sale besogne.